Sorti tout droit de la classe culture de l’IUP Denis Diderot il y a quelques années de ça, Nico Dorbon est aujourd’hui le programmateur du Human Beatbox Festival, co-organisé par les associations Zutique Productions et Octarine. À quelques jours du début des festivités, on a partagé un café avec lui et tenté de comprendre en quoi consistait véritablement son job. Éléments de réponse.

 

Tu t’occupes particulièrement du festival de beatbox, mais est-ce que tu programmes également les autres événements organisés par Zutique ?
J’ai toujours géré la programmation du Human Beatbox, avec l’appui et les conseils du reste de l’équipe. Si tout le monde est d’accord sur mes choix, on fonce. Lorsqu’il y a des réticences, on en discute toujours. Sur le festival Tribu, c’est plutôt Fred (le boss de Zutique, Fred Ménard, ndlr) qui s’en occupe et moi qui suis assistant de programmation.

Tu es donc amené à scruter des genres très différents entre le beatbox, le jazz, la world music…
En world et en jazz, je suis clairement beaucoup moins spécialiste que Fred. Je suis plutôt dans tout ce qui est hip hop, soul, funk mais je ne me cantonne pas à ces styles, j’écoute de tout. D’ailleurs, c’est un peu l’enjeu du festival : de ne pas programmer que du beatbox sorti de la branche hip hop mais du beatbox qui peut se marier avec des musiques du monde, du jazz… J’aime beaucoup ces mélanges.

Comment ça se prépare en amont, un festival comme celui-ci ?
C’est un peu particulier le beatbox à programmer, parce qu’il n’y a pas énormément d’événements consacrés à ce style. Le Human Beatbox Festival est le seul festival européen de ce genre. Le beatbox existe surtout à travers des championnats et tous les organisateurs de championnat, que ce soit en Europe ou même aux États-Unis, s’arrangent pour qu’il n’y ait pas qu’une seule soirée de championnat mais qu’il y ait aussi des concerts la veille, le lendemain… Évidemment je ne me déplace pas sur tous ces championnats dans le monde ; d’une part car je n’ai pas les moyens et ce n’est pas toujours l’endroit où tu découvres vraiment les meilleures choses artistiquement parlant. C’est beaucoup de performances, de technique. Je fais partie du collectif Beatbox France qui organise les championnats de France et je connais la plupart des beatboxers français. Je commence à connaître aussi les musiciens qui s’intéressent à ce style, ce sont plutôt eux qui me parlent de leur collaboration, de leurs idées…

Une des particularités du festival, c’est bien sûr l’organisation de master class et d’ateliers de pratique. Pourquoi cette démarche pédagogique ?
C’est tout d’abord pour faire connaître ce style mais aussi pour faire naître des vocations. Au premier championnat de France à Angers en 2006, dès le départ, Ezra a mis l’accent sur ces ateliers, de façon à ce qu’il y ait de la pédagogie en amont, ou pendant, pour sensibiliser le public sur ce qu’était le beatbox. Les ateliers en centre sociaux, collèges et écoles de musique ont eu à chaque fois un impact énorme. C’était une pratique nouvelle dans les MJC aussi, pour ceux qui avaient l’habitude de faire des ateliers d’écriture, de graffiti, le beatbox est arrivé comme un nouveau souffle dans cette forme d’exercice. Déjà, ça ne nécessite aucun matériel à part un micro et des enceintes, et encore ce n’est pas obligatoire, donc les gens peuvent le pratiquer tout le temps, n’importe où. On voit que ça porte ses fruits parce qu’aux championnats chaque année, les candidats sont de plus en plus jeunes.

Il faut avoir un minimum de connaissances en beatbox pour s’inscrire à la master class ?
Oui, la master class est destinée à des beatboxers et des musiciens qui pratiquent. Par contre, l’atelier d’initiation est ouvert à tous et réunit toujours un public très hétérogène. Pour la master class cette année, on fait venir Reeps One, un beatboxer anglais qui est aussi un très gros technicien. Il travaille depuis quelques années sur la sonorisation du beatbox et selon lui, chaque beatboxer devrait avoir un ingé son. Il explique que certaines fréquences doivent être coupées, d’autres pas, c’est assez particulier. Ce sera le thème de cette master class qui sera donc destinée à des beatboxers mais aussi à des sonorisateurs.

Vous organisez pour la première fois cette année un concert jeune public.
Oui, c’est nouveau. C’est une idée de La Vapeur qui a commencé son nouveau projet autour de rendez-vous réguliers avec des concerts jeune public, à l’image de Rich Aucoin pendant le dernier festival GéNéRiQ. Le concert n’est jamais adapté spécialement pour les enfants, les artistes jouent simplement un peu moins fort. Quand j’en ai parlé à Bauchklang, ils ont tout de suite accepté.

Justement, pourquoi avoir fait ce choix d’inviter à nouveau Bauchklang ?
Ils sortent un nouvel album et c’est le premier groupe de beatbox que j’ai découvert en 2000. À l’époque il y avait déjà eu quelques trucs de Rahzel dans l’album d’IAM, mais Bauchklang, c’était la grosse claque d’un groupe de cinq mecs qui n’utilisent que leurs voix. Depuis un de leur concert auquel j’avais assisté il y a dix ans, j’ai très rarement vu un truc qui m’a autant soufflé en live.

On trouve également Mesparrow dans la prog. Même si elle a recours à des techniques de beatbox, elle est très loin de cette esthétique. Pourquoi ce choix ?
Parce que j’ai vraiment craqué sur sa voix et la manière dont elle l’utilise. Et puis on a eu beaucoup de retours au fil des éditions du festival : avoir du beatbox tout le temps c’est bien, mais pour un public qui n’est pas à fond dans ce style, en écouter pendant quatre heures, ça peut devenir un peu dur, même si ce sont des choses différentes qui se succèdent. Une artiste comme Mesparrow permet de respirer un peu en milieu de soirée avec une formation qui n’est pas purement beatbox mais qui travaille de la même manière sur l’utilisation de la voix et des techniques. Et puis, elle a quand même une bonne maîtrise des techniques de superposition de voix, de souffle, de respiration. C’est également un coup de cœur de Yann Rivoal de La Vapeur qui coproduit cette soirée. Après quelques hésitations, à se demander si le public n’allait pas trouver ça bizarre de la voir dans le festival, on a pris le risque.

Tes coups de cœur du festival ?
Mesparrow déjà, parce que c’est un peu l’ovni de la programmation et que j’ai hâte de voir les réactions du public. Sinon c’est vraiment Reeps One mon coup de cœur. À seulement 23 ans, il est constamment en recherche, il a une sorte d’aura auprès de tous les beatboxers, pourtant il est resté humble et très cool. Quand on le voit en live, sur les championnats en Angleterre par exemple, c’est le seul mec qui arrive et fait des compositions de deux minutes alors que tous les autres organisent des réponses de 30 secondes environ. C’est la première fois qu’il vient en France pour présenter son show avec un vidéaste, il a bossé sur de la cinétique, chaque fréquence qu’il utilisera aura une répercussion directe sur la vidéo projetée soit avec du sable, de la peinture…

Tu peux nous en dire plus sur Lévi Flow ?
C’est une des découvertes du festival, un Dijonnais dont on ignorait l’existence, un mec qui est sorti de sa chambre et qui beatboxe. On ne l’avait jamais vu à aucun atelier, il n’a jamais fait le festival. Au départ il est saxophoniste et il s’est mis au beatbox il n’y a pas très longtemps. Il allie donc ces deux choses en live. C’est lui qui est venu nous voir spontanément pour nous proposer ce projet. C’est très rare que les mecs viennent te voir comme ça à Dijon, c’est même la première fois que ça arrive.

C’est déjà la 6ième édition cette année. Vous pensez avoir véritablement un public qui vous suit ? C’est pas un peu compliqué de renouveler la programmation d’un tel festival ?
C’est un questionnement qu’on a pratiquement depuis le début. Après la première édition, qui était couplée avec le deuxième championnat de France de beatbox, on s’est demandé si on pouvait continuer à porter le festival l’année suivante, sans le championnat. On a décidé de tenir le pari et ça a marché, mais la question s’est ensuite posée chaque année. Il se trouve que nous avons pour l’instant réussi à trouver des têtes d’affiche capables de remplir la grande salle de La Vapeur et c’est principalement ce point qui devient problématique. Dans un montage de projet comme celui-ci, l’économie est toute petite et la billetterie est une part importante dans le budget du festival, donc on peut difficilement se passer d’une grande salle à La Vapeur. C’est plutôt à ce niveau qu’il y aura peut-être des changements l’année prochaine parce qu’en beatbox, à part Rahzel -qui ne viendra jamais- on a déjà eu Kenny Muhammad, Bauchklang, Reeps One, Kid Lucky… ça fait un bon paquet de têtes d’affiche et il n’y en a pas tellement d’autres finalement. On va voir comment se passe cette édition et éventuellement nous repasserons sur un autre format de festival, avec peut-être plus de créations, sur de plus petites jauges…

– Propos recueillis par Sophie Brignoli
Photos : DR 

 Human Beatbox Festival, du 04 au 07 avril à Dijon.
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