Samedi 23 février. 20h25. Je me rends à La Vapeur pour une date dijonnaise des Nuits de l’Alligator. Un festival qui vise à nous réchauffer au cœur de l’hiver à travers la France (comprendre selon leur site ,Paris et la « province », nous, aborigènes des étendues indignes) avec des groupes amateurs de six-cordes couillues ou distordues qui sentent bon le Bourbon… ou qui sont censés.
Et tout ça en surfant sur cette vague folky qui inonde les ondes en ce moment à coup de joues mal rasées et de cheveux gras, de quoi réjouir les minettes depuis que Jack White fait de la soupe. Mes chers Sparsiens et chères Sparsiennes -à défaut d’être Parisiens ou Parisiennes- on ne s’était pas vu/lu depuis nos escapades bizontines et ce soir, sur le trottoir de l’avenue de Stalingrad, ça caille autant qu’en décembre à Besac’. Alors votre fidèle serviteur en attend après les reptiliens qu’ils lui réchauffent le cœur et le corps.
Le club de la Vap’ est blindé : déjà ça, ça fait plaisir. Les Rainbones ne tardent pas à monter sur scène. Le trio balance une intro instrumentale classieuse, quasi-surf. La basse est au top niveau réglage et composition, et le restera tout le long du set. Les trois Dijonnais s’entendent à merveille. Mais après quelques minutes et l’arrivée du chant, j’attends que la machine se lance, la locomotive -restons Americana-, mais le gentleman à la guitare arrive difficilement à me satisfaire. Il y a de l’idée mais ça manque de charbon dans la chaudière, pourtant la section rythmique est impeccable. Les grandes roues ont dû mal à trouver le rythme, on va dire que ça tourne pas à plein régime. Et puis c’est con à dire mais c’est rare de voir des groupes de ce genre qui assument la langue française. Après tout pourquoi pas, un peu d’audace, les gars ! Ça peut avoir de la gueule et surtout, le drawl et le twang sudistes, malheureusement, ça ne s’invente pas.
Le blues-rock de Don Cavalli
Je laisse un artiste dijonnais que je ne mentionnerai pas parler à ma place en des termes exacts ici : « Ouaaaais, du bon blues-rock mais j’préfère encore entendre des vieux blacks ricains faire ça, plutôt que des bons franchouillards. » Sourire.
L’heavy-folk de Wovenhand
Après une session balance laborieuse et des échanges entre le roadie dreadeux et l’équipe son de la Vap’, le plateau est prêt. Il faut dire que ce cher David Eugene Edwards chante sur deux micros. Pas évident d’éviter les larsens. Sûrement pour ça qu’il remue tout le temps la tête.
Les lumières se tamisent, pas le temps de mettre mes bouchons que les premiers accords crachent. En un coup de médiator, tu sais que ça y est, ils ont lâché les alligators, tu sens la poussière des terres ocres, tu es habité, dans ton thorax gelé par ta pause clope, par l’esprit de la folk. « D double E » chante tantôt dans son micro old-school au son de vieux téléphone, tantôt dans l’autre, qui ne modifie pas sa voix. C’est là que tu entends toute l’étendue du talent du mec du Colorado, les cordes vocales qui résonnent dans la cour des grands. Il faut dire que Mr Edwards tourne depuis le milieu des années 90. À l’époque, c’était avec son groupe 16 Horsepower… Je tends l’oreille pour écouter les paroles qui sont tout aussi nickel que le reste malgré la teneur chrétienne : hé oui, le gadjo du Colorado est un fervent dévot de Jésus. Après tout, chacun son truc et puis ce son vintage du micro rend le prêche d’autant plus superbe. Mais voilà, problème, les larsens incessants et les décibels mal canalisés commencent à rendre mon écoute désagréable. Encore quelques sons de la cavalcade heavy folk en slow motion des six Mains Tissées et votre aimable serviteur jette l’éponge. Quel dommage. « It is finished. He has loved them all… »
Sous les flocons de neige dijonnais, je peste contre ce grand mystère, plus vaste que les étendues américaines ou la rédemption judéo-chrétienne quand on connait l’expérience des mecs derrière les tables de la Vap’ : pourquoi tout le temps ce son qui déraille ? Un petit Jim Beam et du Wayne Hancock sur les enceintes, et votre fidèle serviteur s’endort. See you later… alligator.
– Anthony Ghilas
Photo : DR