Une fois par mois, la librairie Grangier nous file des bouquins pour qu’on les lise et qu’on vous dise ce qu’on en pense. Plutôt cool comme job. On démarre avec Snuff de Chuck Palahniuk.

Chuck Palahniuk, dans la mémoire collective de la génération Y, c’est avant tout Fight club, surtout la version proposée par David Fincher au cinéma en 1999.

Il écrit Snuff en 2008, mais c’est en septembre 2012 que le bouquin sort en France, traduit par Claro (encore lui, on vous en parlait dans notre numéro papier sorti cet automne) pour les éditions Sonatine qui, après six années d’existence, proposent cette année la centième publication d’un catalogue plutôt bon.

Sur Wikipédia, un snuff movie est défini comme étant « un film, généralement pornographique, qui met en scène la torture et le meurtre d’une ou plusieurs personnes ». Tu connais peut-être le genre si tu as vu 8mm / huit millimètres, un film nineties avec Nicolas Cage (si tu ne l’as pas vu, on vit plutôt bien sans).

Snuff, c’est le roman du désespoir accepté, d’une résignation chorale. On y croise des personnages à la marge, dévorés socialement et sentimentalement, à côté de tout, mais qui veulent marquer leur vie respective en participant à une orgie définitive. Imagine une file interminable de 600 hommes venus participer au tournage d’un porno avec une star en bout de course : « la blonde hitlérienne » Cassie Wright.

Elle en a vu, Cassie, blasée de tout et proche de la quille. Elle décide d’achever sa carrière en faisant ce qui n’a jamais été fait, un gang bang avec six cents invités dont elle sait qu’elle ne sortira pas vivante. C’est le moyen qu’elle choisit pour donner un sens à sa vie misérable et entrer dans la légende. C’est toi qui vois Cass’, à chacun son Everest.

« Si Cassie Wright se tape six cents mecs,
elle bat le record mondial et la production
détient le film de la saison. Mais si Cassie se tape
que cinq cent quatre-vingt-dix-neuf types,
c’est rien qu’une grosse salope »

Parmi les prétendants au grand frisson, trois hommes, Mr 72, Mr 137 et Mr 600, d’après le numéro qui leur a été attribué, écrit au feutre sur leurs peaux grasses, comme sur les éléments apeurés d’un bétail qui se rend à l’abattoir. C’est de ces trois mecs dont il va être question. Au fil des chapitres, tour à tour, on découvre l’inventaire des frustrations et des pulsions irrépressibles qui les conduit là, au milieu des corps dénudés qui se jaugent, concentrés sur une indispensable érection.

Le va-et-vient des hommes en direction de la star horizontale est orchestré par Sheila aka « la fille au chrono », régisseuse revêche et aigrie qui reçoit les confidences et les doutes des prétendants à l’extase glauque. Les confidences, c’est pas ce qui manque, chacun porte sur lui les stigmates d’une vie gâchée, les rebondissements et les révélations s’enchaînent dans un rythme soutenu, parfois excessifs. C’est un peu « amour, gloire et beauté », les fringues en moins.

Le porno est le prétexte choisi par Palahniuk pour écrire un roman qui, bien que chargé en vannes potaches, est une exploration mentale, l’IRM d’une Amérique qui chérit ses légendes hollywoodiennes et qui ne sera jamais à la hauteur de ces représentations. L’histoire est grotesque, l’intrigue haletante, certaines scènes dérangeantes, c’est métaphorique et bien emmené et surtout,  on rit beaucoup après s’être détaché du premier degré pour accepter d’être spectateur de l’absurde. La poursuite acharnée d’ambitions dérisoires décryptée par un auteur facétieux qui revendique à longueur de pages une affection indiscutable pour les personnages de ce huis clos. Lis-le ! On en reparle.

– Georges 

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Chuck Palahniuk, Snuff, traduit de l’anglais (USA) par Claro.
Sonatines, septembre 2012, 213 pages, 16,50 euros.

À retrouver dans les rayons de la librairie Grangier (14, rue du Château) avec les jolis marque-pages « Sparse a aimé » qui vont avec.

Les coups de coeur de Grangier :

L’homme à la carabine
Patrick Pécherot, folio, 2012, 320p.

Le portrait-mosaïque du plus touchant des membres de la bande à Bonnot, qui terrorisa la France il y a un siècle. Mémoires fictives, photographies commentées, fragments de journal, épisodes romancés de la sanglante épopée : l’auteur sait reprendre à son compte l’argot de l’époque pour redonner corps et son esprit libertaire à André Soudy, vierge de crimes mais guillotiné à 21 ans.

 

 

Les heures silencieuses
Gaëlle Josse, j’ai lu, 90p.

A partir d’un tableau d’Emmanuel De Witte, le journal intime d’une femme du XVIIe siècle au coeur de la Hollande. Son enfance, son mariage avec un responsable de la Compagnie des Indes, le destin de ses enfants et un lourd secret… Un roman d’une grande élégance, méditatif et sensible.