Avec Killer Joe, Friedkin adapte à nouveau une pièce de théâtre du dramaturge Tracy Letts, après le huis-clos halluciné Bug sorti en 2007.
On découvrait alors le talent de cet acteur abonné aux rôles de cinglés, l’Américain Michael Shannon, vu depuis dans Boardwalk Empire et dans Take Shelter. Friedkin révèle à nouveau tout le potentiel de folitude d’un acteur, cantonné d’habitude aux rôles de bellâtre musclé : un certain Matthew McConaughey. Déjà cet été dans Magic Mike de Soderbergh, Matthew McConaughey détonait dans le rôle du patron d’un bar de strip-teaseurs. Mais là ça ne fait plus aucun doute, cet acteur avait un talent caché depuis tout ce temps, la preuve avec Killer Joe.
Bienvenue dans l’Amérique profonde, celle des pouilleux et des cas sociaux. Killer Joe relate plus précisément le destin d’une famille recomposée de péquenots, qui vit dans une vieille caravane pourrie. Le père, un abruti remarié à une serveuse tout à fait distinguée, et deux enfants de son précédent mariage : Chris, un jeune voyou criblé de dettes de jeu et la virginale Dotty, pauvre petite blonde, une cendrillon au pays des ploucs. Son frère Chris a une idée de génie : pour payer ses dettes il décide de contacter un tueur à gages pour se débarrasser de sa mère afin de récupérer l’argent de l’assurance vie. En embarquant son père dans le complot, il trouve le tueur parfait, un flic trop beau pour être honnête, tueur à gages à son compte, le fameux « Killer Joe » donc, interprété par McConaughey.
Portrait d’une Amérique souillée, envieuse et pathétique
Comme d’habitude Friedkin se fait plaisir et signe un film irrévérencieux sur une Amérique souillée, envieuse et pathétique. Pathétique surtout dans le portrait de ses personnages : la scène d’ouverture nous l’annonce d’emblée, ce film va nous mettre volontairement mal à l’aise, ça va être chaud et violent. Imaginez un peu le tableau. L’orage éclate sur un fondu au noir, après qu’on ait entendu le claquement d’un briquet. Il pleut à torrents, un chien peu commode attaché près d’une caravane aboie à tout va ; un gamin débarque en trombe d’une voiture et tambourine à la porte, personne ne daigne lui répondre jusqu’à ce que sa ravissante belle-mère lui ouvre enfin pour lui présenter son pubis particulièrement fourni. Friedkin annonce la couleur direct.
Le côté « du théâtre à l’écran » est assez présent : par ses dialogues géniaux, les unités de temps et de lieu, le jeu d’acteur aussi. D’ailleurs, les acteurs sont tous excellents. Qu’il s’agisse de Juno Temple dans le rôle de la jeune sœur innocente ou Gina Gershon dans le rôle de la belle-mère volage. Mais rien n’égale le personnage de Killer Joe, personnification ultime du Mal introduit dans un foyer, habillé de noir et de cuir avec les bottines parfaitement vernies et le chapeau de cowboy. Ce qui n’est pas sans rappeler l’ange de la mort impassible joué par Javier Bardem dans No country for old men. Un film qui dressait déjà le portrait d’une Amérique désenchantée, corrompue, ou ce fameux mythe de la frontière des westerns est définitivement terminée. Ce qu’on retrouve dans Killer Joe.
William Friedkin parle de son film comme d’une version moderne du conte de Cendrillon. Alors si vous êtes intéressé à l’idée de voir un conte revisité par le réalisateur de L’Exorciste et de French Connection, que vous n’êtes pas trop dégouté à l’idée de mater une scène particulièrement marquante avec une cuisse de poulet (au risque d’être à jamais écoeuré de KFC), que vous croyez au potentiel sous-estimé de l’acteur Matthew McConaughey et enfin que vous aimez l’humour très noir : allez voir Killer Joe, c’est sans conteste l’un des meilleurs films de cette rentrée.
– Alice Chappau