Cette semaine, une bien belle bédé à l’encre sèche… Tout en noir et blanc. Une bédé sur l’Amérique de la fin du 19ème avec guitares, banjos et marchands ambulants : Blackface Banjo de Frantz Duchazeau.
Duchazeau, dessinateur et le scénariste, m’avait déjà scotché avec son Dieu qui pue Dieu qui pète et Meteor Slim, je vous en avais parlé ici, une bédé avec du blues et des gargotes, les Juke Joint.
D’abord avant de vous parler de l’histoire, un mot sur l’encre sèche, la technique employée par Duchazeau. Honnêtement après quelques recherches sur le net, je suis incapable de dire en quoi ça consiste, mais qu’est-ce que c’est beau ! Ça ressemble un peu au dessin au fusain, en beaucoup plus net, plus clair. Ça ressemble vaguement aussi au dessin au crayon de papier, peut-être que c’est ça… Ça créé des noirs profonds, intenses et aussi des dégradés de gris, des crayonnés absolument classe. En plus notre Duchazeau est un minimaliste. Il s’ennuie pas avec les décors : c’est blanc, ou simplement quelques coups de crayons pour faire les planches d’une palissade. Deux-trois points sur le sol pour faire le gravier. Bon, c’est pas parce qu’il ne sait pas dessiner. À côté il nous offre des pleines pages de villes américaines, toujours en noir et blanc, très détaillées, très belles. Espèce de villes d’ombres écrasées par la chaleur du sud, avec ce noir et blanc intense. Du coup, on se concentre sur l’histoire, la narration simple, le regard passe vite fait d’une page à l’autre. Les cases aussi. Ah ça ! Y s’embête pas : toujours 9 cases toujours rectangulaires. Un beau gaufrier régulier. Alors ça implique quoi ça ? Comme c’est rectangulaire vers le haut… et ben, ça donne de la verticalité à tout l’album. Et l’assise, l’équilibre, la verticalité, c’est une bonne partie de l’histoire.
Nous voici en présence de notre héros, un jeune black dans cette fin 19ème, paumé, vagabond mais surtout unijambiste… vous voyez les truc de l’équilibre là ? Sur sa guibole en bois, il est capable de danser, d’envoyer des loots, triple boucles piquées dignes de Candeloro dans sa grande période. Et un jour, il croise un bonimenteur, vendeur ambulant dans une carriole de l’époque. Notre héros, avec sa jambe folle et sa gigue, joue à celui qui est guéri par la potion vendue par le charlatan. Ça marche, il se font des sous et un jour, le héros goutte cette potion… il emmanche un banjo et envoie là une musique trop cool. Transcendé, sublimé par la fiole, il devient un magicien du banjo. En fait, dans le flocon, c’est juste de la flotte. Le type est simplement un autodidacte du feu de dieu… Genre dieu voodoo.
Bon, ça c’est que le tout début de l’histoire. Il y a aussi une charmante demoiselle dont notre banjoman s’entiche et un indien, quasi mutique. Un personnage à la Lynch ou étrange comme l’indien dans Vol au dessus d’un nid de coucou qui en sait plus qu’il ne veut en dire. En toile de fond, une étrange bande le coon coon klan s’attaque et crame les minstrel shows, les spectacles qui tournent en dérision les noirs. Spectacles en vogue aux États-Unis jusque dans les années 50, dans lesquels -oui, oui- des acteurs blancs se déguisaient en noirs et jouaient les pauvres types avé l’accent, sans les « r » et avec des « missié » partout.
C’est un super roman graphique qui s’étale sur 144 pages entre musique et univers forain aux lisières des villes et de la légalité. Il y a pas mal d’humour, de dérision et du coup ça donne l’étrange impression d’être une espèce d’histoire de Pieds Nickelés américains.
Et cerise sur le gâteau, il y a relativement peu de texte à la place, un bon nombre d’échange sont faits avec des pictogrammes. Et ça, ça marche super bien. Pour dire « jambe » par exemple, et ben, on voit… une jambe dans la bulle.
Dernier élément, il y a de jolis clins d’œils ou détournements : Blackface Banjo, le héros, a la même tronche que les personnages caricaturés des Minstrels Shows, les types du coon coon klan ressemblent aux Frères Jacques et deux-trois ombres ici ou là font penser aux voleurs de Tomi Ungerer.
Une bien belle bédé en noir et blanc sur l’Amérique ségrégationniste, mais vous avez compris ce thème est simplement ici le fond social dans lequel évoluent nos personnages entre arnaque, joie et déception.
– Martial Ratel
Blackface Banjo – Frantz Duchazeau – édition Sarbacane, 24 euros
La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.