Groupe pionnier du rap palestinien, DAM est composé de Tamer Nafar, de son frère Suhell et de leur ami Mahmoud Jrere. Rencontrés lors du Printemps de Bourges, les MC’s arabes (Da Arabian MC’s) se livrent autour du hip-hop, du metal, du gangsta rap et de la merde en Palestine.

DAM-webComment est-ce qu’on découvre le hip-hop quand on est Palestinien ?

Suhell Nafar : Le hip-hop était déjà là quand on était plus jeune. C’est arrivé via la télé. Les premiers trucs qu’on écoutait, c’était Mickael Jackson. Notre première rencontre avec cette musique, ça a été 2Pac. J’ai un pote qui vendait des cassettes et il m’en a filées. On a commencé à chercher d’autres trucs. Et puis après ça a été plus facile avec Internet.

Pourquoi ce choix du hip-hop plus qu’un autre style de musique ?

Suhell Nafar : Je pense que c’est à cause du chant. On a pu comprendre les paroles et ça nous a touché. Je me souviens avoir vu mes premiers clips de hip-hop via MTV qui étaient parfois rediffusés sur nos propres chaines de télé. Tous les combats menés par le hip-hop nous concernent : les violences policières sur les noirs, la violence de la rue… Je me suis senti touché, concerné par ça. Je vivais les mêmes choses avec mon environnement. Je suis né et ai grandi dans une ville qui est un supermarché de la drogue et des armes au moyen-orient. C’est pourquoi le hip-hop a été très vite la connexion entre ce que je vivais et un besoin d’expression. J’ai commencé à écrire de la poésie très jeune, par contre ça nous a pris un peu plus de temps pour prendre un micro : ça a pris du temps de trouver la technique pour que ça sonne en arabe puisque ça n’avait jamais été fait avant.

DAM se place du côté du rap conscient, est-ce qu’il existe également un mouvement gangsta rap en Palestine ?

Suhell Nafar : Oui, il existe un mouvement gangsta, surtout en Israël. Pas tous les groupes de rap bien sûr mais tu as des MCs qui s’amusent à porter des t-shirts de Mohamed Ali tout en faisant l’apologie de l’armée de la police Israélienne. Ça n’a pas vraiment de sens. Il n’y a pas vraiment de rap qui vient du ghetto en opposition à un gouvernement ou une situation sociale. C’est très dur pour moi d’imaginer un hip-hop détaché d’un contexte. Tous ces groupes sonnent faux et savent juste chanter « suce ma bite et mes couilles » pour paraitre subversifs. Tous les groupes ne sont pas comme ça bien sûr mais une partie l’est.

C’est quoi votre point de vue sur la situation des Chrétiens d’Orient actuellement ?

Tamer Nafar : Mon art est du côté de ceux qui sont chassés. On a d’un côté des minorités sans armes et sans pouvoir que l’on balaye dans l’indifférence totale. Mon cœur va du côté à ceux à qui on fait violence. Le bateau de refugié qui a coulé il y a quelques jours, c’était des musulmans. Ca serait pareil si c’était des chrétiens, ils sont morts. Daesh, c’est juste le résultat de ce qu’ont semé les États-Unis en Irak. La question ce n’est pas d’être musulmans ou chrétien, la question c’est d’être tué.

Est-ce que tu penses que le hip-hop comme musique et comme courant culturel peut contribuer à changer ou améliorer la situation au proche orient ?

Tamer Nafar : Améliorer, oui. Changer, il nous faudrait un vrai studio, quelques hélicoptères, quelques tanks et une dizaine de milliers d’hommes. La musique est bien parce qu’elle touche l’individu. Elle influence, donne d’autres approches, donne d’autres regards sur les cultures et sur les communautés. Des gosses m’ont dit qu’ils avaient changé grâce à notre musique. Après les seuls qui peuvent décider de notre destinée (nous Palestiniens), ce sont les personnes avec des armes, des moyens, du pétrole et donc le pouvoir.

Walaa Sbeit (une rappeuse palestinienne, ndlr) : Je pense qu’au delà du hip-hop, la musique et les arts en général sont importants pour le changement, après, c’est compliqué de tout faire.

Est-ce que vous connaissez un groupe qui s’appelle Orphaned Land (groupe israélien de métal) ? Si c’est le cas, c’est quoi votre point de vue ce qu’ils font ?

Suhell Nafar : C’est bien les mecs qui font du metal ? Je pense que c’est des bons musiciens. Je n’ai pas d’avis sur la question. Ils sont parfois pro-palestiniens et je trouve ça bien.

Tamer Nafar : Je ne suis pas un grand fan de distorsions, de metal en général. De ce que j’ai vu, de ce que j’ai entendu, ils sont très bons dans ce qu’ils font. Quand ils parlent de la Palestine, je ne trouve pas ça très respectueux. Nous avons aussi d’excellents groupes à Gaza et en Palestine. S’ils vont à travers le monde et qu’ils défendent ce qu’ils font en tant que musiciens c’est très bien. Mais s’ils tournent en tant que représentant d’une Israël qui chante « free Palestine », c’est des conneries. Si tu veux vraiment être un groupe pro-palestinien, tu dois être déconnecté de tout l’argent qui émane de l’occupation en Palestine.

Comment se passe la création et l’écriture dans DAM ?

Suhell Nafar : Chacun écrit ses propres textes et arrive avec ses propres idées en fonction de ce que l’on veut mettre en avant. La composition musicale prend plus de temps. Ça se passe en studio. On fait parfois appel à des musiciens, il y a tout un processus d’improvisation.

Une grande partie de vos textes abordent la violence et la drogue, pourquoi ce choix plutôt que celui d’aborder la paix ?

Tamer Nafar : J’ai deux enfants. Bien sur, je veux vivre en paix. Je pense que c’est faux d’arriver en face de Palestiniens et de leur demander « pourquoi tu ne veux pas parler de paix ? » Nous ne sommes pas du côté de la force. On est dans la position de la résistance. Je pense que c’est irrespectueux de venir nous voir et de nous parler de paix parce qu’on ne contrôle rien. Quand on demande nos droits, les États Unis et les Nations Unis votent contre nous. Tous les intérêts commerciaux s’effondreraient. C’est irrespectueux de nous demander ça. On a été tués, massacrés, notre pays a été volé. Personne n’est jamais venu nous voir et nous dire que l’on était victime de tout cela. Rien n’est reconnu officiellement comme ça a pu l’être pour l’esclavage. Chacun a bien sûr ses souffrances, ses douleurs et ses propres tragédies. Mais comment on peut nous demander de parler de paix quand on est encore en train de pleurer ?

Une fois que tu as été choqué, traumatisé, il faut d’abord que tu ailles voir un psy, tu ne peux pas aller mieux du jour au lendemain et ça, ça n’existe pas. On a besoin de la reconnaissance du monde. La maison de mon grand père a été donné aux sionistes parce que l’Europe et le Royaume Uni a voulu offrir réparation aux Juifs. Ce n’est vraiment pas cool de nous poser ce genre de question. C’est nous les victimes et on devrait s’excuser ?

Walaa Sbeit : Je pense que beaucoup de choses sont nécessaires avant que l’on puisse parler de paix. Je ne pense même pas à l’histoire et à ce qu’il s’est passé. Je parle de ce qu’il se passe maintenant surtout à Gaza. La guerre est à Gaza, la situation des Palestiniens en Israël et de tout ce dont on ne parle pas. Une fois que tout cela sera abordé, réfléchi et reconnu, on pourra peut être commencé a parler d’un processus de paix.

Pour revenir au hip-hop, est ce qu’en Palestine, les autres cultures du hip-hop existent également : le graff et le breakdance ?

Suhell Nafar : Oui mais pas de la même manière. Le graffiti est apparu surtout pendant les deux Intifada. Les noms des morts et des disparus étaient écrits sur les murs, ce à quoi se sont ajoutés des poèmes. Le breadance aussi est un peu différent puisqu’il se mêle à la Dabke, la danse traditionnelle arabe qui a son propre style dans chaque région. On commence à voir apparaitre des choses mais il faut bien avoir conscience que nous n’avons rien, pas de radio, pas de studio, pas de festival, pas de salle de concert. C’est dur de jouer chez nous…

– Propos recueillis par Zak Arkel
Photos : Z.A.