Déniché par le label de TTC, Institubes, et désormais managé par Golden Eye Music, Joke est ce rappeur de Montpellier qui a déjà collaboré avec Action Bronson, Lino d’Ärsenik, Brodinski ou encore Fashawn alors qu’il a à peine 23 piges. Prodige des punchlines, il est capable, comme Descartes, d’évoquer la glande pinéale dans ses sons avec comme seul horizon un bel égotrip. Puisque on n’a pas forcément envie que les rappeurs nous racontent la vie ou nous donnent des conseils moraux ou politiques, ça nous a intéressé. Rencontre lors de son passage à La Vapeur dans le cadre du dernier festoche GéNéRiQ.

Joke

Bienvenue à Dijon. Alors, comment tu le sens le public de la province ? C’est la même partout : qu’ils soient en province ou à Paris, ça le fait.

Je veux dire, tu penses ne toucher qu’un public attitré, ou est-ce que tu commences à brasser un public un peu plus large depuis peu ? Moi je veux toucher tous les publics qui écoutent à la base du rap, que ce soit du cainri ou du rap français. C’est vrai que ce soir, le public était assez jeune. Mais de ce que j’ai vu, c’est quand même encore assez mélangé.

À tes débuts à l’époque Myspace, lorsque Teki Latex de TTC a aidé à te faire connaître, t’as pas eu l’impression que cela t’a limité à un public de petits blancs nerds et hipsters ? À vrai dire, je faisais déjà ce qui me plaisait. Après, c’est vrai que ça m’a ouvert sur d’autres trucs… J’ai appris pas mal de choses, sur le milieu. Je me rends compte que je m’améliore chaque année, tu vois ? Déjà, sur scène, par rapport à l’époque de Stunts (ancien sous-label rap d’Institubes, ndlr), ça n’a rien à voir, j’ai atteint une certaine maturité. Mais même au niveau de l’écriture, des choix d’instrus, tout ça, j’ai vraiment évolué. Et vous allez encore vous en rendre compte dans le prochain projet, l’album. Du coup, à mon sens, c’est pas vraiment une histoire de public. C’est plutôt moi qui évolue de mon côté.

Concernant l’écriture de tes textes, comment tu t’y prends ? Tu marches plutôt à la fulgurance ou bien c’est plutôt assez construit et ça te prend du temps ? Tout dépend, vraiment : des fois, il y a des instrus que je mets exprès de côté ; dans ce cas-là je réfléchis quand même, et je construis quelque chose en essayant de bien correspondre au son.

Tu parles de « réfléchir », ça m’intéressse. Contre certains de mes petits camarades de la rédaction, j’ai tendance à soutenir que le rap n’est pas forcément fait pour être intelligent. Tu as déjà envisagé de faire davantage de rap « conscient », avec un message politique ou idéologique ? « Conscient », dans quel sens?

Pour faire réfléchir les auditeurs, dénoncer quelque chose… ? Ah oui, c’est sûr. Dans l’album il y aura quelques morceaux comme ça. Bon, sans pour autant faire de la morale. J’ai pas envie de donner de leçons. Je n’ai pas plus envie de répéter des trucs qu’on sait déjà, en mode « c’est la merde, on galère », tout ça. Il s’agit quand même de proposer quelque chose de positif. À la limite, je préfère parler de trucs que j’ai vécus, ou qui ont lieu, et qui ne sont pas dans les cours d’histoire. Je vais peut-être traiter de la françafrique dans mon premier album, de mes racines togolaises…

Ce sera ça la prochaine coloration de l’album ? Tu abandonnes le délire « japonisant » des deux EP ? Ouais, il sera bien question des racines africaines. Mais tout au long, et sans forcément qu’on utilise des sonorités africaines.

J’ai vu qu’après le Japon, tu étais allé récemment à New-York. À Brooklyn ? Vous en avez peut-être profité pour y faire un clip ? Non, même pas ! Il s’agissait surtout de s’imprégner de la ville, de rencontrer des gens, nouer des contacts pour la suite…

… Just Blaze ? (gêné) …euh, non, on n’en parle pas… Je peux juste te dire que pour moi c’est le beatmaker numéro un, avec qui j’avais très envie de collaborer.

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Dès tes premiers EP, t’as travaillé très tôt avec un autre poids lourd en la personne d’Action Bronson, dans Prêt pour l’argent 1.5. Il était à peine connu à l’époque en plus. En fait, il était même pas du tout connu.

Tu as lancé récemment un sondage auprès de tes fans sur les réseaux sociaux pour savoir avec qui ils aimeraient te voir en featuring. Verdict ? Des noms sont revenus. Surtout A$AP Rocky en fait. Et Tyga… Mais lui c’est pas un gars que j’écoute. J’ai l’impression que le public, c’est plus par rapport à des critères physiques qu’ils jugent. J’ai un air de famille avec lui ou Pharrell. Bon, d’autres ont pas mal répondu Rick Ross aussi  – et j’adorerais travailler avec lui. Concernant A$AP Rocky, j’aime beaucoup évidemment, mais le seul problème que j’ai, c’est qu’on me catégorise rapidement. Pourtant, j’ai pas l’impression que ma musique ressemble à la sienne en fait. Au fond, des mecs comme lui ou Kendrick Lamar, on a peu près le même âge, on a grandi en écoutant la même chose. S’il y a des similitudes entre nos sons, c’est sûrement qu’on a évolué de façon parallèle. Quand je fais ma musique, je ne tente jamais de regarder ce qu’il se passe aux États-Unis. Bien sûr, je regarde et je kiffe les cainris, mais il est hors de question que ça se termine par un vulgaire « copier-coller ».  Les rappeurs français sont bien trop comme ça, à demander à un beatmaker quelque chose qui ressemble à ce qui a eu d’abord du succès en rap US. Moi je veux l’inverse : qu’un cainri puisse écouter un de mes morceaux et s’y retrouver.

En tout cas, tu te veux précurseur. Tu te reconnais dans le rap français ? Perso, je te trouve des qualités d’écritures apparentées à celles de Ill des X-Men ou du Rat Luciano. T’aimerais collaborer avec eux ? Au fond, je dois bien dire que même si j’apprécie ce qu’il fait, je n’ai pas beaucoup écouté Ill. Le Rat Luciano, j’ai toujours apprécié, et je voudrais bien faire une collaboration avec lui, surtout qu’il n’est pas loin de chez moi. Bien sûr, je bosserais bien avec Booba, aussi. J’ai fait une collaboration avec Hi-fi, ancien du 45 Scientific, par le biais de Metek.

Le public, on l’a dit, était très jeune ce soir (20 novembre, ndlr). Qu’est-ce que tu penses qu’il recherchent en particulier quand ils viennent t’écouter ? J’avoue ne m’être jamais posé la question. Moi, quand j’écoute un son, je ne cherche rien de particulier. Je sais que quand je kiffe, c’est que j’imagine pas la chose autrement, c’est comme si c’était évident.

Tu as eu de bonnes impressions du public ici ? Et Dijon ? Oui, pour le public… Par contre, non la ville, je n’ai pas eu le temps d’y faire un tour, et je pense qu’au mieux j’irai demain matin dans une boulangerie…

– Propos recueilis par Tonton Stéph

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