Si Ulysse avait été fan de black metal, alors il serait sûrement passé par Clisson les 21, 22 et 23 juin dernier. On vous a déjà raconté l’Iliade de cette aventure ici, il est temps de continuer avec nous cette délicieuse odyssée metallistique aux doux parfums de bière, de sueur et de cuir.

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Le retour sur le site des concerts, le lendemain, est des plus agréables. Après une longue nuit de 4 ou 5 heures, rentrer sur un festival la bière chaude à la main a un charme fou. Cette absence de jugement de la part de l’ensemble des protagonistes fait du bien.

Le site en lui-même est monumental. Peu de manifestations en Europe peuvent se targuer d’avoir un tel design : le moindre bar rappelle tout l’univers post-apocalyptique type Mad Max ou Fallout. Rien de lugubre dans tout cela, juste un esthétisme vraiment sympa. Une présentation ultra léchée, six scènes, et surtout le moindre espace décoré, arborant les couleurs du festival. On pourra s’installer à côté de sculptures gigantesque servant de braseros où, dès le crépuscule, on peut faire les hippies posés au sol. Ne manquent que les guitares folk.

Ce samedi est THE big day pour le Hellfest. Le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisque pas moins de 41.000 personnes déferleront le site pour aller applaudir Kiss ou ZZ Top. Pour nous, cela sera surtout l’occasion d’aller encore une fois voir les Américains de Red Fang (dont on vous parlait déjà ici) qui partagent le titre de « meilleur groupe stoner du moment » avec les Truckfighters (que Josh Homme, leader des Queens of the Stone Age a qualifié de « meilleur groupe qui n’ait jamais existé »), et que l’on verra ce dimanche.

Il y a toujours l’angoisse terrible de ne pas savoir quel groupe aller voir, puisqu’il y a en général trois concerts en même temps. Il y a le groupe qu’on a déjà vu plein de fois mais avec lequel on remettrait bien le couvert. Il y a le groupe qu’on aimerait bien voir en live au moins une fois. Puis il y a le troisième, celui avec un nom bizarre dont on nous a parlé la veille ou durant une soirée d’abus et d’excès. Et là, plutôt que faire des choix draconiens, on y va. On va le voir ce groupe qu’on ne connaît pas et on se dit qu’on n’a douté de rien finalement puisque le steak a cinq doigts dans la gueule qui en découle est en général plutôt monumental. Certes, cette option ne fonctionne pas toujours mais elle a déjà fait ses preuves… et notamment avec Uncle Acid & The Deadbats, un groupe de gros rock intriguant qu’on retrouvera, ça ne trompe pas, en première partie de Black Sabbath cette année.

Pogos, hématomes et fraternité entre inconnus

On ira ensuite, le cœur en fête et la fleur au fusil se faire littéralement engueuler par les bostoniens de Converge, dans une veine post-hardcore vraiment géniale. Personne n’est dupe, et très rapidement la Warzone mérite pleinement son nom tant les mosh pits se déchaînent devant le groupe.

Parlons en cinq minutes, d’ailleurs, de ces pogos. De ces violences amicales devant les batteries d’amplis Marshall, de ces hématomes qu’on garde pendant plusieurs jours et qu’on arbore fièrement comme des blessures de batailles. Il règne dans ces joyeux pugilats une amitié sincère entre inconnus. Si bien qu’il est plaisant de s’effondrer dans la terre martelée par les rangers car on est sûr que des dizaines de mains attentionnées se presserons pour nous relever de la poussière. Plus qu’une émeute de sortie de Lyon – St Étienne, on a l’impression d’une joyeuse bagarre générale de cour de maternelle où les coups sont surtout « pour de faux »

Photo 5Converge, mené par Jacob Bannon, chanteur et auteur de l’univers visuel du groupe. Photo : Metalorgie.com

Premier passage vraiment motivé sur l’une des main stage pour Down, groupe de southern metal. Ricain, évidemment. Du southern metal ? On obtient ça en mélangeant une ambiance de marécage, des drapeaux sudistes, du bourbon, un tempo lent, des guitares lourdes. La plus-value ici, c’est Phil Anselmo, ancien chanteur de Pantera, groupe mythique et mondialement reconnu. Un homme qu’on appelle « monsieur plus à l’aise sur scène que n’importe qui ». Une valeur sûre. On terminera ce concert en levant bien haut son verre de liqueur étrange à la santé du père du chanteur de Clutch, autre groupe américain annulant à la dernière minute sa venue en raison du trépas du géniteur sus-nommé. RIP, donc.

Et puis, il y a ces situations improbables de retrouver un pote ou une jolie fille de la veille au milieu d’une foule de milliers de personnes, au hasard des bousculades (bien que la plupart du temps une fois tes potes perdus dans la foules ça relève du « où est Charlie ? » grandeur nature). L’important, c’est de ne douter de rien. Comme ce mec qui va slammer sur Korpiklaani avec son Reflex et dont l’objectif a été sauvé par quelques gothiques prévoyantes. Ou encore un autre, qui se pose par terre au milieu des circle pits (pratique amusante qui consiste à courir en cercle au milieu de la foule), pour se griller une clope.

Liberté absolue

On verra encore une fois des choses merveilleuses, avec cette madeleine de Proust qu’est NOFX et qui nous fait tomber en adolescence, ou Immortal qui nous fait toujours autant rire avec son black metal au second degré. On se moquera allègrement des kids qui iront par milliers se marcher dessus pour être au premier rang devant les prestations de KoRn ou Bullet for My Valentine, groupe dont on se demande parfois ce qu’ils foutent sur l’affiche d’un festival comme le Hellfest. Question de gros sous, on imagine. Le concert à peine terminé, on essuie la sueur qui perle sur notre front -pas toujours la nôtre d’ailleurs après cette endiablée partouze qu’était le pogo devant les très fun Toy Dolls- et on se rend compte qu’il est déjà dimanche. Et qu’on a raté la messe.

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Monsieur Fat Mike de NOFX, qui s’est bien foutu de la gueule des métalleux ce soir-là. Photo : Metalorgie.com

Ce dernier jour sera, comme promis, le paroxysme d’un long orgasme musical qui aura duré 72 heures. Il y a ces larmes de fatigues qui coulent devant un Revolution Action d’Atari Teenage Riot. La surprise du featuring inattendu quand Barney, le chanteur de Napalm Death, se retrouve sur scène avec Volbeat. On hurle, on chante « comme si c’était la fin du monde » nous dira-t-on. On sera terrifié d’admiration devant la prestation de Ghost, groupe suédois assénant un genre de pop satanique (en exagérant un peu, cela reste du metal), tout en se parant des codes vestimentaires du black metal, le chanteur étant grimé en évêque à tête de mort, et les musiciens tous cachés dans les plis de larges robes de bures noires et masqués. Pour la petite histoire, personne ne connaît encore l’identité des membres de ce groupe, même si certaines suppositions ressurgissent régulièrement.

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Photo 8 : Papa Emeritus II, chanteur de Ghost. Photo : Hellfest Open Air.

On frémit encore en pensant au vaste n’importe quoi du camping le dimanche soir où une série de mecs cramés recherchent désespérément les plans du V2. On ne sait toujours pas pourquoi, d’ailleurs, chercher les plans du V2 dans les tentes de barriques à vin endormies. Dernier soir et déjà des élans de nostalgie. On peine à fermer les yeux tant la frustration de la rapidité de ces jours hors du temps est terrible. On ne sait plus trop quand s’est passé quoi, ni vraiment comment. On ne sait plus trop ce qu’on devait faire mais en tout cas, on l’a fait.

Le retour à la réalité est des plus violents. Le trajet du retour semble durer une éternité, seulement motivé par la perspective de retrouver une apparence décente une fois passé à la douche. Laquelle nous permettra, en voyant les larges coulées sombres qui s’écoulent par le siphon, de penser que les conventions sociales ont dû se sentir assez mal au Hellfest. 160€, c’est cher. Mais peut-être n’est-ce rien pour faire une fois par an l’expérience de quelque chose qui ressemble à la Liberté Absolue.

– Jérémie “Zak” Barral  & Martin Caye
Crédits photos : metalorgie.com et hellfest open air.