Mais qui es-tu, Lionel « Fox » Magal ? À l’occasion du week-end One + One, qui s’est tenu à la Ferronnerie le 15 juin dernier, on a eu la chance de taper la causette avec ce vieux briscard, musicien-cinéaste-homme de radio, bourlingueur insatiable, de passage à Dijon pour dédicacer son bouquin « Crium Delirium – The Psychedeklik Road Book ». Une heure d’échange arrosé d’un verre de blanc où il est question de l’underground des années 60/70, de sexe, du Dalaï-lama, de Bernard Kouchner, de Radio Nova et d’acid trip. Entretien psychédélique (partie 1/2).

Lionel Fox

Bon, Lionel, comment on pourrait te présenter ?
Je suis le représentant d’une noble entité qui s’appelle Crium Delirium. Mon nom, c’est le renard. Puis je me suis anglicisé, c’est devenu Fox. Alias Lionel Magal. En basque on m’appelle aussi Sofio Arizaleta. Me présenter, c’est difficile car je suis pour le coup un vestige d’une période où on partait sur la route. C’était à la fois le voyage intérieur et le voyage on the road, avec sexe, drogue et rock’n’roll. C’est une période qui démarre en 1947. Dans le ventre de ma mère. J’ai commencé à travailler et à ressentir les vibrations et les odeurs de ce qu’était la musique. Mon père était déjà musicien, il avait fait les beaux-arts d’Alger. Mon père a fait le débarquement avec les Américains, avec son saxophone.  Dès l’enfance, mes parents m’ont transmis ça.

Mais pourquoi le renard comme surnom ? Parce qu’en fait c’est une histoire de poulailler. Je revenais de l’Inde, ambiance sexe, drogue et rock’n’roll. Tout était ouvert, tout était possible, donc pour moi y’avait pas de problème avec les nanas dans un groupe. Mais les mecs qui étaient plutôt des manouches ne voyaient pas ça du même œil. Et ils m’ont appelé le renard. Le renard dans le poulailler.

C’était comment ta jeunesse ? Août 1948, j’avais un an et je travaillais à mettre le chaos et le désordre là où mon père faisait du film d’animation avec ses copains. Mon frère est arrivé par la suite, en 1951. On est parti très tôt avec mes parents -ils voyageaient beaucoup- aux portes du désert, Boussahada en Algérie. Là-bas j’ai eu ma première érection à  7 ans et demi en recontrant les danseuses du ventre qui se véhiculaient avec quelques nomades qui jouaient des flutes et du gnawa. Elles m’ont pris dans leurs bras, dans un oasis et c’est la première fois que je voyais d’autres seins que ceux de ma mère. D’où ma première érection. C’était une ambiance très spéciale, comme dans ce film avec Humphrey Bogart.

Du coup tu voyageais pas mal toi aussi.
Oui, les voyages, les premiers avions… on partait de Marseille souvent pour rejoindre Alger. Mon père faisait aussi des décors de théâtre, il s’occupait d’un groupe de musique totalement improbable avec des nanas qui dansaient et qui faisaient : « mambo calico mambo, mambo calico yeah yeah ». Des nanas avec des poitrines pas possibles, des robes avec des plumes… c’était très chaud.

OK. J’ai ensuite fait des études d’arts appliquées à l’Industrie. Une formation polyvalente.  Là, ce bouquin, c’est la résultante de graphisme, d’images, de photos. En fait, c’est ma vie partagée. C’est aussi un hommage à mon frère qui a fait des études de musique à la Schola Cantorum. Il a étudié pendant 4 ans avec Ida Presti et Lagoya, grands musiciens classiques de guitare. Avec mon frère, on a commencé à jouer ensemble sur les instruments du groupe de mon père. J’ai pu récupérer sa vieille batterie mais j’ai commencé sur un plateau à tarte en achetant des balais.

C’est là qu’est né le Crium Delirium ?
Oui, c’était un gagne-pain. Car en plus de mes études, je jouais déjà le soir dans les boites de jazz et je faisais les premières parties de musiciens de jazz : Ornette Coleman, Marion Brown. Mon père nous y emmenait. Je voyais du jazz en veux-tu en voilà, des Français, des Américains… On a démarré comme ça avec mon frère. Le groupe va naître en 68 en fait. Moi j’étais déjà batteur dans un groupe avec un musicien qui s’appelle Jef Gilson. Et j’ai fait un album en 68 avec Eddy Louiss et Bill Coleman en big band, et avec plein de musiciens…Texier, Michel Portal… Tiens d’ailleurs j’ai aussi fait un album avec Jean-Luc Ponty, Gilbert « Bibi » Rovere, Jean Charles Capon, Jef Gilson… Jean-Luc Ponty que j’ai sensibilisé à la musique d’un groupe qui s’appelle The Mothers Of Invention avec Frank Zappa, que je vais rencontrer mais bien plus tard. En les programmant avec Captain Beefheart, qui vont m’inviter à Los Angeles. J’ai joué avec eux à LA au Roxy. Mais c’était une soirée de délire.

C’était quoi le concept du Crium Delirium ? C’est vite devenu une plateforme de rencontres telles que présentées dans ce livre, qui est comme je te le disais un hommage à mon frère décédé en 1998 en Inde alors que nous tournions un film sur l’initiation musicale d’un jeune lama, à Tabo dans l’Himalaya près de la frontière chinoise. En fait ce livre, c’est les « psykedeklik aventures » du groupe Crium Delirium.

Justement, parlons-en de ces aventures. Je suis parti sur la route en 1969, juste après les événements de 68. Sur la route, nous, musiciens itinérants de rock, étions en acid trip permanent. En fait, c’est là que j’ai rencontré toute la bande des Acid Tests, la bande de Ken Kesey, celui qui a écrit Vol au dessus d’un nid de coucou, les Merry Pranksters, qui se retrouvaient aussi dans mon atelier.

Ton atelier ? J’avais un atelier avec mon frère : on faisait à la fois du graphisme, de la presse underground avec Actuel. C’était un laboratoire secret du Crium Delirium, à Paris. On avait 500 mètres carrés, on faisait des installations, de la sérigraphie, en parallèle à des actions que nous développions en plus de la presse. J’ai commencé à faire mes premiers films en pâte à modelée. J’étais le premier en Europe dixit des spécialistes dans des gros bouquins sur le sujet. Ces délires cinématographies sont dans le DVD qui est joint au livre. Dans mes films d’animation, avec la pâte à modelée, j’y mettais des acteurs en pieds. Sur scène pendant la projection apparaissaient Adam et Eve nus. Là on est en 1970. C’était du spectacle total, tu vois.

CriumDelirium-PsychedelicBand

Comment tu te retrouves à bosser avec le magazine Actuel ? Je rencontre Jean-François, il rachète le titre Actuel, vient dans mon atelier avec quelques collègues et fait un des premiers numéros d’Actuel, version Bizot. Ils font ce numéro où il y a cet article rédigé par Bernard Kouchner qui parle de l’armée des clowns. D’une communauté qui est arrivée dans mon atelier par le plus grand des hasards. J’avais rencontré un indien qui s’appelle Rhye. Un sioux dans un très beau costume avec des plumes, des perles et des cheveux longs. Un jour il me demande : « Est-ce que tu veux tourner dans un film de la Warner bros ». Moi je dis oui, pourquoi pas, la Warner c’est sympa. Il me dit : « C’est des copains, ils arrivent d’un festival américain qu’ils viennent de créer, ça s’appeler Woodstock. » Alors je dis, mais c’est quoi ça ? Il me répond que c’est un grand festival :  « T’en entendras parler tu verras. Ils viennent en France après ce festival, ils passent par Londres, ils vont acheter un camion, ils passent par la Hollande où ils vont se recharger en produits miraculeux. Et ils arrivent à Paris chez toi, ça serait bien que tu les rencontres. »

J’imagine que tu les as bien accueillis. Ils sont arrivés lors d’une de nos dernières sessions au centre Américain, pendant que je faisais une performance où je distribuais des polochons à la salle et où je faisais des lâchers de poules. Ils sont rentrés dans la salle comme des freaks, des monstres, c’est la première fois qu’on voyait en France des hippies, des vrais, de tout âge. Ils ont pris les mains de toute l’assistance dans la salle et ils ont commencé à respirer et à envoyer une énergie, une vibration qui m’a fait tomber en arrière sur le ring sur lequel j’étais pour jeter les poules. Je me suis vu au dessus de mon cœur et au dessus du cercle. Je me suis dit : « Oh, s’ils peuvent faire des choses comme ça sans rien avoir pris, qu’est-ce que ça va être ! ». Car ils partaient sur les chemins de Katmandou rejoindre Timothy Leary, le pape du LSD. Ils ne savaient pas où dormir. « Est-ce qu’on peut dormir chez toi, on est 40 personnes ». On était déjà 40, on s’est retrouvés à 80 avec le bus magique qu’ils avaient emmené, peint, avec les tipis. Ils ont atterri à mon atelier, là où Kouchner est venu faire son article sur l’armée des clowns.

Comment il se retrouve là, Kouchner ? Bah c’était un jeune médecin-journaliste qui bossait avec Jean François Bizot. Bref, ce groupe d’individus qui arrive chez moi s’appelle la Hog Farm, la ferme des cochons. C’était une des grandes communautés américaines, avec la bande de Ken Kesey. Ils avaient été le fer de lance de Woodstock avec des médecins et des free clinic pour l’assistance médicale. Ils avaient comme vocation de distribuer la nourriture. D’où le nom de ferme des cochons.

Mais Actuel, toi tu y faisais quoi concrètement ? Comme je partais pour l’Inde, Jean-François m’a demandé d’être correspondant, pour écrire sur le voyage. En fait, en 2 ans de voyage, je n’ai envoyé qu’une simple carte postale. C’était ma première participation même si je n’ai pas fait le reportage.

 À suivre…