C’est avec un plaisir non dissimulé que je vais pouvoir vous parler de The Cure, auteurs de ce que d’aucuns appellent des chefs d’œuvres comme Boys don’t cry, Let’s go to bed, A Forest, Lullaby ou Killing an arab. Mais, hélas, le plaisir associé à The Cure s’arrêtera après l’évocation du titre de la bédé du jour, qui n’est pas une bio sur les corbeaux de Crawley mais une adaptation de L’Étranger, de Camus, par Jacques Ferrandez.
Très honnêtement, j’avais tout ou presque oublié de ce roman. J’avais bien le vague souvenir d’une scène sur la plage. Je me souvenais assez bien de l’attitude nonchalante du personnage principal. Mais face à qui ? Difficile de répondre. Je vais considérer qu’il y a au moins un quart de la population française qui nous lit et qui a oublié, elle aussi.
Ça se passe en Algérie. Algérie française. Un 1940 tassé. Le bouquin a été écrit en 42. Meursault, le personnage principal apprend le décès de sa mère. La célèbre phrase qui ouvre le roman est : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » Meursault enterre sa mère et le soir même, il séduit une charmante demoiselle. Son voisin de pallier est un marlou. Une espèce de maquereau qui devient son ami. Lui survole à peu près tout ça sans être vraiment en contact avec les situations. Et puis, sur une plage, il tue. Il vide le chargeur du flingue que son pote le marlou lui a confié. Il flingue un arabe.
Rappel. Pour les plus jeunes ou ceux qui auraient vécu dans une famille pro-OAS. Jusqu’en 1962, la France colonise l’Algérie. Et bizarrement, on divisait là-bas le monde en deux catégories sociales : les Français, tout en haut et les Arabes, tout en bas…
Donc, notre arabe descendu pour des histoires de fesses sous couvert d’histoire familiale, Meursault est jugé et condamné à mort.
Voilà, le squelette de l’histoire. Alors, pourquoi donc ce roman a-t-il connu un tel succès mondial ? Grâce bien sûr au style et à l’esprit de Camus. Le monde tourne autour de Meursault sans pour autant qu’il décide de s’en saisir, de faire corps avec. Et ce détachement, cette légèreté le condamnera à la guillotine, bien plus que pour avoir tué quelqu’un. Un arabe sur l’échelle des valeurs coloniales, ça valait pas le même prix que le reste. Le procureur lui reprochera son absence de larmes aux obsèques de sa mère, son aventure amoureuse le soir même, son athéisme…
Ambiguïté et je-m-en-foutisme
La situation et les reproches faits à Meursault sont tellement énormes et eux aussi tellement en décalage par rapport à l’acte à condamner que tout devient absurde. Absurde, tragique et grave, hein, pas un absurde de petites blagues.
Tout est ambiguïté. Pourquoi Meursault est-il si absent de certains moments ? Son je-m-en-foutisme est il une pose, une attitude philosophique, un penchant naturel ? Est-il tout le temps comme cela ou est-ce la mort de sa mère qui l’abat, le bouleverse à ce point ?
Vous voyez, j’ai toujours pas parlé de la bédé. Pas qu’il n’y a fondamentalement rien à dire du dessin. Il accompagne finalement très bien le texte de Camus en se faisant oublier, comme un bon arbitre de foot. On est avec un dessin-couleur réaliste, archi conventionnel. Les couleurs méditerranéennes sont saturées de soleil. Couleur pastel. C’est bien sans être virtuose. Le dessin n’est pas là pour en mettre plein les yeux. Ferrandez serait même plus un bon coloriste qu’un grand dessinateur. La bonne idée dans la construction des planches, c’est de mettre les cases sur de grands paysages et de faire des cases très serrées sur les personnages. Voilà, c’est une bonne bédé comme un bonne piqûre de rappel qui donne envie de relire le texte de L’Étranger et d’écouter… Killing An Arab des Cure. Le Bob Smith ayant repris l’épisode de la plage lorsque Meursault vide son pistolet sur l’arabe.
– Martial Ratel
L’Étranger, d’après Camus, Jacques Ferrandez – Gallimard, collection Fétiche, 136 pages, autour de 22 euros
Killing An Arab, The Cure, 45T, décembre 1978 – face B 10:15 Saturday Night, label : Small Wonder, à partir de 21 euros en occaz.
La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.