Vendredi dernier, on se sentait d’humeur masochiste. On s’est donc pointés au Carré pour un dernier au revoir.

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Tu te souviens du Carré. Tu n’as évidemment jamais remis les pieds au bowling ou au restaurant, qui faisaient partie du complexe, après une ou deux excursions avec le centre aéré. Par contre, tu y allais pour te déhancher sur la piste comme John Travolta dans Saturday Night Fever. Tu y as chopé pour la première fois sur du « Décalé Gwada ». Tu y as fêté la fin du lycée en soirée Bac to the Sun. Tu te saoûlais dans la navette qui t’y amenais, depuis le VLV à côté du campus. Tu y as connu les folles soirées étudiantes, quand tu devais marcher sur la pointe des pieds dans la mare de vomi qui recouvrait le sol des chiottes. Si tu es plus vieux, ou simplement que tu aimes les cougars ou les darons qui conduisaient une Renault 21, si tu es une fille, tu étais plutôt du genre 30-40. Bien sûr, à l’époque, tu étais jeune. Et surtout très bourré. Tu te foutais donc pas mal de la déco chelou, de l’ambiance Robert aux platines et du style vestimentaire foireux des gens. Aujourd’hui tu as grandi, tu as mûri, tu as changé. Pas le Carré.

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Les visiteurs

Pour être honnête, ça faisait plusieurs années qu’on n’avait pas mis les pieds au Carré, renommé le K Club pour d’obscures raisons. Peut-être pour se défaire de sa réputation suspecte dans le milieu de la nightlife dijonnaise et se payer un nouveau départ. Raté mon gars. Quand on a passé les portes, on s’est sentis happés par une faille spatio-temporelle. Les quelques dizaines de pèlerins venus se trémousser une dernière fois au son de Tragédie dépassaient allègrement la quarantaine. Sauf rares exceptions : quelques vingtenaires qui semblaient tout droit sortis d’une vitrine de Celio des années 2000, avec des pulls à rayures ou à losanges. La distribution musicale était en outre clairement à chier, alternant entre des classiques de Gilbert Montagné et Claude François, ambiance camping des Flots bleus, et des titres plus contemporains de Kendji, Bruno Mars ou Daft Punk, sans transition. Une purge musicale. Autre signe de déchéance : la plupart des canaps et des sièges étaient libres. Là où tu dois généralement te pointer à l’ouverture ou t’incruster subtilement parmi un groupe pour pouvoir poser ton cul en boîte, là il y avait de quoi s’asseoir pour pleurer les dix euros lâchés à l’entrée. Le fumoir et ses vitres fissurées laissait entrevoir le souvenir de bastons dans l’enclos pour fumeurs entre mecs bourrés, de whisky-coca et de testostérone. Comme un voyage intemporel dans un univers horrifiant.

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Dijon Nord Parano

Pour supporter toutes ces épreuves, il aurait fallu prendre un bon paquet de drogues dures. Si tu te demandais encore pourquoi le Carré fermait ses portes, t’avais juste à te pointer le week-end dernier pour avoir un panorama complet. Pas très actif sur les réseaux sociaux, isolé du centre-ville, désuet et obsolète, avec un DJ foireux en plus, tous les ingrédients étaient réunis, bien avant la liquidation judiciaire prononcée en février dernier. Pour un carré, c’était plutôt bien bancal.

Nous, on y était vendredi, entre environ 2 et 3h du mat, le temps qu’on a réussi à tenir à l’intérieur. Je t’avoue qu’on avait épuisé notre réserve de motivation pour y retourner samedi, pour la toute dernière soirée officielle de l’histoire du Carré. Surtout qu’il pleuvait, un signe de plus qu’il ne fallait pas s’aventurer dans ce coin aussi isolé de la vie nocturne dijonnaise. Finalement, on préfère garder le romantisme des souvenirs d’antan que celui de la déchéance profonde. Quand on se saoûlait sur le parking d’à côté avant d’aller affronter le cerbère à l’entrée. Quand ton pote vomissait dans les buissons en attendant la navette pour rentrer sur le campus. Le Carré s’est éteint comme il a vécu ces dernières années, dans l’indifférence générale.

– Loic Baruteu
Photos : DR