Cette semaine, à Dijon, il y avait le rendez-vous des accros des cabrioles contemporaines et des menuets revisités. Art Danse faisait son festival, alors nous nous y sommes invités pour trois solos.

david rolland

Le calendrier a ceci de fâcheux, c’est qu’il ne vous laisse pas voir ce qu’on vous conseille par ailleurs. Et bim ! Et pan dans les dents ! Pour le festival Art Danse, pas de Douve, pas de Encore et pas de Vorspiel… Sur le papier et dans les bouches avisées, ceux-là sonnaient comme des incontournables. Tant pis, ce sera trois petits tours pour moi, trois façons d’autoportraits, trois manières de danser autour de son nombril. De l’échec, du bon et du très bon.

LA CORDE RAIDE

Lundi à Mansart, c’était coup double.  Étaient programmés Serge Ambert et Christine Bastin, la soirée s’appelait Les Chorégraphes ont la parole. Bon ok, on imagine bien qu’il doivent l’avoir quand ils dirigent leur danseurs mais ils la prennent, la parole, et ne la lâche même pas quand ils sont sur scène. Un danseur sachant parler est-il un bon chanteur sachant chanter sans son chien ? Ça, on ne le saura pas vraiment finalement car c’est carrément du côté de l’intime que les deux faiseurs de mouvements se sont penchés. Bastin livre en scène un pan douloureux de sa bio et Ambert, lui, trace au plateau des mouvements inspirés au contact des patients du CHU La Chartreuse. Les deux projets (on dit commandes en arts contemporains : musique, danse, arts plastiques) ont ceci de commun qu’il faut aimer le goût des tripes à l’air pour les recevoir.

Christine Bastin retrace la maladie et la disparition de son père embarqué bien malgré lui dans les dégénérescence neurologiques et Serge Ambert convoque Artaud, quelle surprise, pour évoquer le corps de la folie. La première se prend les pied dans le tapis (de danse). Malgré une langue laconique plutôt chouette et racée, malgré une scéno résumée en un écran vidéo nickel où s’ébroue avec force une lande atlantique, son solo reste bavard et s’embrouille quand la danse prend le relais. Pour parler du père, il y a rarement lieu de jouer l’enfant d’une voix faussée. Cela ramène quasi à chaque fois l’art au rang de la caricature doloriste un peu forcée. Et cela ne tire jamais les larmes. Luke Skywalker, un autre fils en défaut tragique de paternité, l’avait pourtant compris.

Serge Ambert, lui, fait dans le dépouillement total et son corps est à lui seul un théâtre. C’est classe, très fin et diablement fascinant. Son solo, Ce que me dit la nuit, cherche l’explosion, l’éparpillement et les résonances du corps dans la folie. Là encore, le texte s’invite avec une citation d’Antonin Artaud. Bon, on objectera dans un regain de mauvaise humeur que c’est un peu facile de convoquer le Momo quand on parle de la folie, que la danse d’Ambert reste quand même bien propre et ne sent pas les suées de l’auteur de l’Ombilic des Limbes. Mais ce solo cherche, à ciel ouvert, et si c’est la Nuit qui est agitée par le chorégraphe, la petite mélodie finale, contradictoire avec l’ambiance sonore ramène ce qu’il faut de lumière.

HOLIDAY ? HOLY SHIT MAN !

Samedi 25. Retour à l’Auditorium après une belle série de concerts classiques pris dans les dents comme une caresse de Tyson (Beethov par les Dissonnances, Bruckner puis surtout la claque du Messie, magnifiée par Emmanuelle Haïm… on y reviendra un autre jour). Là, c’est David Rolland qui refait le match autour du Holiday de Madonna.

En rentrant d’une pige pour Viande Magazine, je passe chercher Gazza. Le gazier avait compris qu’il s’agissait d’un projet de Thierry Roland sur Maradona, il me fait faux bond et part recompter les post-it catégorie groove de la dernière Pix Mix. Dommage, la danse de Rolland est terrible, pesée au trébuchet et farcie d’idées aussi simples qu’efficaces comme balancer le morceau de la Madonne dans la tête des spectateurs avant le début du spectacle, pour ne plus avoir à le jouer après. Seul Rolland l’aura dans son oreillette, pendant qu’il dansera toutes les chorés faites en scène de 1984 à 2003 par Madonna. On a donc du documentaire, l’évolution de la danse, de l’hommage à la figure, du comique en rebonds et de l’intime. Là encore, sous forme d’un journal mis en scène par Rolland et rythmé à la fois, parce qu’il entend les efforts de la chorégraphie en cours. À cela s’ajoute un espace parfait où tapis roulants et projecteurs à vue donnent au danseur son statut de montreur d’ours, de gus de foire et de poète fragmenté. Son projet s’affiche multiple, convoquant une bonne paire de manière de le voir. Et ces yeux multiples, branchés entre culture pop et geste radical, n’en finissent pas de battre des cils. Presqu’autant que ceux de Maradona recevant une claque de la main de Dieu.

– Badneighbour