Ici à la rédac’, les bédés, on les reçoit. C’est pas avec notre misérable paye qu’on serait capable de s’offrir toutes les semaines des beaux bouquins aussi chers. Bref, je reçois des envois d’éditeurs et, heureux, j’entame dans un ordre aléatoire ma lecture. Au bout d’un moment, je tombe sur le livre de David B qui s’appelle Les meilleurs ennemis : Une histoire des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient, première partie 1783/1953. Un livre formidable. Je suis sur de tenir là un super sujet de chronique. Et puis, je vois la date d’édition : 2011. J’en suis encore sous le choc.

Couv_135589J’ai ici plusieurs explications que j’ai soumises à l’éditeur, pour l’instant sans réponse. « Bonjour, je viens de finir le tome 1 des Meilleurs ennemis de David B. Je découvre en fait qu’il a été publié en 2011. Alors je me demande. 1) Est-ce que je viens de recevoir ce tome 1 égaré dans les limbes de La Poste durant plusieurs années et miraculeusement arrivé récemment ? 2) Est-ce que vous m’avez envoyé les deux tomes et un postier bibliophile aurait subtilisé le tome 2 ? 3) Est-ce que vous m’avez envoyé le tome 1 parce que vous n’aviez plus de service de presse pour le nouveau ? 4) Vous ai-je demandé le tome 2 ? 5) Faut-il que j’aille rapidement au courrier pour découvrir avec joie le tome 2? 6) Connaissez vous David Vincent? Cordialement. Et là je signe.

Bon, face à ça, moi, qu’est-ce que je fais ? J’élimine ce livre sous prétexte que 2011 c’est pas 2014 ? Alors que ce bouquin est un des bouquins les plus intéressants que j’ai lu ces dernières années ? Un livre magnifiquement dessiné par David B. Un livre noir et blanc, et vous savez comme j’aime le noir et blanc. Avec des dessins splendides, des kalifs enturbannées, des bey – des sortes de roi-, des consuls et des princes arabes, des fantassins, des pirates du Maghreb, aussi beaux que dans tous les contes des Mille et une nuits.

En face d’eux, des hommes d’arme, des nobles, des capitaines, des matelots, des militaires occidentaux habillés comme dans un rêve pour livrer ensemble des batailles navales, des raids dans les déserts, des attaques ou des défenses de place-fortes, le tout entourés de canons, de chameaux et de pièces d’artilleries fantasmatiques tirées de l’esprit poétique de David B. Rêves, fantasmes ou poésie mais…. là, dans ce bouquin, il est pourtant question d’histoires vraies.

Si David B dessine, le récit est quant à lui assuré par Jean-Pierre Filiu. Un professeur des universités à Science po et spécialiste du monde musulman. Une référence en la matière. Mais je suis incapable de juger la valeur scientifique du contenu. Alors qu’est-ce que ce livre superbe nous apprend ? Ou en tout cas m’a appris ? Je vous le fais vite, parce que le bouquin l’explique bien mieux que moi. On découvre qu’au tout début de l’indépendance des États-Unis, en 1783 et les années suivantes, les États-Unis était une puissance microscopique à l’échelle des empires français, britanniques, hollandais et aussi face aux puissances maghrébines, libyennes, algériennes ou marocaines. Ça veut dire que pendant des dizaines d’années, les Américains se sont frités avec les puissances musulmanes de la Méditerranée.

Magouilles en Iran et tractation secrètes

J’en savais rien. Pas pour le plaisir, mais parce que les pirates ou les corsaires attaquaient tous les bateaux qui pouvaient leur apporter de l’argent via les butins ou les otages. À l’époque, le occidentaux négocient, payent des tribus ou signent des traités. Les États-Unis, jeune nation, n’ont pas les sous pour dealer avec les royaumes du Maghreb. Alors ils morflent et puis, petit à petit entre conquêtes et négociations, les affaires USA – Maghreb se tassent, ils commencent à avoir de quoi payer mais surtout ont des soldats un peu plus balaises. Vers la fin du 19ème, les Américains lorgnent sur un bout du monde où ils espèrent se faire des nouveaux copains, de nouveaux alliés : le moyen-orient.

C’est d’ailleurs un de leur militaire qui donnera le nom à cette partie du monde. Tout ça, c’est du récit historique magnifique. Hautement intéressant. Avec les bédouins et le sable, ils découvrent des sources d’approvisionnement en pétrole, déjà, dont ils ont besoin pour nourrir leur tanks, c’est la première guerre mondiale, du pétrole.

Là, y’a plein d’histoires, d’arrangements, de déstabilisation jusqu’à la fin de ce tome 1 avec une belle partie sur les magouilles en Iran, les tractation secrètes avec le chah et la lutte des États-Unis contre le souverainisme perse de nationalisation des ressources pétrolières. Là, on quitte les cours d’histoire, on est est plutôt avec monsieur X et Patrick Peno. Voilà de quoi ça parle, ce bouquin. Finalement, les Ricains et les musulmans du maghreb ou du moyen-orient ont une histoire commune, de vieilles relations qu’on ne soupçonne pas… entre alliances nouées au 19ème et déchirement du 20ème.

– Martial Ratel 

Les meilleurs ennemis, une histoire des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient, première partie 1783/1953 – Filiu et David B – Futuropolis, autour de 20 euros

La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.