Salut les fluokids ! Alors comme ça, chez Sparse on est propres, bien épilés avec des cols de chemise et des mèches à la Mason Capwell, l’enfoiré de Santa Barbara? Y paraitrait qu’on est des hipsters sans slim? Ok, c’est vrai. Mais pas que. Après le stade Gaston Gérard, le Zénith ou les Tanneries, on est montés en pression et notre bien aimé directeur de rédaction nous a sentis prêts pour de l’investigation.
Immersion totale. Façon Nanard de la Villardière. J’m’en vais te montrer, moi, qu’on passe pas notre temps en club à lécher les murs sur de la house sexuelle.
– Lire la deuxième partie du reportage –
On dispose, à deux pas de chez nous, d’un des rassemblements culturo-fangeux les plus importants de France. Aurillac c’est trop loin. Et pis ça fait peur. On monte dans un camion (camouflage, pas con les mecs) et on trace à une heure de Dijon. Chalon dans la Rue. Cinq jours de festoche. Pour l’immersion totale, on a pris nos quartiers chez des potes chalonnais. Pavillon, jardin, chambres… on n’allait pas dormir dans le camion au bord de la Saône au pied du pont de l’autoroute non plus. On garde une certaine dignité.
On connaît le festival, on l’a déjà pratiqué quelques années de suite. On a les codes : si tu veux voir des spectacles au hasard de tes flâneries, bah tu verras rien. Faut avoir le programme du In, celui du Off, le déroulé de la journée dans le canard local du matin. Autant te dire qu’il faut avoir un sac. Et un vélo. Histoire d’être ultra mobile. Pour peu que tu tombes sur un bouchon humain au hasard d’une rue, le temps du détour t’as tout raté.
Faut aussi avoir du liquide avec toi parce qu’au bout de 2 jours, y’a plus un distributeur qui marche dans le centre-ville. La géographie urbaine est changée pendant le festival. Plus de boulevard, de rue, d’avenue. Rien que des numéros : « c’est où le spectacle de lancer de knacky sur échasses ? Pastille 34 ». Tous les lieux ont une pastille et un numéro. « Pastille 62, la dread magique, par la compagnie des enfants Jah ». Bon, quand t’as quelques années de festival derrière toi, t’appelles les lieux par leur nom chalonnais. C’est à ça qu’on reconnaît les initiés et les novices. Il faut connaître le spot qui te sauvera (le chapiteau Suzie, pastille 42, la pinte à 3,50 euros, les toilettes à 20 mètres -très important les toilettes dans un festival de rue.
L’erreur du débutant, c’est de croire qu’il va faire beau. Non. À Chalon dans la Rue, il pleut. Au moins un jour. Cette année le vendredi. Si tu veux voir des spectacles dans de bonnes conditions, ne viens pas le samedi ou le dimanche. C’est l’émeute, le Heysel. Dur de circuler. Viens le jeudi, à la cool.
Chalon dans la Rue, c’est un festival de spectacle de rue, mais c’est ultra bien calibré. T’as 200 compagnies, y’a pas un spectacle qui marche sur l’autre. Les horaires sont respectés, la logistique chiadée. La ville de Chalon est quadrillée. Il y a des prog’ dans les cours d’école, des prog’ dans les chapiteaux un peu à l’extérieur du centre ville (où c’est plutôt cirque), sans oublier tous les endroits bien sentis investis par la prog’ du In. Ah oui, la différence entre le In et le Off à Chalon, elle est simple. Les mecs du In sont payés. Pas ceux du Off. Ils font tourner le chapeau. En plus, la prog’ du In, c’est en général des grosses machines avec des performances assez… comment dirais-je… contemporaines. Tu vois.
Y’en a aussi dans le Off, mais c’est surtout des choses plus purement art de la rue : acrobaties, comédies, installations bricolées à la main (oui, dans le monde de l’art de rue, on n’appelle pas ça une scénographie). En dehors du In et du Off, il y a ce qu’on pourrait appeler le Out. Ceux qui sont programmés par personne, mais qui sont dans le coin parce que c’est là que ça se passe. Et parce qu’ils ont beaucoup de talent, forcément. Alors là c’est plutôt tendance je crache du feu et je fais des bâtons du diable. Dérangeant. Toi, tu te dis : « Chalon dans la Rue, c’est un vrai festival de punks à chien ». T’as pas tort. Mais pas que. Y’en a beaucoup. Trop. Mais y’en a moins qu’à une époque. Le panel est plus large :
- Il y a le fan ultime du festival. Programme en main dès 8h du mat’. Il a réservé là où il fallait réserver. Il a déjà surprogrammé sa journée. Il a un poncho de pluie, un tabouret trépied, des pompes de rando et il te trouve pathétique quand tu prends le temps de boire un café en terrasse. Parce que pendant ce temps là, tu rates des spectacles.
- Le Chalonnais. Lui, il est là parce que c’est en bas de chez lui. Ce serait la foire à la saucisse ou le concours de majorette du Téléthon, ce serait la même. Il déambule avec la famille et ne reste pas plus de 5 minutes devant un spectacle. C’est le seul qui reste impassible quand un faux clown lui hurle dessus avec un sèche-cheveux braqué sur lui. Ça ne le fait pas rire. Il est habillé comme d’hab’. De toute façon si il pleut, il rentre chez lui, c’est à 100 mètres.
- Le programmateur de festival. Il a un pass plus gros que les autres. Lui aussi il s’en tamponne des spectacles, mais il va en voir quelques-uns en riant beaucoup et très fort. Les comédiens l’appellent par son nom avec beaucoup de déférence. Lui il s’en fout, le truc qu’il trouve cool, c’est de boire des coups gratos grâce à son pass. Il sera aussi saoul qu’un petit ouaouache à 19h, mais lui il a un costard crème en lin et un chapeau de colon. Et il boit du Givry, pas de la 8-6. Pas les mêmes valeurs.
- Le ouaouache (ou ouachon), le fameux. Lui, il veut boire. C’est pas plus compliqué que ça. Il veut bien voir des spectacles au hasard, ça accompagne son alcool. Une fanfare ? Ah ouais, cool. Un gars déguisé qui crie ? Cool. Un contrôle de police ? Cool. Il trouve ça vraiment bien que tous les spectacles soient gratuits. Il est très vite pieds nus. Avec un sarouel et un chapeau trop petit. Il peut, à tout moment, sortir des bolasses de son sac à dos et les enflammer : c’est un danger permanent. Il dort là où il est, c’est pas un problème. Et si le Calimucho (rouge/coca) n’a pas été assez fort et qu’il se rappelle du chemin, et bah il dormira dans un camion, s’il ne tombe pas dans la Saône avant. Lui, il est là dès le mercredi parce qu’il n’a pas eu trop de problème à prendre des congés : il ne bosse pas. Il est venu avec des amis, Fanjine, Peutriqui et leur un chien, Taz. Il aimerait beaucoup en avoir un mais il peut pas parce qu’il habite chez sa mère. Mais il s’en tape parce qu’un jour, il partira avec son camion faire les marchés dans le sud en vendant de l’artisanat du Burkina parce qu’il a des potes qui connaissent bien, ils construisent une école là-bas.
- L’artiste. Il est comme le ouaouache. Pareil. Mais lui il a réussi. Il a un pass.
Et les spectacles dans tout ça ?
Côté spectacle, comme d’hab’, on est tombés sur le pire et le meilleur. C’est comme ça Chalon dans la Rue. Tu vois 25 spectacles. Tu t’en rappelles de 10 (toi aussi, tu as bu) : y’en a 4 qui étaient originaux, et 2 qui t’ont plu.
Autant vous dire que les spectacles du mercredi, au calme, le premier jour, ont eu un peu plus d’attention de notre part que les spectacles du dimanche soir où j’aurais tué n’importe quelle vielle assise sur un tabouret juste devant moi et n’importe quelle petite fange venue me taper « un peu de tabac… mais si t’as une clope, c’est cool ». On finit cuits. On n’a pas ménagé nos efforts pour la gloire du journalisme d’investigation.
On retiendra :
- Le repas utopiste de la Franc-comtoise de rue. (Fédération de compagnies de Franche Comté). Franchement drôle. Off.
- Olivier Grossetête (c’est son vrai nom) et ses installations monumentales tout en cartons de déménagement. Il monte des structures énormes avec le public. Là il nous a fait une baraque de 150 mètres carrés à base de carton. Le mec te fait aussi la Tour de Pise à échelle 1 ou des trucs dans le genre. Pour couronner le tout, on l’a rencontré, il est super sympa. In.
- Perceval, d’Arnaud Aymard (le même mec qui fait l’oiseau bleu), poète maudit de la chanson. A hurler de rire. Off.
- Figures libres de Komplex Kapharnaum, les Lyonnais. Énorme machinerie. Vidéos surdimensionnées projetées sur les murs des d’immeubles d’une cité de Chalon, groupe en live perché sur un bus qui suit la déambulation. In.
- Le show des Suzettes, qui ont embrasé le bar pro vendredi soir. Off.
- Mono focus, du swamp rock blues qui n’hésite pas à user de machines et synthés à la Charlie Oleg. Drôle. Off.
- Mention spéciale au spectacle « Danse sur bagnole » : on l’a appelé comme ça, je me rappelle plus le nom. Une ambiance polar noir français des 70’s sur les quais de Saône, 2 mecs torses nus qui se frottent autour d’une Passat modèle 77. Je m’interroge encore.
La prochaine immersion, on la fait aux Plages Électroniques, à Cannes. Tranquille. C’est le rédac’ chef qui nous l’a promis après notre opération survie. « Une caîpirinha steplait ! Merci Honorine, tu es tellement swaggy… tu connais le Pitchfork ? J’adore. »
– Laurent Ketanou
Suite et fin du reportage à Chalon dans la Rue demain, avec un focus sur la journée du samedi et la présence de… Didier Super.