Didier Tronchet, c’est évidemment des sommets comme Jean-Claude Tergal ou Raymond Calbuth, la grande école de la rigolade de Fluide Glacial, l’humour des années 80-90. À cette présentation emballée, j’ajouterais aussi les très bons albums Raoul Fulgurex (au scénario) et Houppeland.
Avec Houppeland, au milieu des années 90, Didier Tronchet quittait la bédé de genre pour toucher un autre univers, quelque chose de plus sérieux, toujours avec de l’humour mais différent. Houppeland, c’était l’histoire d’une ville où on fêtait tout le temps Noël, tous les jours, il fallait se faire des cadeaux et tout. La ville était dirigée par un dictateur qui imposait cette fête répétée. Je m’étais dit que Tronchet était capable de sortir de ses bédés à gags simplement (très) drôles.
Et là, avec son Vertiges de Quito, le Tronchet nouveau est arrivé : Tronchet se fait reporter. Ces planches ont été pré-publiées dans la revue XXI. Encore un exemple de bédé journalisme, ce subtil amalgame entre BD, gonzo journalisme, carnet de voyageur et enquête de fond. Donc il ne faut pas s’attendre à de la blagouse toutes les trois pages, quoique.
Tronchet a passé trois ans au milieu de la capitale équatorienne, une des capitales les plus hautes au monde, posée sur le flanc d’un volcan. Oui, on apprend des choses dans ce témoignage graphique. Par exemple, que Quito est construite tout en terrasse. Tiens d’ailleurs, on apprend au début du bouquin que ceux qui habitent tout en hauteur, avec une vue panoramique sur la ville et le décor anodin qui va avec, bref, que ceux qui ont le luxe d’une vue incroyable, ce sont les pauvres.
Tronchet nous fait rencontrer les figures de son quartier, avec ce talent quand même de nous raconter ces histoires avec un poil de comique, on le refait pas. Comment définir le comique de Tronchet ? On n’est pas dans la blagounette franchouillarde, hein. Son humour est pince-sans-rire ou découle de situations dans lesquelles il se met directement ou indirectement en scène. Le rire est souvent glacé, on rigole de lui, mais même s’il est à ses dépends, il n’apparaît jamais comme un gros beauf mais plutôt comme un loser, un tendre rêveur, un peu naïf ou fleur bleue.
Son rire n’est jamais noir ou grinçant. Là, dans Vertiges de Quito, c’est pareil. Il aborde des problèmes comme la délinquance, les classes de la société ou les rapports très compliqués entre les indigènes et les équatoriens de descendance hispanique.
Alors vous l’avez compris, on suit les aventures de Tronchet en Amérique du sud à la première personne. On fait la connaissance de sa femme, de son fils, de la communauté française, de monsieur l’Ambassadeur ou d’une communauté indigène.
C’est un beau bouquin pour voyager sans se fatiguer, où on apprend des choses. On rit parce que le comique est toujours là. Le dessin de Tronchet est toujours aussi souple. En tirant le truc par les cheveux, je dirais bien que son trait, comme son humour, arrondit les angles des situations les plus tendues ou malheureuses.
– Martial Ratel
Vertiges de Quito – Didier Tronchet, Futuropolis, 120 pages, autour de 19 euros.