Birdman est arrivé en France auréolé de son succès aux Oscars avec entre autres les statuettes de meilleur réal et meilleur film. Certes, je pars avec un a priori négatif sur Iñárritu. Biutiful, son avant-dernier film, m’a tout simplement donné la nausée. Du pathos, du pathos, du pathos. Un film aussi plein qu’un burrito. Et autant le dire tout de suite, il ne perd rien de sa lourdeur en changeant de genre.
Iñárritu a fait son entrée dans le grand monde cinématographique avec Amours chiennes en 2000. Il poursuit avec 21 grammes et Babel. Ayant atteint le point de non-retour avec l’indigeste Biutiful en 2010, il décide alors de s’attaquer à un nouveau genre : la comédie. Grand bien lui fasse et à nous aussi. Enfin, ça c’est ce que je pensais avant de voir le film.
Birdman retrace l’histoire de Riggan Thomson (Mickael Keaton), ancienne star hollywoodienne grâce à son rôle de super-héros, aka Birdman, quelques années auparavant avant de sombrer dans l’oubli. Pour revenir sur le devant de la scène et redorer son blason de super-héros ringard, Riggan choisit d’adapter Carver au théâtre. L’on suit donc pendant presque deux heures le metteur en scène-comédien et ses atermoiements dans son théâtre de Broadway, quelques jours avant la première.
Les Grosses Têtes au ciné
La comédie s’appuie souvent sur des figures simples. Les héros des frères Farrelly sont scatos mais touchants. Chez Lubitsch et Wilder, ils sont terriblement intelligents. Chez Iñárritu, ils ne sont que purs stéréotypes. N’est pas drôle qui veut. La galerie de personnages monolithiques est impressionnante. Les journalistes sont soit des intellos que personne ne comprend (ils citent Barthes, c’est dire), soit des débiles-futiles (sous les traits d’une femme bien sûr) qui s’intéressent à la prise éventuelle de sperme d’animaux contre les rides. Pertinence. Edward Norton est un comédien insupportable qui ne vit vraiment que sur la scène. À proprement parler, il ne bande que sur scène. Finesse. La critique de théâtre est bien sûr une vielle acariâtre frustrée qui ne souhaite que se venger de ceux qui sont montés sur scène. Justesse. Et le personnage principal alors, peut-être sera-t-il croqué de manière un plus fine ? Tararata. Il est égocentrique, obsédé par la gloire et sa starification perdue. Rajoutons-lui une fille assistante qui sort de cure de désintox parce qu’elle a fumé de la drogue abandonnée par son papa. Culpabilité. Son ex-femme et sa maîtresse comédienne, souffre-douleur pour laquelle il n’a aucune considération, finissent de faire de lui un vrai gros méchant. Last but not least, la dernière touche : le parallèle voulu et assumé entre Riggan Thompson et Michael Keaton, entre Batman et Birdman. Petit méta-dicours intéressant s’il apporte quelque chose, or ce n’est pas le cas ici. C’est « juste trop cool ». Au final, c’est la rédemption de Keaton qui vient d’Iñárritu et c’est peut-être la seule belle chose du film.
Iñárritu se serait à la limite contenté de ces personnages comiques grotesques, nous aurions eu au mieux une comédie lourdingue pas mal interprétée. Mais nous avons droit au pire : n’assumant pas pleinement le registre comique, Iñárritu tente de jouer à la comédie indé. Indé parce qu’il essaye malheureusement de faire une vraie critique à base de « les réseaux sociaux = caca », et « la-célébrité-ça-rend-dingue-du-coup-ta-fille-se-drogue ». Riggan souhaite devenir célèbre grâce à Carver : il le sera parce qu’il court en slip à travers Times Square et que la vidéo fait 3 millions de vues sur Youtube. Paf. Heureusement que sa fille est là pour s’occuper de lui créer un compte Twitter. Violence du propos. Le pire, c’est que tout Hollywood y a cru. Quatre Oscars.
Batman + Birdman = Bitman
Chez Iñárritu, la mise en scène n’est que pur phénomène m’as-tu-vu. Sa lourdeur scénaristique s’est déplacée sur la mise en scène. C’est comme s’il voulait jouer à qui a la plus grande à Hollywood (peut-être est-ce vraiment le cas : l’année dernière, c’est son compatriote Cuarón qui avait eu l’Oscar pour Gravity…). Une sorte de concours d’Enlarge your penis à Hollywood.
Il est bien évident qu’au cinéma, la forme appuie le propos général d’un film. Aucun geste cinématographique n’a de sens préconçu : la forme va venir dire (ou contredire) ce que les personnages sont en train de vivre. Iñárritu choisit pour filmer des comédiens et le monde théâtral le plan séquence, c’est-à-dire l’absence de coupure, comme c’est le cas au théâtre où les acteurs jouent en continu. Le rapprochement créé par la caméra mobile permet également de coller aux basques d’un type qui se trouve littéralement et métaphoriquement enfermé dans son théâtre puisque sa rédemption dépend de ce lieu. Soit. Sauf qu’Iñárritu l’applique à l’ensemble du film. Quand la mise en scène devient un artifice aussi visible, le film ne tient plus : elle n’est plus que prouesse technique. Mais même pas ici, puisque ce plan séquence n’est qu’une somme de plans d’une dizaine de minutes que le réalisateur a mis bout à bout et dont les raccords ont été gommés grâce à la palette graphique. Et bim.
La fin du film tente un retour sur ce qu’Iñárritu connaît bien -le mélodrame- en redonnant un peu de profondeur aux pantins creux qu’il agite depuis plus d’une heure. C’est peine perdue, le spectateur est lassé et ne sait plus que faire de cette fin poético-symbolique qui ne parvient pas à racheter le film, à lui donner enfin du fond.
Birdman, le surmoi de Riggan, présent physiquement dans le film, rappelle à l’acteur qu’au fond ce que veulent les spectateurs c’est de l’artifice, de gros effets spéciaux, du spectaculaire. Oui parfois, mais cela ne nous empêche pas aussi de vouloir du fond, de la finesse et, parfois même, du sens.
– Melita Breitcbach