Ancien du mythique magazine Starfix, cinéphage et amateur de ciné fantastique, François Cognard est maintenant producteur de films. Il soutient depuis le début le duo de cinéastes belges Hélène Cattet et Bruno Forzani, de retour avec L’étrange couleur des larmes de ton corps après le choc Amer en 2009. On a discuté du film mais aussi de son parcours, de la critique et du ciné actuel. Rencontre avec un producteur éloquent et hyper sympa.

François CognardSalut François, Amer a eu un joli parcours avec pas mal de prix dans différents festivals, c’est un film pour lequel tu t’es battu, est-ce que c’était un peu plus facile du coup pour le second film du duo belge, L’étrange couleur des larmes de ton corps, ou tout était à refaire ? (petit rire) C’était pas un film évident non plus mais on a bénéficié de ce qu’il s’était passé autour d’Amer, que ce soit en France ou à l’étranger. Le 1er film a eu effectivement une très belle critique et un certain protagoniste est arrivé et il a bien aidé. Je ne sais pas s’il en était conscient à ce point mais il s’agit de Quentin Tarantino. Il a mis Amer parmi ses films favoris de 2010 (Tarantino publie son top chaque année) donc c’est une info qui a pas mal circulé. Du coup, beaucoup de gens se sont demandés ce qu’était ce film, ce qui nous a permis de le faire découvrir. Ce qui nous a vachement aidé pour monter le film suivant, avec beaucoup de partenaires de la première heure comme Canal + et Ciné +. Les distributeurs aussi tendaient  plus l’oreille. Bon ça a pas été simple, on a pas eu le budget qu’on voulait, mais ça, on l’a jamais. Il y avait un phénomène de curiosité autour d’Amer et on voulait voir la suite. Je pense que le public ne sera pas déçu.

Et justement L’étrange couleur… semble être encore une fois un film à l’esthétique fascinante, un film étrange, inhabituel mais est-ce que cette fois il est un peu plus « accessible » puisqu’on a cette fois une enquête policière ? Oui il y a une enquête policière, on part du principe qu’un giallo, c’est un mystère autour d’un meurtre, généralement du meurtre assez stylisé, effectué par un protagoniste mystérieux qui porte du cuir et qui tue à l’arme blanche donc on est un peu plus proche des canons du genre. En apparence, on est un peu plus proche du giallo traditionnel. Mais ce qui me plaît avec Bruno, au lieu de s’en tenir aux règles fixées il y a déjà maintenant une quarantaine voire une cinquantaine d’années, on a envie de jouer avec ces règles. On a envie d’aller plus loin que de faire simplement des illustrations ou un simple hommage. On travaille donc (lui, Bruno et Eve Commenge les producteurs) à dérouter le spectateur qui s’attend peut-être aux clichés habituels. Et à l’arrivée il ne sera peut-être pas déçu du voyage puisque c’est un film qui s’interroge sur l’identité d’un genre et qui prend un malin plaisir à ne pas donner forcément au spectateur ce qu’il attend au moment où il l’attend, mais à jouer avec les règles de narration et les surprises. Donc je pense que c’est un film tout aussi radical qu’Amer. Dans le sens où aujourd’hui on fait beaucoup de cinéma qui est prêt à être consommé, où il faut surtout que rien ne dépasse. Là, au contraire, tout dépasse, tout surprend, tout va à l’encontre de la consommation un peu automatique des images. Je n’ai rien contre la narration traditionnelle mais bon, il est peut-être un peu temps de secouer l’arbre et de faire tomber des trucs inattendus.

Est-ce que ce film rejoint le concept des Midnight Movies, as-tu envie de le ramener au goût du jour ? Oui surtout qu’Amer n’avait pas de narration classique. Tout était raconté visuellement, avec très peu de dialogues. Mais le plus bel hommage qu’on puisse faire à ce cinéma populaire du début des années 70, c’est de s’amuser et de reprendre, mais surtout d’expérimenter. Et à l’époque les midnight, que ce soit Jodorowsky avec La Montage sacrée ou El Topo, ou encore Lynch avec Eraserhead , eh ben c’était des films qui expérimentaient et qui transportaient le spectateur dans une interzone inconnue. Donc ça me surprend toujours quand on me dit aujourd’hui « ah oui mais c’est pas traditionnel, c’est pas une façon habituelle de raconter une histoire ». Non, non certainement pas, mais justement essayons de casser les murs, de retrouver cet esprit aventureux qu’avaient les films cultes. Essayons de retrouver cet esprit où on se retrouve à minuit dans une salle à voir des images totalement incroyables et qui désarçonnent. Donc si on reprend le relais de quelque chose c’est à ce niveau là. Après la forme et le ciné de Bruno et Hélène ne rentrent pas dans une consommation trop… facile, des choses.

Revenons un peu à ton parcours, tu as été dès le début chez Starfix, magazine mythique, quels souvenirs gardes-tu de cette expérience ? Bah tu as prononcé le mot, des expériences. D’abord c’était le plaisir de tomber sur un petit auteur dont personne n’avait entendu parler et d’un seul coup de miser sur lui. Comme ces mecs qui avaient fait Sang pour sang, Joel et Ethan Coen. Il fallait absolument parler de ce film parce qu’ils étaient trop doués. Donc c’était le plaisir de dégoter des films parfois dans des endroits inattendus, pas forcément dans des sélections connues de festivals mais dans les marchés du film à Cannes ou des petits films qui passaient un peu inaperçus. On découvrait des auteurs. C’est le grand plaisir d’être journaliste, c’est d’être là au début et de ne pas se tromper, de partir à la « pêche ». Ensuite, c’était de parler de films plus anciens, c’est-à-dire de revenir sur Hitchcock, Hawks, Ford… de voir comment le cinéma de mon époque (années 80 et 90) venait de ce cinéma-là. Et donc d’accorder autant de place à du cinéma populaire qu’à du cinéma d’auteur. On se retrouvait alors avec 4 pages sur Evil Dead 2 de Sam Raimi puis 4 pages sur Thérèse d’Alain Cavalier. Être  une tête chercheuse et prendre le cinéma sans aucune hiérarchie. C’est pour ça que le travail avec Bruno est parfait en ce sens parce que j’ai l’impression de rester à fidèle à cet esprit et d’être toujours en train d’expérimenter.

Est-ce que la critique ciné actuelle t’intéresse ? Ah oui elle m’intéresse, je lis des blogs passionnants, il y a de très bonnes plumes…

…Plutôt sur les blogs que dans la presse traditionnelle ? (il se marre) Oui, il y a de vraies personnalités. Les films sont plus disponibles aujourd’hui. Par exemple Vertigo. Quand on a démarré Starfix, en 83, ce film on ne pouvait le voir nulle part… Donc maintenant il faut être encore plus malin, plus chercheur, plus risque-tout pour parler du cinéma. Je trouve la presse ciné papier parfois un peu trop classique. Chacun à ses familles, son genre de ciné à critiquer… Et on y est pas très surpris. Alors que certains blogueurs me font découvrir des films.

 

« J’adore les Belges, ils ont un super esprit, on s’entend très bien. Et ils proposent un ciné un peu en dehors des clous, un peu plus que le ciné français »

 

LCDLDTC AFFICHES 60x80_120x160 2.inddTu collabores à nouveau avec l’illustrateur Gilles Franckx pour l’affiche de l’Etrange couleur…, ce qui donne encore une fois une affiche magnifique, tu as souvent travaillé avec des illustrateurs quand tu étais à Starfix, est-ce que tu regrettes ce temps où on faisait encore de belles affiches ? Gilles Frankx c’est une découverte de Bruno. C’est un illustrateur flamand qui travaille avec lui sur le festival Off Screen à Bruxelles, un festival qui te permet de découvrir plein de films incroyables et inédits. Oui j’ai… (il se marre encore) une immense nostalgie pour les affiches de Casaro, les affiches italiennes des années 60 et 70 ou celles de Jean Mascii. Ou je me souviens des affiches des premiers Spielberg, comme celles d’Indiana Jones (signées Drew). Je regrette qu’il y ai maintenant beaucoup trop de Photoshop et qu’on se contente de mettre du bleu parce que c’est une comédie ou des yeux en gros plan parce que c’est un film d’horreur. Mais ça va revenir. Il reste des illustrateurs qui font du boulot hors du marché, sans les contraintes habituelles. Surtout dans le cinéma indépendant comme par exemple le prochain film de Jonathan Glazer, Under The Skin, avec Scarlett Johansson. L’affiche est sublime. Mais je sais que Gilles a fait beaucoup d’effet avec l’affiche de L’Étrange couleur... Il a été contacté par des boîtes anglo-saxonnes pour créer de nouvelles affiches.

Est-ce que tu es train de produire de nouveaux films qu’on pourra bientôt voir ? Là je suis sur une comédie noire coproduite à nouveau avec la Belgique. J’adore les Belges, ils ont un super esprit, on s’entend très bien. Et ils proposent un ciné un peu en dehors des clous, un peu plus que le ciné français. Le film s’appelle Je me tue à le dire. C’est une comédie mais sur des sujets durs. La solitude, la maladie, le cancer, les maisons de retraite, sauf que c’est traité avec beaucoup de tendresse. C’est assez grinçant. Il y aussi un peu de fantastique, un côté kafkaïen puisque c’est l’histoire d’un type qui s’imagine malade. C’est un hypocondriaque qui s’imagine hériter du cancer du sein de sa mère. Un sujet qui peut sembler sinistre mais traité par les Belges de cette façon-là avec en plus un très beau N&B, c’est assez étonnant. On peut penser au film Harold et Maude. Un film à petit budget mais libre une fois de plus. C’est tellement important de faire du cinéma libre.

Dernière question, est-ce que tu as découvert des films ou des séries qui t’ont plu ces derniers temps ? Là je suis en train de regarder la saison 3 de la série Boardwalk Empire, qui est une formidable recréation de la Prohibition. Une série assez classique mais extrêmement bien écrite. Sinon il y a un film que j’adore, d’un jeune auteur américain qui s’appelle Shane Carruth. Il avait fait un petit film de science-fiction dans sa cuisine et dans son garage, Primer. L’histoire d’étudiants qui inventent une machine à explorer le temps. Mais c’est traité de façon très quotidienne. Le film avait été présenté à Sundance il y a une dizaine d’années. Et là il y a son second film qui est absolument incroyable qui s’appelle Upstream Color et qui raconte une histoire d’amour d’une façon tout à fait inédite, surprenante, très visuelle. J’espère vraiment qu’il va sortir en France mais c’est pas évident. C’est pas simple la distribution en France actuellement. Il y a tellement de films qui sortent chaque semaine. Et il y a des pépites qui ne sortent pas…

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En attendant on peut toujours découvrir la pépite L’Étrange couleur des larmes de ton corps ce mardi soir à 20h au Devosge (précédé d’Amer à 18h) avec le réalisateur Bruno Forzani.

– Propos recueillis par Alice Chappau
Photo : (c) javivoland / flickr