On remet ça, Sparse part au théâtre. Aux théâtres, pour être plus juste. Théâtre en Mai joue la dispersion façon puzzle. Du spectacle, tu en veux, tu en as. C’est un peu Noël dans une boutique de cycles : des braquets par milliers, des jolis souliers, du cadre, de la guidoline de toutes les couleurs et, rien à voir, des coups de cheveux improbables sur front plissés. 26ème édition, dimanche dernier, on entame notre running intello-trépidant. Cales aux pieds et mauvaise foi en bandoulière, prêts à enchaîner sans faiblir les trois difficultés de la journée.
La lutte, camarade !
15h. Bourse du Travail. On reparlera plus tard de Marx et de son Kapital, présents ici et là dans le festival, pour l’instant il est scred. Seul son fantôme erre rue du Transvaal dans ce chouette bâtiment ouvrier. Dzwoneck, retrouvé dans la file d’attente, siffle joyeusement l’hymne de Solidarność pour faire rougir deux trois têtes blanches. On est là pour Le Pas de Bême. On n’a rien lu à propos du spectacle au préalable, on ne connaît qu’un des trois comédiens. Vierges, chez les rouges. Nickel.
Et c’est la montée douce vers le festival. Le projet est ténu et fragile comme un pénalty d’un joueur suisse face à Joël Bats. Fragile mais plein d’allégresse et d’intelligence. Bême, élève récalcitrant livre sans férir des copies blanches à ses professeurs. Il n’explique rien, ne souffre de rien et de revendique rien. Une façon de dissidence incongrue et inconnue du monde sociologique. Une dissidence de poète en quelque sorte. Et son petit monde, joué à trois seulement, s’agite sans propagande nous scotchant à nos chaises de meeting. Le public est en espace quadri-frontal (mot technique pour désigner un carré de spectateurs), l’espace est éclairé ultra-simplement et constamment. Nous sommes donc forcés, avec une bienveillance amusée et espiègle due à la tendresse retorses des trois comédiens dirigés par Adrien Béal, de voir Bême abîmer son monde et finir triomphant au milieu d’un lac. Ce théâtre là est beau par ce qu’il refuse : le spectaculaire, l’effet pyrotechnique d’émotions, la démonstrations de culture. Avec la finesse de propos et la sensibilité de jeu qui manquait aux tracts du PC des années 70.
Troller n’est pas jouer
17h. Théâtre Mansart. Changement de paysage, on est en Norvège, au bord d’un Fjord, sur les terres de ce poète intimidant qu’est Henrik Ibsen (1828-1906). Deuxième manche de la journée, Sparse s’invite dans la famille de Petit Eyolf. Imaginez une fête d’anniversaire chez les protestants, on n’est pas tout de suite dans les troisièmes mi-temps du Stade Toulousain. Pourtant, derrière l’austérité affichée par Ibsen, il y a l’anarchiste qu’il est, voulant réduire l’État à rien et libérer l’individu. Il y a aussi l’arpenteur de pays à la recherche des contes et légendes norvégiennes. Il y a tout cela dans Petit Eyolf où un père est défait par la disparition subite de son fils qu’il n’avait regardé que moyennement jusque là. Il y a aussi l’amour en fuite et il y a les mystères du Grand Nord, les esprits reflétés dans les corps mal emboutis. Pourtant, Jonathan Châtel fait fi des Trolls et autres Vent frais Vent du matin, vent qui souffle au sommet des grands pins. Sa mise en scène est lapidaire, raide et obstinément simple. C’est une belle idée mais sa désincarnation de chaque personnage, pudeur ou pose intellectuelle, la question reste ouverte, fait son Eyolf souffler tout juste une brise de printemps sur nos visages fatigués au bout d’une heure et quart. Le spectacle reste très beau, d’une plastique et d’une lumière parfaites mais grignotant un peu trop les comédiens perdus au bord du Fjord.
Zaï Zaï Zaï Zaï
19h30. Grand Théâtre. Grand Rendez-Vous. Grand Texte. Grand metteur en scène. Jipé Vincent, le parrain de festival, rencontre Samuel Beckett. Après le duel Mayweather/Pacquiao de début mai, c’est le match le plus important du trimestre. Pacquiao cherche à expliquer sa défaite par une vieille blessure à l’épaule, on ne sait rien des raisons de Jipé Vincent. Une blessure qui l’empêche de faire le signe de croix ? On ne sait pas. Godot n’est toujours pas descendu de sa colline, toujours pas de bouquet d’églantine.
On a déclaré forfait après la première mi-temps. Rompus par le slapstick figé des comédiens et le cucul de la scéno. Beckett était un ami très cher de Buster Keaton, un admirateur de Chaplin et de Laurel et Hardy. Son théâtre est rieur si on le prend du bon côté. Il y a évidemment cela dans le mise en scène de Vincent, et c’est bien. Mais de façon déférente, peu novatrice et un peu archéologique, c’est moins bien. Alors oui, Beckett nous parle du monde d’aujourd’hui. Mais il le faisait déjà sans Vincent, qui aurait pu sans doute ajouter quelques transistors à sa carte son. Son écho nous aurait atteint un peu plus. Manque d’étincelles ? Une vieille blessure à l’épaule ? Demain ça continue.
– Badneighbour
Photos : Vincent Arbelet – Le Pas de Bême et En attendant Godot