Le live-report tient beaucoup de la course à l’échalote. À peine les derniers festivaliers dessaoulés et rentrés dans leur pénates, que déjà les sites spécialisés dégainent leurs live-reports genre « on y était », « on en a pris plein la gueule » ou pour les plus téméraire « mes week-end sont plus cools que les tiens ». Ces comptes rendus subjectifs doivent être servis chauds car chaque été un festival chasse l’autre. Passé complètement sous le radar des webzines musicaux et autres sites spécialisés (tout juste buzzé dans la courbe des Inrocks), les Festiculles cuvée 2015, méritait pourtant bien un détour, au sens propre comme au figuré.
Déjà, il faut le vouloir pour aller à Culles-les-Roches, petit bled paumé de l’arrière côte chalonnaise. Classé « réserve naturelle pour les C15 et les Fiat panda », l’endroit est un décor de pastorale : prairies, vignes et forêts s’étagent sur les collines environnantes. C’est au beau milieu de cette carte postale champêtre qu’ont lieu les Festiculles dans un bâtiment agricole où récemment étaient entreposés enjambeurs, tracteurs et cuves de décantation. Xavier Perrin, tourneur chez Murailles Music à Paris, semble presque étonné que j’ai trouvé les lieux sans l’appeler au secours. C’est en partageant un gaspacho maison qu’il me raconte alors la genèse du festival : « mon père était viticulteur, il possédait six hectares de vignes dans les alentours ». Le paternel aujourd’hui à la retraite laisse son fiston y organiser un festival avec bienveillance. La première édition des Festiculles en 2007 tenait plus de la grosse soirée entre potes ; « le truc a été plutôt bien accueilli par les gens du coin, continue Xavier, alors ça nous a donné envie de continuer ; petit à petit, on a essayé de monter les paliers, d’affiner la programmation, mais on reste réaliste, on sait pertinemment qu’il y aura des propositions artistiques qui seront difficiles à défendre ici, mais j’aime bien ce challenge, chopper un groupe et réussir à le faire venir ici ; par exemple, Son Lux, pour l’édition de 2014, un groupe américain qui tourne dans des festivals plus importants, où Dakhabrakha, qui vient d’Ukraine, complètement inconnu en France qu’on a réussi à faire venir. Quand tu penses la faisabilité du truc, tu te dis qu’il n’y a aucun critère favorable pour qu’on y arrive et pourtant, avec de la persévérance et beaucoup de culot, on y arrive ».
Samuel Siebert, bassiste de 100% Chevalier
Arthur Delaval, programmateur de la soirée du vendredi qu’on aperçoit galoper cul nu dans le teaser du festival renchérit alors : « c’est de la baston culturelle, on aime cette prise de risque, mais il faut quand même avouer qu’à force, on s’épuise, le moindre trajet est long et puis je trouve qu’on est dans un entre-deux un peu délicat, on amène de la rareté, des groupes qui demandent des cachets assez élevés, de la technique de qualité avec un budget très limité ». Benoît Delaval, président de l’asso ABRII qui organise le machin précise que cette année, ça a été un peu particulier : « on a dû organiser des concerts de soutien à Paris, Lyon, Chalon et Mâcon pour récolter des fonds, parce que l’année dernière, comme beaucoup de festivals, on a pris cher. Il a fallu qu’on se bouge, et malgré tous ces efforts, il nous restait un petit trou de 1500 euros qu’on a réussi à combler 10 jours avant le début du festival… » Arthur précise : « grâce à un Ulule ! ». C’est une ritournelle qu’on entend souvent au point d’être devenu un poncif : le financement participatif devient l’ultime recours des (petits) festivals indépendants.
Arthur Delaval
« T’as vu, les chiottes sont
sponsorisées par la FNSEA »
Avant de se coller devant la scène, une petite visite des lieux s’impose : les chiottes d’abord, c’est primordial et souvent symptomatique de l’intérêt qu’un festival porte à son public. À Culles-les-Roches, on se soulage sur des bottes de paille, au milieu des bambous ; c’est toujours mieux que sur les bâches des sponsors à la Route du Rock ou à Rock en Seine. Les toilettes pour les dames sont, parait-il, impeccables avec de la sciure de bois et chose rarissime : un max de PQ ! La buvette, autre lieu très fréquenté, n’a rien d’un comptoir étriqué, on y sert même le vin du coin et une désaltérante marquisette. « Mais dis donc, c’est délicieux cette boisson de fiotte ! », concèdera un buveur de bière invétéré. En somme, pour ce qui est de l’accueil du public, les Festiculles n’ont aucune raison de complexer par rapport à d’autres festivals nettement mieux dotés en subventions. Mais ce ne sont pas les chiottes qui font le succès d’un festival, sinon Rock en Seine n’existerait déjà plus. La prog’ de cette édition 2015 avait un parfum de mystère ; à part Aquaserge et Klub des Loosers, le reste est un bataillon d’inconnus. Et pourtant, il y a eu de vraies bonnes surprises. Le set de 100% Chevalier fut mémorable. Il devait être 2h du mat’ quand le trio strasbourgeois s’installe au milieu du public autour d’une lampe tempête, à défaut d’un feu de joie. Shooté au groove et au psyché, Florian, Thomas et Samuel jouent avec une exaltation contagieuse des morceaux intensément instrumentaux. Dès le premier morceau, karmaggedeon (si ma mémoire est bonne), le public fut envoyé sur orbite, sautillant et dansant autour du groupe. L’autre bonne surprise de la cuvée 2015 fut la découverte des Black Lilys, lors d’une après-midi art de rue, folk et mölkky (pétanque finlandaise, ndlr) organisé sur la place du village. Ce duo fraternel venu de Lyon aura embarqué leurs auditeurs dans leurs balades folks malgré un ciel frémissant d’orage. La voix brisée, captivante, de Camy-Lily, rappelle celle de Hope Sandoval (Mazzy Star), elle fredonne avec une langueur vénéneuse ses chansons sur une mélodie tout juste esquissé à la guitare. Délicieux !
Tête d’affiche et prise de tête
L’idée d’une tête d’affiche a beau être très subjective, tous les festivals sont prêt à douiller pour en choper une capable de rameuter du monde. « Pour les Festiculles, explique Arthur, il faut trouver un groupe assez établi, qui tourne depuis 10 ans, que le public puisse facilement identifier ». Benoît rajoute : « d’ailleurs il y a une polémique qui est train d’enfler sur le prix des têtes d’affiches, et nous subissons de plein fouet cette inflation ; on peut vite se faire déborder. » Arthur et Xavier (qui font la prog’) s’arrachent les cheveux face aux cachets demandés. La plupart des gros festivals peuvent se permettre de lâcher 14.000 balles pour un DJ set. Mais cette surenchère, ça risque de faire mourir les petits festivals. Arthur glisse en aparté qu’il a tenté une négo pour Cheveu : « j’ai proposé à 600, alors qu’ils sont à 3000 euros ». Xavier précise que pour les Festiculles, le budget doit se situer entre 22.000 et 25.000 euros. « Une année, se rappelle Benoit, on l’a explosé. On est monté à 32.000 et on s’est planté ». Son frère ironise : « on s’est méchamment vautré même ! Que des groupes pas connus et quand même assez chers… mais putain qu’est-ce que c’était bon. » Benoît se souvient avec un grand sourire : « Beat Assaillant, Oddatee, Brain Damage, à Culles-les-Roches ! Fallait oser. Quand tu regardes autour de toi, tu es quand même fier de l’avoir fait. On passe de supers bons moments, ça serait dommage d’arrêter comme ça, de guerre lasse. » Cette année, les Festiculles devraient accuser un léger déficit, néanmoins, vu le sens aigu de la débrouille et l’esprit d’équipe qui anime cette joyeuse bande, il y a une forte probabilité que le festival crachent encore la purée l’an prochain.
– par Édouard Roussel
Photos : Édouard Roussel
Remerciements à Benoît, Xavier et Arthur pour leur disponibilité et leur accueil ainsi qu’à Charlotte pour ses judicieuses suggestions.
PS – l’auteur fait valoir son droit constitutionnel à dire des conneries.