Trois ans après le fantastique Lonerism, les Australiens de Tame Impala reviennent fort en 2015 avec Currents. Plus que jamais, l’album marque là un bouleversement dans la philosophie du groupe. Désormais, il est de rigueur de parler de « projet personnel » de Kevin Parker plutôt que de véritable band. Il faut dire aussi que le bougre a absolument tout fait sur la nouvelle galette. Il a écrit la totalité des 13 pistes, les a composées, a joué tous les instruments un par un, les a enregistrés et les a entièrement mixés.

Une mutation marquée qui épouse la théma du LP. Currents incarne les changements profonds des rouages de notre personnalité et, de facto, de notre perception du monde. Notamment de l’amour. Là où Lonerism voyait Kevin Parker se replier sur lui-même, se coupant du monde extérieur avec lequel il avait du mal à communiquer, Currents va au contraire explorer le monde du dehors et accepter les transformations internes qui vont s’opérer à son contact.

L’ouverture Let It Happen en est la parfaite illustration. Cette première piste a quelque chose de vivant en elle, comme si l’on assistait à la mue de sa propre identité, surgissant à l’improviste des profondeurs de notre inconscient. Déstabilisant au regard de leurs précédentes productions, le titre donne le ton du reste de l’album. Les guitares blindées d’effets sont remplacées par plusieurs couches de synthés planants, presque dissonants.

Un travail tout particulier a été apporté au beat, moins nerveux mais soigneusement filtré, avec une sage utilisation du snapping. Nangs a de quoi faire rêver les accrocs du subreddit futurebeats tandis que la batterie de ‘Cause I’m A Man tient plus du hip-hop que du rock psychédélique. Surtout, c’est la fantastique qualité d’enregistrement qui marque le plus, à l’image d’un Random Access Memories au son net et impeccablement mis en relief.

D’une facilité d’écoute déconcertante – voire décevante pour une grande partie des groupies – l’album laisse sur sa faim après la première écoute. Pourtant, à bien l’écouter, il est d’une richesse incroyable et de détails jouissifs. À l’image de Past Life, Kevin Parker souhaitait un CD que l’on puisse écouter à fond dans sa bagnole. Si son envie de faire une musique plus proche de la pop va lui permettre de toucher un plus large public, il n’a pas délaissé pour autant son don de songwriter.

En apportant de nouveaux procédés comme lorsqu’il se vocode pour faire parler sa voix intérieure, ou en faisant des boucles avec l’instru, l’Australien le plus cool du moment dessert à merveille le concept même de métamorphose constante de l’être humain.

Plutôt que de lutter face au changement, il faut au contraire l’épouser et se laisser emporter dans le courant psychédélique des mécanismes complexes de notre ego. Nous changeons, Kevin Parker change, sa musique aussi. Quitte à laisser certains fans de côté, à en intriguer de nouveaux. Une évolution qui ne permet plus de mettre d’étiquette sur le genre auquel appartient Currents, à tel point que ce génie pieds-nus a désormais « son » son.

Ce troisième opus, qui tient de l’album-concept tant un fil rouge se dessine au fil des pistes, se conclut sur une track mignonne et entêtante. New Person, Same Old Mistakes pose surtout une terrible question. Et si, malgré tous ces changements, nous restions les mêmes et qu’il était finalement impossible de dépasser sa propre condition ?

– Valentin Euvrard