Pour la première date du festival Résonances à Dijon, Octarine, en partenariat avec Why Note, nous proposait une programmation de musiques électroniques expérimentales des plus alléchantes, en conviant notamment le duo français hors norme Zombie Zombie. Etienne Jaumet et Georges -dit Neman- nous ont emmené pendant près d’une heure dans une sorte de voyage initiatique aux allures de transe méditative. De la musique répétitive, oui, mais exécutée avec goût et laissant toujours beaucoup de place à l’improvisation. Car avec eux, rien n’est jamais figé, et ce que vous écoutez sur leur dernier album Rituels d’un nouveau monde est à des années lumières de ce qu’ils nous proposaient ce soir en concert. Il n’y a qu’à voir leurs têtes sur scène : les bras de Neman exécutant des mouvements extravagants avant de venir frapper lourdement sa caisse claire, le visage d’Etienne qui se tord dès qu’il actionne un nouvel effet sur un de ses synthétiseurs analogiques. Bref, les mecs se font plaisir avant tout.  Et cela faisait déjà quelques mois qu’on n’avait pas eu cette sensation de se faire happer par la musique.

Impensable, alors, de passer à côté d’un entretien en tête à tête avec ces deux magiciens. En coulisse, ils évoquent avec nous le dernier album, leur collaboration avec Joakim et la rencontre improbable d’Etienne avec les Red Hot Chili Peppers.

 

Sur ce nouvel album vous reprenez un titre de Sun Ra et de New Order. C’est une manière pour vous de leur rendre hommage ? C’est pas un peu le grand écart, musicalement ? 

Neman : En fait la reprise de New Order n’est pas vraiment sur l’album, c’est juste un 45 tours qu’on a fait indépendamment du disque, ça va sortir à côté. L’idée, c’est qu’il sera offert avec l’album pour les premiers qui achèteront le vinyle. Cette reprise est une commande de Mojo Magazine pour les 20 ans de New Order et nous l’avons réutilisé parce que nous aimions bien cette reprise. Après effectivement, Etienne et moi on aime des choses très différentes, ça nous empêche pas d’aimer Sun Ra et New Order.

Etienne : C’est incompatible pour toi ? Non mais tu nous le dis si c’est incompatible. On est contents de cette reprise, sinon on ne l’aurait jamais sorti.

Quel retour vous avez des fans de New Order ? 

Etienne : C’était un disque de reprise de musiciens, exclusivement de morceaux de New Order à la base. Je sais que c’est passé entre les mains des membres parce qu’ils en ont parlé et qu’ils étaient plutôt satisfaits du résultat. Moi même j’ai du plaisir à écouter ce disque. Après, chacun est libre de son jugement, si ça plaît pas à certains c’est pas très grave.

Vous êtes complètement à part sur la scène française électro/expérimentale. Est-ce que ce terme vous convient d’ailleurs ? 

Etienne : C’est pas si mal, mais je préfère le terme électronique à électro. Avec électro, on a vite tendance à classer : c’est un peu fourre-tout, c’est David Guetta. J’aime bien le terme électronique parce qu’effectivement on utilise des instruments électroniques avec de vrais composants électroniques, donc finalement ça s’applique plus à nous qu’à des artistes qui utilisent des ordinateurs ou des platines.

Vos références vont de Kraftwerk en passant par la scène psychée française des années 70’s. Il y a des groupes français actuels dont vous vous sentez proches ? 

Neman : Oui, je pense qu’on connaît forcément mieux des gens qui font de la musique dans notre ville, certains dont on se sent proche comme Joakim, qui a produit ce nouvel album et le précédent.  C’est un musicien qu’on aime beaucoup : on aime ses compositions, ses remixes et sa manière de travailler. Après il y a plein d’autres gens, évidemment Turzi, qui a participé à nos disques précédents.

Etienne : Toute la bande de Pan European Recording et puis d’autres groupes en parallèle qui émergent, comme Sydney qui a fait notre première partie il y a peu, ou un autre groupe qui s’appelle Bon Voyage et qui a sorti un disque en Angleterre…

Neman : Dans la scène musique électronique, dans le sens techno, il y a aussi Chloé, Discodeine, Pilooski… ce sont des gens qui nous intéressent et avec qui on partage des choses.

Vous avez à nouveau collaboré avec Joakim sur cet album, dans quelle mesure transforme-t-il votre son ? 

Etienne : Je sais pas si ça change notre son. C’est vrai qu’on avait bossé avec lui sur les reprises de Carpenter et justement on avait bien aimé son travail parce qu’on avait la sensation qu’il comprenait ce qu’il faisait, que c’était pas seulement un ingé son qui venait enregistrer. Il avait aussi un point de vue de musicien par rapport aux prises, ce qui était intéressant, ce qui l’était moins. Du coup je pense que son travail a rendu les morceaux plus efficaces. En plus il a un super studio avec plein d’instruments qu’on a pu utiliser : des synthés, des micros, des effets tels que des vieilles réverbes à plaques… Des choses comme ça qui sont assez inspirantes. C’était plus une histoire d’inspiration que vraiment de changement.

Neman : Je pense qu’il est là pour améliorer notre son. Il l’a transformé, effectivement, mais le but c’était de faire ressortir des subtilités qu’on aurait pas fait ressortir, des partis pris sur le mix qui n’auraient pas été les nôtres. Après on travaille vraiment ensemble donc il y avait beaucoup de discussion entre nous, on ne travaillait pas chacun dans notre coin.

Dans tout le crew parisien vous ne citez pas Gesaffelstein qui signe pourtant un remix de votre titre Rocket #9 ! C’est un oubli malheureux? 

Neman : Gesaffelstein c’est un peu différent. Déjà on ne se connaît pas, c’est notre label Versatile et son patron Gilbert Cohen -qui connaît un peu tout le monde- qui ont fait ce choix des remixes parce que c’est plus leur domaine, pour la promo. Surtout que Versatile est un label de techno à la base. On trouvait que c’était une idée attrayante parce qu’effectivement on aime ce qu’il fait. Dans le genre des petits jeunes qui montent c’est un des plus intéressants. Après, on fait pas vraiment le même métier. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ont été surpris par Gesaffelstein parce que ceux qui écoutent Zombie Zombie écoutent pas forcément de techno. Il y a eu un peu cette séparation des gens qui se sont dis « oh lala, c’est quoi ce truc ? ». Mais le but de Versatile c’était aussi de faire le pont avec tous ces jeunes qui écoutent Gesaffelstein et qui écoutent moins Zombie Zombie.

Sur l’album, comme sur les précédents, ça reste très instrumental. C’est toi Neman qui chante, enfin… qui parle. C’est pas un peu casse-gueule de rester sur de l’instrumental? 

Neman : Je sais pas. Mais tu sais, Etienne tout comme moi, on n’est pas des chanteurs. On n’a jamais écrit de chansons à proprement dit, on n’est pas dans ce format pop du couplet/refrain ou à écrire des textes. Notre musique est un peu comme ça : on est plus proches du jazz, de styles plus libres. Et on écoute beaucoup de musique instrumentale, du jazz, de la techno, de la musique contemporaine et les pionniers de la musique électronique.

Donc l’ajout de voix, vous envisagez ça plus comme l’apport d’un énième instrument ? 

Neman : Pas tant que ça, mais on ne se force pas. Souvent, les gens et notre label nous font la remarque, même si c’est vrai que ce serait plus « commercialisable ». Mais pour nous, si ça se fait pas naturellement ça ne sert à rien.

Votre musique est très cinématographique, vous avez déjà pensé à sortir plus de clips vidéos ou à développer les visuels sur scène ?  

Etienne : Pas de visuel sur scène, mais nous allons faire d’autres clips. Peut-être faire des musiques de film… en fonction des demandes, on verra. On n’aime pas tellement les visuels sur scène parce que justement on a la chance de jouer avec des instruments et d’avoir quelque chose d’assez visuel. On a un rapport physique aux instruments et je pense que lorsqu’on nous voit sur scène, il y a des choses à regarder, il y a beaucoup d’interactivité entre nous. On vient plutôt du rock, donc nul besoin d’électron ou de spirale. (rires) C’est sympa mais ce qu’on aime c’est voir des concerts, pas forcément des shows.

Vous pouvez nous citer des réalisateurs avec qui vous auriez envie de bosser sur des clips ? 

Etienne : Pour les clips, euh… Coppola, ça pourrait être sympa et s’il pouvait prendre David Lynch comme assistant ce serait parfait.

Neman : Dans les clippers…c’est pas évident… Là comme ça, je sèche. J’adorerais faire un clip avec Spike Jonze. Le clip de Pharcyde (Drop) m’a beaucoup marqué, j’adore les gens qui ont des idées comme ça, qui sont assez simples en fin de compte. Il y a de moins en moins d’idées dans les clips d’aujourd’hui, ça manque d’ingéniosité. Le fait d’avoir les images à l’envers dans le clip de Pharcyde c’est vraiment génial. Ou même les derniers clips qu’il avait faits pour les Beastie Boys, avec en animation stop motion des Big Jim je crois…

Et pour les musiques de film alors, vous pensez essentiellement à des réalisateurs de films d’horreur ? 

Etienne : Non, mais c’est vrai qu’on a fait pas mal de musiques associées à ce style. C’était une sorte d’exercice de style et on a d’autres choses à raconter. Les reprises qu’on a faites sont des indications et si on me propose une comédie un jour, je serai ravi. Le but, c’est pas de rester coincé dans une niche qui est déjà encombrée.

Je sais que vous aimez tous les deux beaucoup le support vinyle, est-ce que vous les collectionnez ? 

Neman : Collectionner, je sais pas si c’est le mot mais on en achète beaucoup, oui.

Etienne : Ce sont deux choses différentes je pense.

Neman : C’est vrai, certains sont prêts à acheter des trucs hyper chers et passent du temps à chercher la perle rare. Alors certes, il y a des disques qu’on aime acheter qui sont rares mais on ne cherche pas forcément l’édition originale de 1972 par exemple.

Mais alors justement, dans vos références, le psyché français des 70’s, ça doit être assez compliqué à trouver en vinyle ? 

Etienne : Effectivement…

Neman : Mais ils sont pas mal réédités maintenant…

Etienne : Mais pas en France.

Neman : Les originaux souvent sont un peu chers alors on attend qu’ils soient réédités ou de tomber sur la personne qui ne connaît pas leur valeur.

Etienne : Il faut être patient.

Vous les dénichez sur Internet ? 

Etienne : Pas trop, moi je déteste ça en fait.

Neman : On aime bien aller dans les magasins, avoir ce rapport humain et puis comme on voyage beaucoup on en profite pour se rendre chez des disquaires. Ça permet justement de tomber sur des trucs au hasard, chose que tu ne peux pas faire sur Internet parce que souvent tu cherches quelque chose de très particulier. Ce qu’on aime, c’est de tomber sur un truc auquel on pensait pas forcément à la base.

Si un jour en rentrant chez vous, l’appart prend feu et vous ne pouvez sauver qu’un seul vinyle… Ce serait lequel ? 

Etienne : Ah… celui qui est le plus proche de moi je pense, parce que si je commence à fouiller et qu’il y a le feu je risque d’avoir des problèmes.

Neman : Oui je pense qu’on a trop de disques pour en choisir un. C’est un dilemme, je n’en prendrai donc aucun (rires), je les laisserai tous brûler.

En studio c’est d’abord l’improvisation qui guide votre production : vous lâcher des thèmes autour desquels vous « tricoter ». Est-ce que c’est pareil en live ? 

Etienne : C’est bien résumé ! Oui, on tricote de la même manière en live.

Neman : Chacun un petit tricot (Ils se marrent tous les deux) 

Etienne : Notre petit fil d’Ariane ! On a des idées de structures puisque les morceaux avec les mélodies ont été enregistrés. Après, comme j’utilise des instruments électroniques sans preset, parfois j’ai du mal à être prêt au bon moment et les réglages ne sont pas tout à fait les mêmes donc ça nous oblige à nous adapter. C’est peut-être la raison pour laquelle notre goût pour l’improvisation s’est développé, parce que les machines dictent un peu l’évolution des morceaux parfois. On a la chance d’être peu nombreux sur scène, c’est plus facile d’improviser et d’échanger, d’avoir des idées. C’est très agréable de se dire que tout peut arriver à n’importe quel moment.

Neman : Les morceaux sont écrits mais, comme dans le jazz, il y a un thème, une sorte d’introduction et nous on travaille un peu comme ça. Il y a toujours cette notion d’espace au sein du morceau, on n’est pas obligés de s’arrêter à tel moment et c’est un plaisir que trop souvent les gens oublient dans la musique. Ça nous permet de nous amuser tous les soirs parce que c’est différent tous les soirs. Je crois qu’il existe un groupe japonais qui n’a fait qu’un disque, et ça fait 20 ans qu’ils tournent là dessus parce que c’est jamais pareil, tu ne t’en lasses pas.

Qui a eu l’idée d’amener quelqu’un pendant l’enregistrement pour jouer des instruments traditionnels sud-américains ? 

Etienne : C’est Neman.

Neman : Oui enfin, on était partis en tournée au Brésil et ce voyage nous a pas mal marqué. On a toujours aimé la musique brésilienne, mais le fait d’être dans le pays, de la voir jouer et de voir les gens réagir, ça nous a donné envie d’amener ces rythmiques dans notre musique. Francisco Lopez, qui est d’abord un ami d’Etienne, joue très bien des percussions brésiliennes, que ce soit le pandero, la cuica. C’est donc lui qui les a interprétées.

Et on retrouve ces éléments en live ? 

Neman : Je joue beaucoup de ces percussions en live, donc tu retrouveras ces rythmiques…

Etienne  : Enfin l’essentiel.

Neman : Après il n’y a pas de berimbau, de cuica. Lui ne pouvant pas être présent.

(Etienne fait la grimace)

Je sens que ça t’embête Etienne…

Etienne : Non mais on devait être trois ce soir, le troisième n’a pas pu venir et c’est vrai qu’il refait les percussions qu’il y a sur le disque. Alors non ce n’est pas un problème, mais ça enrichit le live.

Dernière question pour toi Etienne…

Neman : Peux-tu nous chanter… Annie Cordy ! (rires)

Peux-tu nous parler de ta collaboration avec les Red Hot Chili Peppers ? Tu as joué du saxophone avec eux au Stade de France ? 

Etienne : C’est fou hein. J’étais le premier surpris. En fait j’ai un copain qui m’a appelé deux jours avant pour savoir si je pouvais venir jouer avec un groupe de passage à Paris. J’ai dit oui mais je ne savais pas que c’était pour eux. Après l’histoire je peux la développer pas mal parce que c’était quand même un moment assez fort, au Stade de France avec 80 000 personnes. C’est un truc que je ne suis pas prêt de revivre. C’était sympa, pas forcément un échange humain incroyable non plus, mais c’était rigolo de répéter dans les loges, sachant que je n’avais même pas fait de balances. J’ai joué pendant le rappel avec eux, ils m’ont annoncé, et c’était très sympa. Puis il m’ont remercié et dit au revoir, je les avais dépanné en somme. Tu sais, il faut s’entraider entre musiciens, il faut de la solidarité… surtout avec les Red Hot. Mais c’est impressionnant, ils ne sont pas nombreux sur scène et le contexte était incroyable. Et puis c’est vrai que c’est dingue, 80 000 personnes, même s’ils applaudissent mollement ça fait énormément de bruit. J’ai dansé avec Flea. Oui parce que dès que tu arrives dans les loges, ils sont déjà tous torse nu, c’est très californien. Ils sont devenus straight edge: tout est vegan, il y a des enfants partout et pas une goutte d’alcool.

Neman : Ils sont un peu obligés maintenant avec tous les problèmes de drogue et d’alcool qu’ils ont eus. Enfin, « obligés »…

Etienne : Ils se sont calmés quoi.

Vous pensez déjà à la suite pour Zombie Zombie ? 

Etienne : Ah non non non.

Neman : Surtout pas (rires). Future is now.

Etienne : Carrément, et on a toujours fonctionné comme ça, on n’a jamais trop réfléchi. On est plutôt ouvert à des propositions, on saisit les opportunités. La spontanéité ! Et pas seulement venant de nous d’ailleurs. Pour l’album de Carpenter, on était venu nous voir pendant un festival en nous disant que notre musique ressemblait beaucoup à celle du réalisateur et c’est là qu’on nous avait suggérer de faire un concert avec que des reprises. Ca nous a plu et on l’a enregistré.

Neman : On va pas mal jouer avec ce disque, on a des projets autour du disque : on a envie de jouer avec plus de musiciens, sur quelques gros événements.

C’est déjà booké pour 2013 ? Vous pouvez nous donner quelques noms ? 

Neman : Oui mais on ne peut pas donner de noms pour l’instant. Ce sera plutôt en Europe, mais en tout cas sur certains concerts, on est en train de monter un gros ensemble de musiciens pour jouer l’album. Et ce sera vraiment excitant d’avoir une dizaine de musiciens (deux batteries, un percussioniste, une section de cuivres, un choeur sur Sun Ra…)

Etienne : On va essayer, ce sera un défi.

Neman : Et on va peut-être faire la musique d’un film, même si on n’en parle pas trop pour l’instant. Ça risque de nous occuper aussi. Donc a priori on a de quoi faire pendant quelques temps.

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Propos recueillis par Sophie Brignoli
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