« Kolossale Finesse », se serait exclamé Papa Schultz. C’est bien avec cette impression que l’on ressort d’une conversation avec Jean-Luc Verna. Arrivés avec l’idée que l’art contemporain était « l’art dont on ne comprend rien », l’artiste-sculpteur-mannequin-acteur-photographe-performeur-dessinateur nous fait vite retomber les pieds sur la terre ferme. Tatoué et percé jusqu’aux yeux, le mec est pour le moins impressionnant. Une âme sensible dans le corps d’un culturiste, en somme. On l’a rencontré à l’Entrepôt 9 dans le cadre de la cinquième édition du festival One+One. Entretien.

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Vous êtes l’un des invités majeurs de cette édition de One + One, festival rock et art contemporain sur Dijon, et vous avez d’ailleurs eu carte blanche pour programmer certains artistes. Est-ce que vous êtes fier de cette responsabilité que l’on vous a confié ? Que pensez-vous apporter à cette édition 2014 ?  Fier… euh… je suis content que des artistes aient été invités sous mon impulsion parce que ce sont des gens que j’aime bien. Après, la fierté, c’est une autre histoire, j’espère qu’eux sont fiers de ce qu’ils ont fait. Déjà, j’ai été étonné que l’on me demande ce genre de choses surtout que le présupposé de départ était autour du gothique alors que je ne le suis pas trop. Donc je me suis creusé la tête et c’est allé un p’tit peu ailleurs puisque les artistes musicaux et les plasticiens que j’ai fait venir n’étaient pas vraiment issus de ce style.

Dans la musique de MAD MOIZEL, avec cette touche froide électro, on peut peut-être trouver des choses… Ah mais c’est new wave, franchement new wave même. Mais le terme gothique est tellement galvaudé maintenant, on est loin des merdes comme Fields of the Nephilim ou des trucs comme ça. Moi, le seul gothique que j’écoute encore c’est Bauhaus. Ce qu’est devenu le gothique ne m’intéresse pas, c’est du grand guignol.

Donc pas du tout la vague de Goth français, je pense à des choses comme Jacquy Bitch ? Non.

Au niveau de cette culture justement, vous sentez-vous proche d’une autre personnalité invitée sur ce festival, Patrick Eudeline ? Que pensez-vous de sa manière d’aborder cette culture goth ? J’adore sa façon d’écrire, je lisais ses chroniques, par contre à l’époque j’ai toujours détesté Asphalt Jungle donc je respecte énormément une grande partie de sa production mais je n’adhère pas du tout à la partie musicale. Ce n’est pas mon truc.

On va parler d’un grand personnage, d’une grande femme qui vous a inspiré, Siouxsie Sioux, qui a notamment tourné dans les 70’s et 80’s avec les Banshees et les Creatures. Est-ce au niveau du personnage ou de la musique que vous vous retrouviez ? C’est tout. C’est quelqu’un d’affranchi, une femme puissante, qui a réussi à dire ‘merde’ aux majors et en même temps à travailler dans le mainstream en ne faisant pas de concessions. Elle a toujours surpris son public en faisant des voltes faces par rapport aux endroits où on l’attendait. Quand on l’attendait gothique elle est devenue pop, puis tribale… Je l’ai vue pour la dernière fois il y a cinq ans puisque maintenant c’est Siouxsie toute seule sur scène, et c’est un bon exemple de comment vieillir avec grâce et puissance.

Qu’ont en commun ces deux cultures : l’art contemporain d’un côté qu’on pourrait qualifier de culture d’avant-garde et de l’autre le rock avec sa culture populaire ?  Dans l’art contemporain, l’avant-garde est terminée depuis quelques décennies. Ce qu’il y a de très commun entre les deux, c’est le complexe de la pop star et cette même névrose par rapport au succès. Maintenant, avec l’évolution du marché il y a aussi ce jeunisme et cette communication tape à l’oeil qui est malheureusement très proche de l’industrie du disque. Et puis l’histoire du rock’n’roll figure dans les musées depuis pas mal de temps, les genres s’interpénètrent.

L’édito du programme de One + One présente le rock comme une espèce d’histoire officieuse de l’art au 20ème siècle, vous êtes d’accord avec cette vision ? Depuis Warhol et le Velvet Underground, en passant par Destroy All Monsters, les accointances avec l’art contemporain de Sonic Youth… ça se tricote ensemble depuis longtemps.

Chez Sparse, nous sommes plutôt des profanes de l’art contemporain…Tant mieux.

…Pourquoi pensez-vous qu’il y a cet écran de mystère, derrière cette grande étiquette fourre-tout qu’on appelle l’art contemporain ? L’art contemporain, c’est l’art qui se fait aujourd’hui, donc il a des choses magnifiques, de la merde, des choses très hermétiques, d’autres faciles d’accès. Il y a des œuvres bien faites, au sens académique de la chose, cela regroupe tellement d’éléments différents qu’il est difficile d’en parler en faisant une généralité.

Comment vous êtes-vous dirigé justement vers l’art ? J’ai fait la somme des choses que je pouvais faire, il se trouve que je pouvais dessiner, peindre et je pouvais aussi chanter, danser et être. La culture m’a permis de m’émanciper de mon milieu d’origine.

Concernant une partie de votre œuvre musicale, notamment I Apologize, vous aviez dit au magazine Vice que vous faisiez « de la merde ». Avez toujours cet avis sur votre propre musique ? Je préfère dire ça pour pas qu’on imagine que je me prends pour un chanteur de pop. Je sais d’où je pars, je fais de mon mieux. On a fait des petits concerts et des gros concerts, à chaque fois on délivre la même exigence. Après, on fait des chansons à nous, quelques reprises, il ne s’agit pas d’un concert de rock ou de pop. Nous sommes des plasticiens et on délivre un spectacle musical qui parle de cette musique-là.

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Pour revenir à votre autre talent, le dessin, quel est votre premier souvenir à ce sujet ? C’est comme s’enfermer dans une pratique solitaire et échapper à un milieu familial hostile, pour sortir de la réalité et rentrer en moi-même.

C’est toujours le cas aujourd’hui dans votre art ? Non, puisque maintenant je suis en phase avec la vie que j’ai choisie, il s’agit maintenant de creuser mon sillon et d’essayer de rendre cette histoire qui est la mienne, toujours intéressante à mes yeux, et du coup au public potentiel.

Pour ceux qui vous ont déjà vu, c’est évidemment le look tatouage qui ressort énormément. Vous dites que votre corps est un chantier, pourquoi ce choix du tatouage comme moyen d’expression ? Le tatouage n’est qu’une des façons… Je suis tatoué mais je suis aussi maquillé, rasé, suivi par un coach, une nutritionniste, j’ai fait quelques interventions chirurgicales. Il y a le tatouage et le reste, le tout est une histoire de maintenance pour continuer malgré l’âge qui arrive à être un outil utilisable pour moi et les autres artistes qui m’utilisent.

Du coup, vous considérez votre corps comme étant au service de votre œuvre ? Oui, tout.

Pour s’attarder sur le tatouage, qui n’est peut-être finalement qu’un détail dans votre œuvre, qu’est-ce qui vous plait ? Le côté plutôt désobéissance ou tribal – l’appartenance à un groupe ? La désobéissance, ça ne veut plus rien dire puisque n’importe quel hipster est tatoué, c’était vrai dans les années 30 jusqu’à 50. Non, moi, je me pare de tatouages comme on se pare d’une résille qui permet de se montrer en étant caché, de se rendre supportable à soi même quand on se regarde dans le miroir, quand on n’a plus 20 ans.

Vous avez peur de vieillir ?  Je n’aime pas vieillir. Après, c’est inéluctable, mais vieillir c’est comme le vélo, ça s’apprend.

Vous avez déclaré dans une interview que vous étiez pédé, mais pas gay ? Quelle est la différence ?  La différence, c’est que je ne suis pas un artiste gay, je ne fais pas de l’art gay, communautariste, je ne suis pas fer de lance du LGBT même si je suis complètement en phase avec leur existence et je suis de leur côté contre les gens de la Manif’ pour tous… Mais quand les gays sont sortis du placard dans les années 80, ils se sont hâtés d’y faire entrer les gros, les pauvres, les anar’, les handicapés et la vitrine gay telle qu’on peut la voir dans le Marais par exemple, ça ne me plaît pas. Il se trouve que je suis homosexuel même si j’ai aimé des femmes dans ma vie, enfin c’est pas fromage ou dessert – on n’est pas chez mémé. Le truc c’est que je suis au milieu de la société, je ne me définis pas par ma queue et… voilà.

Vous pensez que c’est une pratique légitime que de se définir ainsi ? De faire de l’art gay ?  Les gens font ce qu’ils veulent mais pour moi, un art qui ne se définit que par une seule des caractéristiques de l’individu qui le fait, c’est un art qui n’a pas grand intérêt.

Le récent débat qui a déclenché les Manifs pour tous vous a-t-il intéressé, ou au contraire, vous en étiez détaché ?  Impossible de s’en détacher déjà parce que je porte ma différence sur moi : j’ai sorti mon cran d’arrêt cinq fois l’année dernière dans Paris parce que les fachos étaient décomplexés pour reprendre un terme cher à Sarkozy. Toutes ces ordures, que ce soit Madame de machin, les gens de la théorie du genre, Béatrice Bourges, toutes ces ordures, vraiment, je leur souhaite d’avoir des enfants homosexuels. Et à eux, je leur souhaite un bon cancer de la face.

– Propos recueillis par Martin Caye, avec Sophie Brignoli
Photo : DR – Air de Paris