Bienvenue dans l’univers de Ken Loach, celui de la mouise sociale où les paumés au grand cœur et autres losers essaient de retrouver le chemin de la rédemption.

Le père Loach, il est comme ça. C’est un optimiste. Une sorte d’assistant social british du septième art. Qu’on adhère ou pas, il vaut mieux être au courant. Certains lui reprocheront  son académisme de gentil britannique quand d’autres salueront l’engagement et la subtilité de ses scénarios. Soit. La Part des Anges ne pose pas ce genre de gros dilemme. Pour la première fois, notre bon samaritain signe une fresque sociale engagée sur le ton bienvenu de la déconnade.

Le film se déroule en terres écossaises, dans la banlieue miséreuse de Glasgow. Des petites frappes -du délinquant récidiviste au pickpocket- font connaissance alors qu’ils purgent leur peine en travaux d’intérêt général, sous la coupe d’Harry, éducateur et grand connaisseur de whisky. Robbie, l’un d’entre eux, se découvre bientôt des talents de dégustateur. Il commence à s’intéresser à cet univers de l’autre côté de la barrière : celui du whisky, de sa dégustation, de son prestige et des ventes à gros chiffres. Sans pour autant en dire trop, on se permettra de révéler le gros nœud de l’intrigue : Robbie et sa bande de bras cassés décident d’orchestrer l’arnaque du siècle lors d’une vente aux enchères : le vol d’un fût de whisky inestimable.

Très vite, on aime l’humour caustique du film, on se prend à être complices de ces grands rejetés de la société. On la voudrait, nous aussi, cette part des anges. Être pote avec ces vauriens inoffensifs, espérant que la roue de la fortune tourne enfin. L’accent gras de Glasgow nous chatouille les oreilles (on découvre plus tard que le film est diffusé avec des sous-titres en Grande Bretagne). Et puis le whisky, ce n’est pas qu’un truc qui arrache le bide, c’est un art qui s’apprend, qui se déguste. Et sans Coca messieurs, s’il vous plait.

Mais dans le petit monde de Ken Loach, il faut vite mettre un peu d’eau dans son whisky, et ne pas se laisser étourdir par l’abus de clichés. Car si vous ne le saviez pas, à Glasgow, les voyous sont tous balafrés. Les méchants débarquent avec une batte de base-ball dans un pub pour vous exploser la tronche. Un éducateur est par définition un mec gentil et cultivé qui emmène gratuitement des lascars faire des virées en van. Et le mec drôle d’une bande de potes ? Oui, c’est obligatoirement un type à lunettes, chauve et moche, qui se coince gracieusement les burnes dans son kilt.

Passée cette nonchalance des images toutes faites, il reste la véracité du jeu des acteurs, des non-professionnels, dont chaque sentiment perce l’écran comme autant d’aveux sincères d’une génération perdue. Et surtout le propos. Car pour les plus attentifs, à travers les pérégrinations de sa joyeuse bande, le réalisateur sait toucher là où ça fait mal. Il semblerait qu’au cinéma on se pose également cette question : aujourd’hui, la vie est-elle si dure pour la jeunesse de Glasgow ou d’ailleurs, au point que le rêve inespéré de chacun soit devenu celui de décrocher un job ? Peut-être pas si optimiste que ça dans le fond, le père Loach.

– T. DiCampo

La Part des Anges, en ce moment au cinéma Devosge.