On est toujours là, Sparse a passé la semaine dernière au Théâtre. Des spectacles, on en a voulu, on en a eu. 26ème édition de Théâtre en mai, à l’heure où les flycases trainent sur scène, où on démonte les projecteurs, voici une selecta tout à fait subjective et peinturée comme un peloton sur les routes de juillet.
Too Much Monkey Business
Lundi 25. 19h. Salle Jacques Fornier. Marx sort de sa tombe et exécute un pas de danse qui ferait passer Surya Bonali pour Vin Diesel. Le Capital et son Singe affiche ses 2h40 de réthorique sans filet. Ça glisse, ça passe crème et c’est beau. C’est bon. C’est bien. Sylvain Creuzevault et sa compagnie Le Singe nous refont le coup génial de Notre Terreur, vu lors du même festival il y a trois ans. Une longue tablée, quelques accessoires, deux litres de faux-sang et un piano de bastringue joué par un faux baltringue. La belle nouvelle, c’est que le combo a remisé, en scène, une arrogance qui confinait à la pose intello et démonstrative. Un peu comme quand tu réveillais ton quartier pour lui montrer que tu pouvais conduire ton ciao sans les mains. Les comédiens attablés font preuve d’une maîtrise du sujet (le Capital, le libéralisme et la tête de cochon) hors pair, ce qui rend clair et puissant leur discours et leur permet de travailler leurs personnages à travers l’Histoire. Révolution de 48, Crise allemande de 1919, Rosa Lux, Barbès meets Cohn-Bendit, Michel Foucault et Sigmund Freud. Il y a performance, oui, nonobstant la place un peu ridiculement mince des filles en scène. Mais il y a une dramaturgie supra-sensible et généreuse. Pas de thèse anti-capitaliste, pas de reprise de Tryo. Ouf. Et la communauté formée par le plateau et la scène le temps de ce spectacle de prendre un pied monstre à s’interroger sur le profit, la valeur ajoutée et les oreilles de Porc. Parfait. Le Tube du festival.
Space Oddity
Mardi 26. 19h. Minoterie. Débraillé aussi, le Vivipares du groupe La Galerie de Céline Champinot. Là aussi, on fait appel au théâtre à vue, où la fable s’invente au fil du spectacle. Du moins en apparence, car le texte de Vivipares est un putain de ciselage d’orfèvre. Phrases courtes, rapides et aussi crues qu’un sashimi de poulpe du Masami. Cette poésie-là n’a rien de lyrique et livre une sorte de longue fantaisie féminine où Bowie et Bukowski se donnent la main et pataugent dans la fange et les espoirs noircis. Judy Garland, revenue d’un bouge cracra, rêve, elle, à l’avenir, jusqu’au silence complet et final. C’est drôle, cinglant et extra-lucide. Débraillé, certes mais cohérent, dans son garage décor où on sent des effluves d’after-shave, de saucisses, de foutre et de poudre. Voilà des filles qui pourraient en apprendre un peu plus au machisme involontaire du Singe précédant. Vivipares est une jolie surprise, du coup on zappe lâchement Mickey le Rouge, qui, dit-on, se fait tirer l’oreille à l’athé.
Jump !
Mercredi 27. On fait jeûne. Pas de spectacle, juste la question sans réponse quant à ces vestes taillées dans le tissu des joggings qui parsèment la foule du festival.
Thunderstruck
Jeudi 28. 21h. Parvis Saint-Jean. Celui-là je l’attendais en loucedé, mon petit quinquin me disait que ça pouvait être le tube perso du festival. Indeed. Vania, 10 ans après sort du lot comme un puncheur du peloton. Ce Tchekhov, c’est Nacer Bouhanni faisait la nique à Petacchi sur le Tour de Turquie.
Les Grecs du Blitz Théâtre Group sont bien plus fins qu’une Panzer Division et rejouent la pièce de Tchekhov avec une sensibilité de félin et une puissance tranquille. Ça file droit au but, c’est plein de fausse simplicité, c’est remuant pour celui qui regarde. Marrant car Tchekhov a toujours tendance à me gonfler avec sa mélancolie docte de fin de siècle un peu condescendante (un peu à l’inverse d’un Beckett qui ne serait pas mis en scène par Jean-Pierre Vincent, si vous voulez). Mais là, le Blitz convoque le décadrage à la Godard et revisite en un éclair (ha ha) la fable d’un homme face à l’espoir qu’il place dans le progrès technique. Vania danse en solitaire parmi les plantes vertes accumulées sur scène au fil du spectacle. Cette veillée funèbre, souriante et lucide, se transforme en chant d’amour fou en l’honneur d’une humanité trop menue pour les défis à venir mais solide dans son utopie de maîtrise du monde et des sentiments. Pas de Bamba triste ici, juste la grande classe d’un Mitchum chantant son amour du Calypso. Foudroyant.
Lost In The Supermarket
Samedi 30. 20h. Minoterie. Dernière étape dans notre safari théâtreux, le Bonne Journée ! venu de lituanie. Il avait un truc séducteur sur le papier, celui-là. Un opéra chanté par des caissières lyriques, un mélodrame de supérette plein de bips et de blouses, une musique du quotidien marchand. L’immobilité des chanteuses, la blancheur infaillible de l’espace, les néons qui clignent à peine de l’œil sous les émotions, tout concourt à vous fendre le plexus. C’est très très beau. Les odes minimalistes comme les envolées de chœur répétitives. Chaque personnage n’est souvent qu’une figure esquissée à grands traits mais d’une humanité terriblement fragile dans son combat avec les promotions laitières, la succession de journées semblables et l’indifférence des consommateurs. Le clash entre le sujet, la consommation de masse désincarnée, et la forme, un opéra immaculé entre musique trad et avant-garde US est un délice de paradoxe, proche de celui, exquis et adorable, d’un Akhenaton fournissant à Coca la musique de sa dernière campagne de pub. Lituanie, Grèce (Late Night, Vania), l’international continue de placer ses banderilles à Théâtre en Mai. Viva Jean Monnet.
– Badneighbour
Photos : Vincent Arbelet