Cette semaine, cinéma et grands espaces américains. Depuis des plombes, les deux dialoguent bien ensemble. Encore récemment, je vous renverrais à Riad Satouf et ses Beaux Gosses, Marjane Satrapi et Persepolis, Sfar et son Chat du Rabbin ou Rabaté et ses Petits Ruisseaux. Vous aurez noté, lecteurs attentifs, que ce sont des auteurs qui sont passés derrière la caméra, mais il arrive aussi que des hommes de ciné s’inspirent du scénario d’une bédé. Comme c’est le cas pour Abdellatif Kechiche et le roman graphique Le Bleu est une couleur chaude.
Je n’épilogue pas sur les polémiques qui entourent ou on entouré ce film depuis la projection à Cannes de la Vie d’Adèle. Je me concentre sur le livre à l’origine, livre de Julie Maroh qui est ressorti ces dernières semaines. Un livre publié en 2011, et qui il faut bien l’avouer, j’avais volontairement évité. Pourquoi ? Parce que le graphisme ne m’avait pas, mais alors pas du tout attiré. Pour vous, pour moi, pour la science, par curiosité j’ai fait un effort. Je dirais même que je me suis fait violence.
Je reste bien entendu dans la subjectivité la plus totale mais le noir et gris, les lavis et le trait de Julie Maroh m’ennuient au plus haut point. Ceci dit, je comprends que le dessin, somme toute grand public, puisse séduire. Il y a chez Maroh une expressivité assez efficace, directe, de l’ordre de l’enfantin – et c’est pas une vile attaque quand je dis ça – qui fonctionne chez plein de gens, sauf chez moi, pas de bol. L’histoire, la narration m’a aussi demandé un effort. À plusieurs reprises pendant le premier tiers du récit, le livre m’est tombé des mains.
Qu’est-ce que ça nous raconte Le bleu est une couleur chaude ? Une histoire d’amour entre deux filles : une fille d’une quinzaine d’années qui se découvre une attirance pour les filles et une demoiselle un peu plus âgée qui se sait, elle, clairement lesbienne.
Le premier tiers, c’est en gros Clémentine, la jeune, qui nie son évident désir pour Emma, qui a des cheveux bleus. On est dans de l’introspection, dans du désir refoulé, du déni de soi-même. Clémentine n’ose s’avouer son penchant, elle trouve ça sale, anormal, pervers… Ensuite c’est l’acception de sa sexualité, le rejet de la cellule familiale parce que Clémentine a des parents beaufs, réacs. ET puis après c’est la vie de couple avec tout ce qui va avec : les disputes, les incompréhensions, les retrouvailles…. jusqu’à la fin tragique.
Alors, sur le fond je ne peux qu’être en sympathie avec cette histoire, d’autant plus qu’elle relève en partie d’une récit autobiographique. C’est touchant, vraiment. Une fois de plus, ça montre que certains tarés ont visiblement des problèmes avec ce qu’il se passe dans la culotte des autres. Ça montre aussi parfaitement à quel point ça doit être dur de s’accepter en tant « qu’être sexuel différent » quand on est entouré d’abrutis. Mais d’un point de vue purement bédé, ça m’a ennuyé, et vous m’en voyez bien embêté. Il faut quand même signaler que ce bouquin a reçu en 2011 le prix du public à Angoulême.
Bluch et Chesterfield, mecs les plus
cools à l’ouest du Rio Grande
Pour me réconforter je me suis plongé dans la dernier Tuniques Bleues. Là encore, le lien avec le cinéma est évident. Toute la génération des Morris, Giraud, etc. ont mangé du ciné et l’on régurgité sur leurs planches à dessins.
Oui, je vois bien ce que vous êtes en train de vous dire : le mec daube sur de la bédé d’auteur, pour nous parler ensuite de bédé à papa, genre le truc à l’ancienne, les gros nez, en rayon dans les supermarchés. Ben oui, c’est exactement ça, j’peux pas vous dire le contraire. J’aime bien les Tuniques Bleues, c’est comme ça. J’trouve qu’après Fonzi (le vrai!), Bluch et Chesterfield sont les mecs les plus cools à l’ouest du Rio Grande. Le tome 57 s’appelle Colorado story. Comme son nom l’indique ça se passe là-bas. L’histoire s’appuie sur des faits réels historiques, qui sont relevés dans le bouquin.
On est autour de 1862, dans ce sud-ouest des États-Unis, de violentes batailles ont éclatés sur un terrain hostile, les montages rocheuses. Graphiquement ça change, du coup dans la bédé, ça change. Le marron des montagnes fait place aux éternelles batailles et charges en terrain dégagé de 70% des albums précédents. Le scénario tient bien la route, si on en demande pas trop. Au dessin, ça se voit, Lambil en a marre de dessiner nos héros en tenue militaire, d’où j’imagine le scénario qui les envoie au contact des confédérés en tenues civiles. Les plans larges sont mis à profit pour le penchant animalier de Lambil qui préfère nous mettre là-bas au loin en tout petit un convoi pour bien mettre au premier plan des petits animaux. Alors oui, m’sieur dames, c’est un bon Tuniques Bleues.
– Martial Ratel
Les Tuniques bleues, Colorado Story – Lambil et Cauvin, Dupuis, 11 euros
Le bleu est une couleur chaude – Julie Maroh, Glénat, autour de 18 euros
La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.