Dans le cadre de Grésilles en fête, le collectif R.A.S. présente son dernier spectacle cette semaine au Théâtre des Grésilles. Une histoire avec deux comédiens sur scène qui confrontent leur point de vue sur fond de crise écologique. Une histoire avec, entre autres, le petit Yanis et sa grand-mère. Une histoire avec de la marionnette et du théâtre d’objets. Un spectacle dont la démarche de création fut participative. Bref, on a papoté de tout ça avec Stéphanie Leigniel, metteuse en scène.

Elvire-Benjamin

Les mondes de Merry est un spectacle jeune public, ça veut dire que si j’ai 30 balais et pas de gosse, je risque de ne pas m’y retrouver ? C’est un spectacle tout public à partir de six ans. Nous allons expérimenter prochainement un public uniquement scolaire et j’en suis fort contente, mais je pense que l’idéal est un public d’âges mélangés. Dans la généalogie des crises que Yanis essaie d’établir, la crise écologique est la petite sœur de la crise économique, de la crise des chocs pétroliers, je pense que tu peux te sentir concerné. Un spectacle à destination des enfants sous-entend pour moi « un certain strabisme de l’esprit » (Lewis Carroll), à toi de voir si tu te sens prêt à décoller.

Fais-nous le pitch en quelques mots ?  C’est l’histoire d’un comédien (Benjamin) et d’une comédienne (Elvire) qui viennent sur scène pour faire état d’une querelle qui les oppose : l’un prétend que Yanis, un petit garçon que tous deux connaissent, a subi une crise écologique alors que l’autre prétend que non, « qu’il a juste été choqué cet enfant !» Mettant en scène leurs arguments, ils illustreront chacun, à l’aide de moyens scéniques différents, leur version des faits. Pour Elvire, Yanis a simplement été choqué parce que sa grand-mère a fait disparaître tout ce à quoi il tenait : la vieille bagnole qui lui servait de cabane, la mare et ses grenouilles et les immenses arbres qu’il aimait escalader. Pour Benjamin, ça a été plus loin : Yanis prétend avoir subi une crise écologique, avoir fait des rencontres, vu des docteurs… De ce déploiement d’énergie et de moyens émergera un univers où rien ne se perd, où tout est recyclé pour faire la part belle à un monde à réinventer. Merry se transformera en une multitude de mondes qui n’aura de limite que celle de notre imaginaire.

Pourquoi avoir choisi deux personnages avec un écart d’âge aussi important : Yanis, la grand-mère ? Il y a d’autres personnages mais c’est vrai que le nœud de l’histoire part d’une querelle entre Yanis et sa grand-mère. La relation entre grands-parents et petits enfants est très forte et ça me permettait, à travers le personnage de la grand-mère, qui subitement chamboule tout son univers, de pouvoir parler de deux générations : de celle de mes grands-parents telle que je l’ai connue et de celle de mes parents, qui représente les grands-parents d’aujourd’hui. L’indignation de Yanis devant les changements effectués par sa grand-mère reflète pour moi la rupture qu’il y a eu entre ces deux générations : du jardin, toilettes sèches, compost, qui connaissent une certaine recrudescence, au progrès tout électrique, tout supermarché, perdant le lien avec la nature environnante. Pour moi les grands-parents, et particulièrement la grand-mère, représentent également une tendresse attentive, une écoute, une disponibilité que n’ont pas toujours les parents pris par le speed de la vie. Même si leur rencontre est assez fugitive, leur relation reste active tout au long du spectacle à travers un langage que Yanis leur emprunte. La question écologique pose le problème de l’incertitude de l’avenir tout en incriminant le passé et en laissant le présent en suspens. Inscrire cette histoire dans une lignée générationnelle me semblait important pour faire du lien entre aujourd’hui, hier et demain.

Yanis

Ce spectacle est-il militant, engagé ? Engagé certes. Je trouve qu’il y a des choses extrêmement violentes auxquelles les enfants sont confrontés dans leur vie quotidienne. Un désenchantement catastrophiste dont ils ne sont pas épargnés. Je trouve qu’ils sont exagérément chargés par cette peur ambiante comme si les adultes pouvaient trouver refuge en eux, et cela me dérange beaucoup. C’est pour ça que j’ai souhaité travailler avec différents publics sur la création de ce spectacle : des enfants, des ados, des adultes et des personnes âgées. L’idée était de pouvoir créer un certain contenant, que les enfants ne se sentent pas seul face à cette crise dont ils entendent parler tous les jours. Les échanges ont été très riches et  pouvoir parler de cette peur, libérateur pour s’investir dans la création. L’engagement des ados sur le projet a été aussi remarquable. D’autre part, pouvoir intégrer un public amateur sur une création professionnelle est très stimulant pour les deux parties. Je souhaitais déplacer cette pratique qui se fait dans l’art contemporain mais très peu dans le spectacle vivant où les barrières sont assez rigides.

Militant ? Pas au sens politique du terme. En créant des projets impliquant la population, oui. Pouvoir se questionner sur le monde d’aujourd’hui tout en faisant un geste artistique me semble aller dans le sens d’une dynamique nouvelle à trouver ensemble.

Comment fait-on pour être engagé sans passer pour un donneur de leçon ? Quel équilibre trouver ? Mon propos n’est pas de parler de la crise écologique en tant que telle, mais de comment celle-ci peut être reçue par les enfants. Comment la fonte de la banquise et ses conséquences, comment l’alerte sur des espèces en voie d’extinction peuvent être perçues comme autant de sources d’angoisses mises au même rang, ici, que la disparition du jardin de mémé. Le tout s’amalgame. Face à toutes ces vicissitudes, quels pouvoirs ont les enfants ? J’ai tenté de trouver l’équilibre en créant un contre point à cette tension. Alors que Yanis pense tomber malade écologiquement, qu’il se sent en pleine déforestation, son corps lui envoie des signaux d’une grande vitalité créatrice (un bidon musical !). C’est dans cette ressource inépuisable qu’il pourra puiser pour faire face aux changements. L’idée est vraiment de pouvoir dédramatiser car la peur ne permet pas d’avancer et d’être constructif. Les enfants ont besoin d’énergies et d’envies pour grandir et non pas de peur et de culpabilité. Si l’avenir n’est pas reluisant, cultiver leur richesse et leur créativité leur permettra de porter un autre regard sur le monde. En mettant en place des ateliers de création de supports pour le spectacle avec des enfants (une trentaine), j’ai souhaité être dans une démarche active et pas seulement prescriptive.

Le collectif R.A.S. termine sa saison avec ce spectacle. Quel bilan faites-vous de cette saison ? Quels sont les projets pour la rentrée ? Êtes-vous heureux ? Le parcours de ce spectacle a été très riche et les rencontres fécondes. Ce fut une belle aventure. Je souhaite continuer dans cette lignée avec un nouveau projet sur le thème de l’accumulation. Quant au collectif, Yannick Donet et Baptiste Chatel, d’autres porteurs de projets, seront en résidence fin juin à Lille pour une nouvelle création intitulée Symphonie Diagonale. Vous en entendrez parler en octobre prochain car ils joueront dans le cadre de la saison Why Note au Consortium.

– Propos recueillis par P.-O.B

Les mondes de Merry au Théâtre des Grésilles (gratuit sur réservation au 03.80.30.15.81)
mardi 10 juin à 15h (représentation pour le public scolaire)
jeudi 12 juin à 19h30 (représentation tout public)