Non, il n’y a pas que les étudiantes qui ne sont pas des fainéantes, mais une fois de plus, c’est une représentante de la gente féminine que nous avons retrouvé. Ophélie la lyonnaise, en 3ème année d’histoire, nous a parlé de la vie d’universitaire à Jean Moulin (Lyon 3) quand on suit le dispositif Emploi d’Avenir Professeur (EAP) dont elle profite depuis deux ans.

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Ophélie a bientôt 21 ans et a bien de la chance car elle n’a jamais connu de longues périodes floues, dites de réflexion, quant à son orientation. Non, pour elle, tout est clair. Ce qu’elle veut, c’est partager son amour pour l’histoire. C’est une évidence, elle a toujours été passionnée par cette matière, elle aime partager avec les autres, et en bref – bien qu’elle ne se l’avoue pas – elle est patiente, altruiste, intéressante et même drôle. La parfaite pédagogue.

Originaire de Sennecey-le-Grand, elle a dû il y a trois ans s’exporter pour entrer à la fac. Elle a adopté Lyon, pour sa proximité mais aussi parce que c’est une chouette grande ville. Elle a bien fait, aujourd’hui, aucun regret : elle aime la mentalité, la culture, les sorties, les soirées, les gens… En somme, sa vie y est douce.

C’est dans cette ville qu’elle a découvert à quoi ressemblerait sa vie de prof grâce au fameux dispositif qu’on vous a teasé quelques lignes plus haut. Concrètement, l’EAP, c’est un mécanisme d’insertion professionnelle mis en place par l’Education Nationale depuis quelques années. Destinés aux étudiants ayant l’envie d’éduquer les jeunesses futures et à partir d’une deuxième année de licence, les EAP permettent aux jeunes de se familiariser avec le professorat. Ils peuvent gérer de petits groupes d’élèves, accompagner les professeurs, le tout de manière évolutive, selon leur niveau d’étude.

Comme pour n’importe quel poste, elle a proposé sa candidature : CV, lettre de motivation et compagnie. Ensuite, contrairement aux contrats domac’, elle a dû transmettre le dos’ au secrétariat de la fac et attendre que le doyen s’exprime sur son cas. Dis comme ça, ça nous rappelle un peu Romain Duris et sa candidature Erasmus dans l’Auberge Espagnole.

« Économiste de la construction »

Mais apparemment c’est bien plus simple que ça. Le défaut de ce dispositif n’a rien à voir avec la paperasse. Ce que dénonce Ophélie, c’est l’accès restrictif au poste. Eh oui, pour être accepté, il faut être boursier. C’est injuste, parce qu’au-delà de 12h de SMIC par semaine et d’une bourse de Service Public (pour ceux qui passeront un concours de l’enseignement), ce poste permet aux futurs enseignants de s’imprégner du travail auquel ils aspirent.

Chaque étudiant se voit attribuer un établissement, allant de la maternelle au lycée. Ophélie est tombée dans un lycée pro. Ce n’était pas ce qu’elle espérait, mais dans cette procédure, pas moyen d’exprimer ses vœux. Lycée pro dans le bâtiment, ça effraye : CAP maçons, électriciens, plombiers, bac pro peintres ou même accroche toi bien « économistes de la construction » (sans déconner tu savais que ça existait toi des bac économistes de la construction ?!). Autant d’élèves qui à priori n’éprouvent pas d’engouement ni de curiosité pour l’histoire qu’enseigne Ophélie. Aujourd’hui, elle s’est éloignée de ses aprioris, même si elle admet que ce n’est pas un public facile. Elle fait aussi du tutorat, à travers la discussion et des rencontres, elle envisage l’avenir avec le jeune et lui évite de tomber dans le côté obscur de la Force. Elle est contente d’avoir un certain rôle social à jouer, c’est vrai qu’il y a de quoi se sentir cool.

« Le gras c’est la vie »

Pour suivre ce dispositif, il faut être capable de tenir la cadence. Passer la journée dans des salles de classe le matin en tant que professeur et l’aprem en tant qu’élève, ça fait une drôle de sensation et ça fait surtout de grosses semaines. En plus, quel que soit ses efforts, elle n’a aucune reconnaissance en retour. Alors parfois Ophélie se dit qu’elle ne sert à rien, le blues du professeur. Heureusement, il lui reste quand même du temps pour sortir. Elle dit être plus branchée petits bouiboui-ciné que boîtes de kéké et préfère le gras à la trend healthy. On la comprend, comme le disait Karadoc : « Le gras c’est la vie ». Notre étudiante a ses habitudes chez Cooking Jack, pour leurs burgers sauce whisky. C’est donc une adresse que tu peux noter si jamais tu passes par Lyon.

Ce dont elle est le plus fière c’est la préparation de ses premiers cours. Face à son public hétérogène et pas franchement passionné par les mémoires de notre douce France, elle essaye toujours de sortir des biais conventionnels. Et pour ça elle ne manque pas d’idées, avec un film comme fil conducteur ou l’intervention d’un ami collectionneur, elle leur fait voir l’histoire à travers un prisme différent, la classe. Le jeu en vaut la chandelle, mais pour elle -la passionnée, bénévole pour la Nuit aux Musées, guide infatigable du château de Cormatin- faire un cours alors que l’on débute est un travail monstre.

L’année prochaine, elle passera les concours, les vrais. Elle avoue ne pas s’inscrire pour les filières pros. Oui, bon, elle les aime bien ses élèves, mais ils ne sont pas de tout repos et elle avoue, sourire aux lèvres, qu’elle ne sent pas la force de tenir sur le plan physique et moral.

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Des anecdotes ? Elle dit en avoir un millier. Ce dont elle ne se lasse pas, ce sont les punchlines pleines de naïveté comme « M’dame il est mort Magellan ? », ou « Ouais la Valette ça me fait penser à la malette, hey t’as pris ta valette pelo » et même « Comment définissez-vous l’armistice ? – aah c’est pas quand on fait des marrons chauds là ? ».

– Coline Roos