Quand j’ai appris que Nathanaël Mergui, une référence en photo de concert notamment dans le hip-hop, allait sortir un livre sur NTM, j’ai tout de suite eu envie de le questionner. Sur le livre d’une part, sur sa démarche d’autre part. En effet, Nathanaël combine là deux de mes passions (la photographie et NTM) et je voulais en savoir plus sur son travail avec un groupe que j’ai beaucoup écouté et qui a tant marqué le paysage rapologique français. Entretien.
Tu as assisté aux concerts de toutes les tournées depuis l’historique tournée des banlieues. Peux-tu nous dire quel parcours t’a amené si tôt vers le Suprême : voisins, amis, famille ? J’aime JoeyStarr et Kool Shen depuis le tout début, au moment où le groupe a été créé. A l’époque, ils passaient à la radio dans l’émission de Lionel D et DJ Dee Nasty et je les écoutais quand j’avais 14 ans. Au départ, ils étaient les seuls ou quasiment les seuls sur ce créneau. On écoutait avec les potes ; on était en 3e…
La photo de concert est un exercice difficile. On dit qu’il faut combiner plusieurs facteurs pour réussir une photo de concert : la lumière, le ressenti du photographe et son placement et, enfin, le charisme et l’énergie des artistes.
Sur ces deux derniers points, peux-tu nous dire comment s’est déroulée la genèse de ce livre : as-tu été libre de tes mouvements ? Selon toi, est-ce qu’il y a une spécificité NTM quand on shoote ? J’ai eu envie de faire un livre de photos depuis toujours, ça me semblait être le but ultime pour un photographe. J’ai bossé pendant cinq années avec le B.O.S.S. [le collectif de JoeyStarr] avant la reformation de NTM, où mon envie de faire un livre m’est apparue comme une évidence. Le déclic s’est produit après le Parc des Princes, dernier réel concert de NTM à Paris, et dans la configuration complète avec les guests, les moyens techniques, etc. Pendant ces trois séries de concerts, j’ai vraiment pu faire ce que je voulais, photographiquement parlant, et ne pas seulement faire du devant de scène. Sébastien Farran m’a même laissé monter sur cette gigantesque scène au Parc des Princes pour faire des images depuis l’endroit où se trouvaient les DJs, James et Naughty J. On le sait en tant que spectateur, mais la spécificité quand on shoote NTM, c’est que ça déménage, y compris pour les photographes. JoeyStarr est sûrement l’artiste le plus fort sur scène que j’ai vu dans ma vie avec Busta Rhymes, au point que, à la fin de chaque concert, j’étais épuisé.
Une singularité de ce livre, c’est la pertinence des propos et l’émotion que l’on peut ressentir à la fois dans tes textes d’introduction de chapitre, mais aussi dans ceux des différentes personnes qui interviennent. As-tu essayé de te détacher de cet affectif ou au contraire de le vivre pleinement ? J’ai voulu rendre hommage au Suprême NTM, mon hommage. Et, forcément, c’est un hommage à plusieurs facettes. En tant que photographe, j’ai voulu que le lecteur puisse voir les scénographies comme s’il avait assisté aux shows, bien évidemment avec ma sensibilité de photographe, ma touche perso. C’est l’hommage d’un ami, car en vingt-trois ans de photos de hip-hop, j’ai eu l’occasion de tisser des liens avec les artistes. C’est aussi l’hommage de quelqu’un qui a toujours aimé NTM, pour les textes, le message et l’attitude du groupe, et pour les personnalités si différentes et complémentaires de JoeyStarr et Kool Shen. Je pense avoir fait un livre qui pourrait être vu comme un témoignage, une trace unique et personnelle de l’histoire de NTM.
Dans ton livre, on est loin de la maquette « une photo par page » avec quelques jeux entre des photos qui se répondent d’une page à l’autre. Ces choix ont-ils été pensés dès la sélection des photos ou plus tard, lors de l’élaboration de la maquette définitive ? On a travaillé des milliers d’heures pour faire ce livre. La sélection des photos a duré six mois, il a fallu ensuite retrouver chaque personne pour obtenir les autorisations. La phase de construction a ensuite commencé, avec la graphiste, Delphine Beret. Nous nous sommes partagés la direction artistique du livre pour construire une maquette « idéale », chacun donnait son point de vue. Ça a été très long, ça s’est fait petit à petit, page par page, selon un processus qui évoluait en permanence. Nous nous sommes ensuite donné du temps pour laisser reposer les idées : une maquette est un élément essentiel qui a besoin de mûrir et je pense qu’on a réalisé un travail de qualité, sans précipitation. Enfin, Delphine a apporté sa touche personnelle, qui est fondamentale dans le livre : elle a créé un univers avec des typos, des créations phénoménales. C’est son livre également : elle est l’architecte du livre.
Ton livre témoigne de beaucoup de moments et d’éléments différents : les répétitions, les balances, le live, y compris des set-listes et le staff. Quelle a été ta démarche : une démarche de shooting « systématique et complétiste » ou tu as dès la prise de vue choisi de te concentrer sur les éléments/événements qui te semblaient les plus forts ? Je suis un photographe qui aime garder des traces des moments que je photographie, au sens « archives » du terme. J’ai ainsi shooté des dizaines d’événements juste pour garder la trace. Lorsque je fais un gros travail photographique comme sur NTM, je shoote beaucoup pour ne rien perdre, ne rien rater. C’est d’autant plus systématique quand il y a un côté historique et unique comme pour ces concerts : cela faisait dix ans que NTM avait arrêté ! Il y avait également une scénographie jamais vue auparavant lors de Bercy et impossible à réaliser ailleurs : la configuration « in door » a permis d’aller beaucoup plus loin dans les effets de lumière. Ça me semblait donc évident de tout prendre en photo.
As-tu pensé à une répartition entre « making off/coulisses » et live ? Une ligne directrice particulière ? L’envie de laisser plus de place à Bercy ? Ou au contraire un choix guidé par les meilleurs clichés de chaque date ? J’ai voulu couvrir un spectre assez large et montrer un peu de chaque élément. D’une part, les loges, car j’ai voulu montrer ce que le public n’a pas vu : des moments inoubliables dans un lieu où peu de monde a accès. D’autre part, du live avec plusieurs points de vue, ce qui, pour moi, était le plus important, sans me limiter au seul devant de scène. Je suis donc allé avec les DJs, sur la scène, derrière la scène, etc. En termes de volumétrie, j’ai voulu donner davantage d’importance au chapitre Bercy, car c’était un des moments les plus forts émotionnellement, et où la scénographie était la plus parfaite selon moi. La lumière était également parfaite et bien plus maîtrisable que dans un stade immense comme le Parc. Et puis Bercy, c’était 70 000 personnes en cinq dates : une vraie communion avec le public.
Est-ce qu’il y a des photos avec une qualité technique parfaite que tu as choisi de sacrifier en ne les publiant pas au profit d’autres photos un peu moins « techniques » mais qui véhiculaient plus de choses ? Je pense avoir mis le meilleur de mon éditing photo, la crème. Après, ça reste toujours subjectif, et puis tu ne peux pas tout mettre.
Question subsidiaire : tu préfères les Supremes de Motown ou ceux du Neuf-Trois ? Impossible de répondre : pas le même style de musique, c’est incomparable. The Supremes, c’est mondial, c’est Diana Ross, une figure historique de la musique soul noire américaine. Et puis c’est les années 60. NTM, c’est du rap français, c’est 1990, c’est mon enfance, des souvenirs et une discographie de proximité. NTM me renvoie à ce qu’on a vécu en France, un vrai témoignage de notre époque.
– Arnaud Da Costa
Photos : Nathanaël Mergui