Fin de semaine dernière, c’était coup double pour la Radikal Kulture dijonnaise. Andy Moor coupait sans vergogne la gorge du Rebetiko au Consortium et Josef Nadj clouait le bec à des canards de Voïvodine sur le plateau du Grand Théâtre. Exciting, isn’t it ? Sparse was here and there.

andyyannis

Zorba le fake

Le vendredi, on va danser. Ce qu’on sait, ce qu’on peut, ce qu’on trouve. Le temps de laisser chauffer le Tri Sélectif à l’Indus’, on part voir le duo Yannis Kyriakides/Andy Moor invités par Why-Note-au-Consortium-dans-le-cadre-de-la-saison-ici-l’onde-et-du-festival-Nuits-d-Orient-par-la-ville-de-Dijon. Le premier est chypriote, donc un peu Grec, et compose de la musique en associant les formes trad’ aux nouvelles technologies. Le second est un ex-punk et un punk de The Hex, joue de la guitare comme un métallo joue du laminoir. Les deux forment le duo Rebetika et semblent obstinés à danser sur les cendres du Rebetiko. Point presque musicologique : le Rebetiko est une forme dansée et chantée du blues urbain en Grèce. On l’entendait dans les cafés, les lupanars et autres lieux prisés pour les relations sociales sudistes au début du XXème siècle. Très joyeux, les chants balançaient à qui voulait leurs histoires d’amours mortes, de femmes assassinées ou d’enfants enlevés. Toutes prétextes à boire et à se défouler en braillant avec une classe folle, forcément. Pour en savoir, lire sur place ou à emporter la BD de David Prudhomme, classe elle aussi, canaille et amoureuse de son sujet (Rebetiko, Futuropolis, 2009).

Au Consortium, la musique jouée sentait davantage le souffre que le Raki, ahannait plus le blues à l’os joué chez un Junior Kimbrough que la goualante populaire. Andy Moor martèle sa guitare avec la ferme intention de ne pas jouer de bécares superflus quand Yannis Kyriakides massacre façon noise implacable les témoignages enregistrés à l’âge d’or de la-dite danse. Un mur du son plus tard, l’effort est fait, la tête est légèrement enfumée et les épaules un peu plus basses qu’à l’accoutumée. Le vendredi, on va danser, là on se contentera de sourire benoîtement. Classe et radical (« radical donc sexy » ajoutera, plus tard, l’étrangle-bourse en chef du-dit événement).

Joseph-Nadj-Paysage-Inconnu-©Séverine-Charrier-4

Fin de patrie

Radical, on en aura encore une tranche le samedi soir. Ce soir-là, souvent on boit. Ce qu’on veut, ce qu’on peut, ce qu’on trouve. Et les obsessions délivrés dans Paysage Inconnu par Josef Nadj à l’Opéra de Dijon, on les boira jusqu’à la lie. Point à la ligne.

On avait laissé Nadj en prise avec la pointe des ailes de ses Corbeaux amputés en 2012, pour Art Danse, de son double musical Akosh S. cloué sur un lit d’hosto mais présent sur bande magnétique. Nadj avec une danse primitive et drue comme la grêle un soir d’août, rendait hommage aux croyances populaires de Voïvodine, sa patrie nichée en ex-Yougoslavie. Croyances populaires qui rendaient elles-mêmes hommage aux corvidés en les sacralisant légèrement sous les rémiges.

Samedi soir, Akosh S. était vaillant, épaulé sur le plateau du Grand Théâtre par Gildas Étevenard, percuteur de sang-froid et grand frappeur métallique desserrant les dents seulement quand les douches sont trop chaudes. Face aux deux musiciens, Joseph Nadj et Ivan Fatjo, deux danseurs macabres, aux mouvements désarticulés et aux pitreries métaphysiques aussi drôles qu’un quatuor de Ligeti joué dans un noman’s land. Quatres hommes pour en découdre avec le sens de la vie, le sens de la vis et les abattoirs. Je ne sais pas si le spectacle aura donné envie à quelques-uns de prendre un aller simple pour Novi Sad (apprends en t’amusant : première ville de Voïvodine) mais le prospectus dansé par Nadj et consorts est aussi entêtant qu’une fin de Sabat consacrée par des magiciennes aux formes de Sophia Loren. Aux figures dédoublées et déboîtées succèdent sans procès toutes variations possibles sur la question de la transformation, du passage de la vie à la mort, de la prise de pouvoir sur le corps de l’autre. Et alors se pointent les clowns et la pensée inventés par Samuel Beckett (apprends en t’amusant : auteur de En Attendant Godot, Fin de partie, etc.). Normal chez Nadj, on les attendait presque. Mais ces clowns-ci sont aujourd’hui passés au fer de deux musiciens qui leur lancent des salves de bienvenue en acier trempé. Nadj prolonge Beckett et joue un sale tour à la mort avec ses images magiques de renaissance physique et de cycle rénovateur. Ce qui vous passe à l’essoreuse des émotions et des sentiments. Ces primitifs-là vous étrillent les boyaux, vous balancent du malaise et vous font une accolade humaniste dans la foulée. Magnifique, violent, classe et radical. Sexy, donc.

– Badneighbour
Photo : Séverine Charrier (Paysage inconnu)