Si tu dis « théâtre classique » à la sortie des lycées ou des amphis, il y a de grandes chances que tu récoltes au mieux un sourire narquois ou un geste du dos de la main, façon tragédienne à la Sarah Bernhardt. Au pire, c’est l’éclat de rire en pensant aux culottes bouffantes, fraises de tour de cou et autres plumes épinglées sur les chapeaux. Pourtant, le théâtre a continué après l’époque des costards ridicules. Par exemple, en ce moment se monte un texte de Marivaux au Théâtre Mansart. Ça fait le grand écart entre le 18ème et la période actuelle. Ça s’appelle l’Épreuve et c’est mis en scène par Renaud Diligent. Sous ses dehors de garçon sage, il a un bon paquet d’idées pour réconcilier la jeunesse et les textes classiques. Alors, on l’a rencontré.

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Tu diriges une compagnie qui s’appelle « Ces messieurs sérieux », c’est vraiment sérieux ? Le nom de la compagnie vient de ma formation universitaire et de mon travail autour du metteur en scène polonais Kantor. Il y a une série de ces dessins qui s’appelle comme cela : Ces messieurs sérieux. Ce sont des dessins de ses acteurs qui montrent leurs fesses ou se mettent le doigt dans le nez ! Alors non, ce n’est pas très sérieux mais un pied de nez.

Quel est le pitch de l’Épreuve de Marivaux ? Ça raconte l’histoire d’un type qui s’appelle Lucidor. Il vient d’acheter une maison à la campagne pour fuir la vie parisienne. En arrivant, il tombe malade et amoureux d’Angélique, la fille de la gouvernante qui le soigne. Une fois rétabli, il se pose la question de savoir si la jeune fille l’aime pour ce qu’il est ou pour ce qu’il représente d’argent et d’héritage. Il met en place une épreuve pour tester cet amour…

Quelle est donc cette épreuve ? Pour le savoir, il faut venir au Théâtre Mansart.

Tu as la trentaine, on s’attendrait que tu rempiles avec un texte contemporain mais tu choisis de monter un auteur classique. Étrange, non ? J’avais envie de me confronter à cette langue-là, écrite au 18ème. Ça m’intriguait de voir comment on pouvait tordre un classique, comment on peut faire un peu péter les coutures, les faire craquer. Je ne voulais pas pour autant tout dynamiter et faire du contemporain avec un texte classique, mais faire arriver ce texte vers nous, aujourd’hui.

Comment as-tu choisi tes acteurs ? La distribution a été faite avec des fidélités et des rencontres. Je ne cherchais pas spécialement des acteurs qui colleraient à une idée des personnages mais je réfléchissais au groupe qui serait en scène, avec l’idée d’une famille d’acteurs.

Autre chose d’étrange, on entend les Stooges dans la bande son de ton spectacle ! J’utilise souvent des chansons ou des morceaux de rock des années 70 ou 80. Je fais une fixette sur cette période. C’est un truc avec ma génération. Si on peut ne pas s’entendre sur des morceaux du répertoire actuel, on se fédère sur ces classiques, comme le I Wanna Be Your Dog des Stooges.

Tu as choisis le Stooges sur son titre, c’est aussi une variante du jeu amoureux écrit par Marivaux ? À l’endroit où il est placé, oui. C’est une proposition faite par Christophe Pierron pendant les répétitions. Un comédien a fait une tentative sur une scène qu’on travaillait et Christophe m’a suggéré d’utiliser ce morceau. Ça a propulsé Guillaume, le comédien, et la scène s’en est trouvée renforcée. Ça permet, là aussi, de tendre les coutures de la facture classique de la pièce, d’être là où on nous attend le moins.

Des éléments de décor sont manipulés au plateau et produisent du son, c’est volontaire ? Oui. C’est un aspect technique qui rythme le spectacle avec des sons un peu stridents, un peu métalliques. Ça vient hacher le discours des comédiens, et nous évitent de tomber dans le réalisme.

Pour en revenir à cette histoire de classique, qu’est-ce qui ferait venir les 18/30 ans voir ce Marivaux ? Marivaux écrit pour des jeunes. Ses personnages sont des jeunes hommes et des jeunes femmes ! Il parle aussi de notre génération. Nous, on se fixe plus tard, c’est vers la trentaine qu’on fixe sa vie de couple par exemple. Cette envie de me confronter à Marivaux me permet aussi de voir comment ma génération construit sa vie. On dira ce qu’on voudra mais l’amour rassemble toujours et Marivaux posent des questions sur l’amour qui restent encore valables aujourd’hui.

– Badneighbour
Photo : Roxanne Gauthier

L’Épreuve, par Renaud Diligent et la compagnie Ces messieurs sérieux
Du 5 au 7 novembre au Théâtre Mansart
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