Dans le désert du Pérou se trouvent les étranges lignes de Nazca, de grandes figures tracées il y a des siècles et qui ne sont visibles que du ciel. Michael Lovett a décidé de s’en inspirer pour le nom de son groupe NZCA/LINES. Comme il est venu à Dijon pour jouer au festival Dièse, on a voulu parler science-fiction en roulant des mécaniques, mais on a trouvé plus fort que nous. Interview.

Salut Michael, comment se déroule la tournée jusqu’à maintenant ? C’était comment de faire la première partie de Django Django ?
Ça se passe plutôt bien. Avec Django Django, c’était la première fois qu’on jouait en dehors de Londres, et on s’est fait huer qu’une seule fois… A vrai dire, deux fois, mais c’était la même personne. Puis les gens braillaient un peu pendant certaines chansons, mais je trouve que c’est généralement super positif pour une première.

Tu chantes avec une voix très aigue, ce qui est surprenant étant donné que ta voix est naturellement grave. Tu peux m’expliquer d’où ça vient ?
Si au niveau instrumental, je suis plutôt influencé par des musiques électroniques comme Ovuca, DMX Krew ou Drexciya, sur le registre vocal, Aaliyah m’a beaucoup influencé. Quand nous bossions encore sur les chansons, j’ai accidentellement trouvé un a capella de Try Again, et ça m’a scotché. Je suis un grand fan de RnB en général, et des chanteuses comme Ciara ou Rihanna arrivent à produire des chansons pop qui selon moi touchent à la perfection. Avant de faire cet album, je ne pensais pas pouvoir chanter avec une voix de fausset. J’ai autrefois chanté dans un quartet barbershop (harmonies a capella, inspirées du doo-wop, ndlr) et j’étais la basse car j’étais le seul à pouvoir atteindre les notes les plus graves. Je crois que chanter aussi aigu aujourd’hui n’est probablement pas très bon pour moi. Mais pour le moment, j’ai aucune envie de sortir un album de chanteur baryton.

Quelle est ta théorie sur les origines des lignes de Nazca ? Est-ce que pour toi, ce sont des figures d’ordre spirituel, ou bien ce sont des pistes d’atterrissage pour vaisseaux spatiaux extraterrestres ?
Je pense que c’est encore plus dingue de se dire que les lignes de Nazca ont été faites par des humains plutôt que par des aliens… c’est comme ces personnes qui disent que les pyramides n’ont clairement pas pu être construites par des humains. En admettant ces hypothèses, on oublie que les hommes peuvent faire preuve d’une grande ingéniosité, bien que ce soit généralement pour des raisons purement religieuses ou pour affirmer sa puissance. C’est incroyable de voir ce qu’on est capable de faire – ou plutôt ce que des milliers d’esclaves peuvent faire. En ce qui me concerne, je me tiens à la thèse la plus commune qui dit que les géoglyphes de Nazca ont été construits pour être visibles par des dieux célestes. Je suis fasciné par le fait qu’il soit impossible d’apprécier totalement ces dessins depuis le sol, et qu’à l’époque pour le peuple nazca, seuls les dieux pouvaient les contempler. C’est une vision très romantique. Maintenant, si on cherche une piste d’atterrissage pour OVNI, je pencherais davantage pour les plaines des abysses, qui selon moi ont clairement été faites pour ça.

Pas con. Il semble que tes chansons soient inspirées de thèmes de science-fiction. Tu lis beaucoup d’auteurs sci-fi ?
J’aime lire de la science-fiction car ce format permet aux auteurs d’explorer des idées portant sur la société, la politique et la technologie sans avoir à se plier aux contraintes d’un contexte réel. Mais cela permet aussi aux gens d’insuffler le monde « réel » avec une part de magie. Ce n’est pas tellement un livre de science-fiction, mais Les Villes Invisibles d’Italo Calvino a inspiré l’atmosphère de l’album. Il y décrit des cités utopiques dans des termes incroyablement simplifiés, où chaque ville a une qualité déterminante. Dans l’une d’elles, tous ses citoyens jettent ce qu’ils possèdent à la fin de chaque journée, ce qui fait que chaque jour est un recommencement. Il s’avère que toutes ces villes décrivent en fin de compte Venise, qui est un endroit aux multiples facettes. Cette façon de dire qu’un seul endroit dans le monde réel peut fondamentalement changer selon le contexte et la perception a inspiré la thématique de cet album. Donc oui, j’aime beaucoup la science-fiction. Sinon, je viens juste de commencer Roadside Picnic. C’est le roman qui a inspiré Stalker à Andreï Tarkovski, que j’adore car il aborde la science-fiction d’une manière subtile et… presque spirituelle.

Sur le morceau New Magnetic North, tu sembles avoir une vision poétique de la dérive naturelle des pôles magnétiques, alors que selon certaines thèses scientifiques, ce phénomène pourrait mener à une inversion des pôles entrainant des bombardements cosmiques et des extinctions de masse causées par les radiations. Tout ça me fait franchement flipper, mais ça a l’air de t’enchanter.
Ce morceau se base en fait sur une disposition artificielle des pôles magnétiques, qui servent à créer un calque sur le monde, un nouveau mode de perceptions, plutôt qu’un changement véritable du champ magnétique terrestre. Comme ces pôles artificiels changent constamment, les gens doivent partir à leur recherche, et accorder leur perception selon ces nouveaux repères. Comme avec le bouquin d’Italo Calvino dont je te parlais, c’est une façon ludique de reconsidérer des endroits existants grâce à de nouvelles règles. Ce à quoi tu fais référence appartient à une autre école de pensée toute aussi intéressante. J’ai récemment découvert un livre à ce propos, Arktos: The Polar Myth in Science, Symbolism, and Nazi Survival (Arktos : Le mythe polaire en science,symbolisme et la survivance nazie) qui est un livre encore plus taré qu’il n’en a l’air. Je sais pas trop pour le coté ésotérique nazi, mais le livre parle de notions relatives à la rotation de la Terre. C’est à cause de l’inclinaison de son axe de rotation que nous obtenons les saisons. Sans cette irrégularité, chaque endroit sur Terre aurait son climat unique et immuable. Certains ont suggéré qu’une météorite aurait pu changer tout ça. A supposer que ce soit vrai, on peut se demander à quoi ressemblait la Terre auparavant ? Une sorte d’Eden, un monde parfait ? Tout le livre est super intéressant, tant qu’il ne s’aventure pas dans les théories du complot. Ce qui est clair, c’est que les pôles ont un sens mythologique pour l’humanité, bien plus important que je ne l’imaginais.

Avec tout ce que tu me racontes et ton album, ça me fait penser à ce qu’on appelle les stations de nombres (stations radio diffusant des messages cryptés dont l’origine reste inconnue). Tu dois bien avoir une opinion sur ces mystérieuses transmissions ?
Ben en fait, non je ne connaissais pas. Mais merci de m’avoir fait connaitre, ça a l’air intriguant, bien qu’à la lecture de l’article, ça pourrait bien être des codes secrets pour espions. C’est fou comme les radios analogiques peuvent donner naissance à ce genre de mystères, comme ces signaux peuvent se diffuser dans le monde et être captés par absolument n’importe qui ayant un récepteur. Je crois qu’il n’existe pas de transmission « privée » à proprement parler. Avec l’avènement de la radio numérique, cette magie se perd… Je suis persuadé que dans un futur pas si lointain, les ondes radio telles que nous les connaissons auront complètement disparu. Il y a trop de « précision » dans les radios numériques – tout comme les synthétiseurs digitaux. Tu n’obtiens pas les accidents heureux ou les résultats imprévisibles que tu peux avoir avec les analogiques. Il y a une pièce de John Cage, je crois, où il rassemble un certain nombre de radios et la performance consiste simplement dans ce qu’ils arrivent à capter, et les interactions entre les récepteurs. Evidemment, chaque performance varie selon l’heure et le lieu du concert, et tout cela fait que chaque représentation est unique. Et puis, il y a cette idée que les ondes radios seront probablement les premiers signaux à atteindre une civilisation extraterrestre. C’est plutôt cool, et un peu flippant aussi. J’espère seulement qu’ils capteront Beats in Space.

Ton demi-frère, Gabriel Stebbing, est l’ancien bassiste de Metronomy. On en sait encore très peu sur son nouveau projet Night Works, si ce n’est que tu as participé à son élaboration. A quel point tu es impliqué dans ce projet ?
C’est marrant, c’est la première fois qu’on me pose cette question. Je suis impliqué, oui et non. J’ai donné mon aide lors de la composition des chansons, un peu aussi pour les arrangements, enregistré quelques parties au clavier et j’ai fait certains chœurs. J’ai aidé par petites touches, à vrai dire. Gabriel m’a aidé aussi pour les chœurs de NZCA/LINES, donc c’est plutôt sympa d’entretenir cet échange de bons procédés. On fait ça en famille, au sens propre, comme au figuré. J’ai joué de la basse/clavier dans son ancien groupe, Your Twenties, et je devais jouer initialement pour Night Works mais j’ai plus le temps maintenant. Je devais faire un choix ! Mais il a réussi à constituer un live band de malade, donc ça va être super, et vous allez adorer son album – que je trouve génial.

 

– Propos recueillis par Arthur Gérard
NZCA/Lines – Compass Points (Loaf – Modulor)