C’est pas parce qu’on est des fainéants et qu’on n’a pas fait de live-report depuis la nuit des temps, qu’on ne sait plus en faire chez Sparse. Comme en plus on était en nombre au concert des Suuns, dimanche 03 novembre au Consortium, on s’est dit qu’on pourrait quand même se sortir la plume de l’arrière train.

Suuns

On aime tout chez Suuns. Et ça tombe bien parce qu’on n’a pas tout retrouvé au concert. Depuis leur premier album Zero Qc, on apprécie le savant mélange électro et rock qui n’a pas peur de partir du côté pop ou disco de la force. Y’a aussi le côté post-punk qui est tout à fait appréciable. Bref, un bel équilibre de toutes ces choses qu’on a eu plaisir à retrouver cette année sur l’album Images du Futur. Quelques heures avant le set, on avait croisé Joseph, le bassiste/guitariste, le mec avec la grosse barbe. Et il nous avait prévenu : « En live, ce qui nous intéresse c’est de recomposer les morceaux de l’album ». Ben, ouais, c’est ce que nous sortent 50% des artistes qu’on rencontre. Le mec était à deux doigts de nous dire qu’ils allaient improviser sur scène. Sauf que les Suuns, il vont pas nous la faire, on les déjà vus. En 2011 et 2013, à la Route du Rock, leurs concerts n’étaient pas super différents des albums : une énorme basse qui masse le groin, un groove électro-rock, un chant poppy, tendu à mourir. Plus de force, plus de watts mais une belle restitution live réjouissante, en droite ligne des albums.

Image 1Lorsque les quatre Suuns ont lancé la bande-son « appel à la prière/appel au live » piqué à un bon muezzin, ça ne démarrait pas comme les autres fois, et c’était bon. Quand les Montréalais ont vraiment commencé à jouer, on a un peu perdu nos repères. Le premier quart d’heure nous a tout simplement bluffé. Oubliés les morceaux nets et tendus. Un vacarme sonique savamment (dés)orchestré chatouillait nos oreilles. Tout était à blinde, tout était au même niveau. La voix de Ben Shemie quasi inaudible. Les vagues noisy des guitares et des machines étouffaient l’ensemble. Le groupe semblait à deux doigts du big crunch : l’effondrement du groupe sur lui même suite à une débauche d’énergie. Pour tout vous dire, durant ces 15 premières minutes les Suuns ont joué pour le meilleur et pour le pire dans la cour des My Bloody Valentine. La surprise faisait place à l’interrogation : « Euh, c’est normal, ce bordel sonore ? C’est fait exprès ? Ils ont oublié leur sondier ? Elle est passée où la production léchée de l’album ? C’est la musique du siècle prochain ? » Et puis d’un coup, avec le titre Bambi (?) tout à basculé. L’énergie électro a repris le pas.

Suuns vs le public ?

Coucher des titres comme Sunspot, Minor Work ou Edie’s Dream reste assez rare parmi les groupes du moment. Pie IX ressemble à un horrible cauchemar et Music Won’t Save You annonce la fin du rock dans un monde capitaliste. Comme le reflet d’une époque à la vie sociale électronique, les Suuns crachent leur désillusion sur des basses lourdes qui vrillent la tête. C’est froid, malsain, et un peu flippant. Mais putain c’est bon. On plonge, on sort la tête de l’eau et on y retourne. Les quadras entendront un lointain écho de Joy Division et la génération Y est en train d’accrocher un groupe à son futur panthéon, pour 2020.

Image 2Mais au fait, il en pensait quoi le public du Consortium, en ce dimanche soir glacé ? Impossible de savoir, à vrai dire. C’est simple : on était à deux doigts d’imaginer qu’il avait peur d’applaudir à la fin des premiers morceaux pour ne pas gêner le groupe. Ou éviter de se faire mal aux doigts. Fatigue de fin de week-end ? Timidité maladive ? Taux d’alcoolémie trop faible à 19h30 ? Alors que la musique de Suuns peut parfois (souvent ?) se révéler euphorisante et dansante, les encouragements de l’audience étaient digne d’un Genlis – Fauverney le dimanche matin. Froids. Bon ok, sauf sur la fin.

À l’arrivée, on a trouvé ce concert mortel. Tout comme Pascal Arbez-Nicolas alias Vitalic, présent dans la salle pour dodeliner de la tête. Finalement, Joseph, le toujours barbu, ne nous avait pas menti. Leurs titres d’Images du Futur, taillés par le groupe pour le live, étaient presque totalement revisités. Les repères, nos repères, étaient chamboulés comme si les Suuns s’étaient taillés un nouveau costard scénique. Après la débauche électro groovy pour des grandes scènes de festival en plein air, les mecs ont pris le contrepied total. Puisqu’ils sont appelés à jouer dans des salles « rock » sur cette tournée européenne, autant y aller à font et repenser le set. Bien vu, bien joué. Quelques oreilles ont souffert, nous on a souri, on a sifflé, on a crié. On était heureux de réentendre les morceaux qu’on aimait tant, assaisonnés autrement et servis serrés. Très serrés.

– Martial Ratel, avec Docteur Lovelace et Pierre-Olivier Bobo
Photos : DR, chanouny
NB : Suuns (prononcez « sounsse ») signifie « Zéro » en thaï.