Au départ un duo, désormais quatuor, le groupe de Tours Electric Vocuhila puise avec frénésie dans le répertoire mondial de la musique noire (free jazz, high life, Jùjú music, ethio-jazz…). Musiciens hors pair, déchaînés en live, nous les avons découverts avec plaisir au Théâtre des Feuillants mardi dernier dans le cadre du Tribu Festival. Et comme ils nous ont fait expérimenté la transe assise – nous aurions bien dansé mais le fait d’être engoncé dans un siège molletonné limitait grandement nos efforts – nous sommes allés les trouver à la fin de leur concert. Rencontre avec les deux fondateurs, Maxime Bobo (saxophone et clavier) et Étienne Ziemniak (batterie).
Electric Vocuhila est un projet à géométrie variable, ce soir vous étiez quatre sur scène : une guitare, une basse, Maxime au sax et parfois au synthé, et toi Étienne à la batterie. Lorsque vous avez enregistré l’album Marquises, étiez-vous dans cette même configuration ?
Maxime : Oui, il s’agit des mêmes instruments, mais ce n’est plus le même bassiste, nous avons enregistré l’album il y a un an déjà. Notre autre projet Electric Vocuhila Guitar Band possède une guitare en plus mais c’est un projet qui tourne peu, que nous avons créé lors d’une résidence au Petit Faucheux. Le nouvel album sort d’ailleurs sur Capsul records, du nom du collectif tourangeau.
Vous faites partie de ce collectif, quel est son rôle par rapport à votre projet ?
Etienne : C’est un collectif que nous avons créé avec d’autres groupes. On existait déjà depuis deux ans quand on s’est retrouvés à Tours avec d’autres musiciens qui étaient dans le même cas que nous à savoir : quelques années d’existence, des travaux auto produits, des tournées improvisées… Nous avons chacun un répertoire bien distinct mais il y a quelque chose de commun autour de l’improvisation. On a monté Capsul pour pouvoir travailler ensemble sur l’idée d’une structuration, une association et commencer à réfléchir à comment on pouvait mutualiser. Au début c’était assez simple ; développer un réseau, organiser des concerts avec des collectifs d’autres villes. Et depuis 2 ans ça a pris une autre ampleur puisque nous faisons maintenant des demandes de subventions pour des résidences pour accompagner les groupes, on a même une personne qui coordonne le collectif. On a monté le festival itinérant Collision Collective l’année passée avec d’autres collectifs, avec des événements qui ont eu lieu à Tours, à Nantes, à Paris, à Lyon. Et cette année on passe un autre cap, avec la création du label qui débute avec la sortie de l’album Marquises.
Pour cet album vous aviez monté un projet de financement participatif, est-ce que ça a marché ?
Maxime : Oui ça a plutôt marché. C’était juste pour la sortie en fait, on avait déjà enregistré l’album mais au départ on voulait sortir un vinyle sérigraphié. Mais c’était trop cher donc nous avons gardé la sérigraphie, mais sur un format CD.
Dans votre bio, on découvre énormément de références : free jazz, free funk, high life, Jùjú music, ethio-jazz… C’est pas un peu compliqué pour un novice ? Comment expliqueriez-vous à un enfant de 7 ans la musique que vous faîtes ?
Maxime : On travaille beaucoup sur les motifs mélodiques et rythmiques répétitifs. On faisait au départ tous les deux beaucoup de free jazz, il n’y avait pas de thèmes, on partait en improvisation. Mais j’ai toujours aussi aimé bloquer sur des motifs répétitifs dans l’impro, ça créé avec Etienne une sorte de tension. Avoir ces moments où quelque chose revient en boucle, qui arrive on ne sait pas trop d’où et dont on sort un peu comme on peut. Comme ça revenait beaucoup, on a fini par utiliser ces motifs comme des thèmes mais ce ne sont pas des thèmes de jazz, avec une structure, définis dans la durée, avec une harmonie. C’est plus basique, ce sont presque des riffs en fait. La Jùjú musique c’est une musique nigériane, très différente de l’afrobeat que j’adore. Mais c’est vrai, c’est peu connu.
Étienne : Sinon pour avoir déjà vu des enfants de 7 ans danser sur la musique d’Electric Vocuhila je pense que pour eux, il n’y a pas trop de problème. Ils s’en foutent un peu, ils sont excités quand c’est free et dansent quand c’est plus dansant. Ils se posent beaucoup moins de questions.
Il y a un côté presque math rock à des moments…
Maxime : Pour nous non.
Étienne : Pas vraiment, ça s’organiserait un peu différemment si c’était du math rock : les changements seraient plus brutaux. Dans notre musique il y a une idée de longueur, de transe, plus que dans le math rock.
Maxime : C’est moins méticuleux, et nous n’enchainons pas des métriques différentes, la pulsation reste la même et elle est assez simple. On essaye de ne pas trop faire des choses en rupture.
Comment ça s’équilibre, ces passages improvisés avec les motifs répétitifs ?
Maxime : C’est à force de les jouer.
Étienne : Après, l’idée c’est que ça ne parte pas dans tous les sens. Il faut que ce soit lié et que pour chaque morceau, il y ait une improvisation identifiée. Maxime amène toujours un morceau, parfois très complet ou au contraire plutôt basique…
Maxime : Je n’écris pas non plus des morceaux arrangés pour un big band de jazz, je balance deux trois trucs que je peux jouer et qui marchent. Quand c’est trop arrangé, c’est compliqué d’amener le côté bordélique, free.
Étienne : Ou alors ça arrive de façon trop brutale…
Maxime : On essaye d’éviter d’avoir des passages très écrits et puis d’un coup une sortie improvisée, il faut que ce soit mélangé, que les transitions soient fluides. On phrase déjà quand on joue le thème, c’est à dire que l’on commence à improviser.
Donc si je vous suis sur un autre concert, le lendemain par exemple, je n’entendrai pas vraiment la même chose ?
Maxime : Oui parce qu’il y a toujours des choses qui bougent.
Étienne : Surtout que demain on joue dans un bar.
Maxime : Dans un petit lieu où les gens sont susceptibles de danser, donc les morceaux seront plus longs, on peut jouer facilement une heure et demie. Ce soir nous n’avons pas joué tous les morceaux.
Étienne : Mais ça reste notre musique, ce n’est pas un extrait.
Vous êtes lauréats du Jazz Migration 2016, parrainé par le Tribu Festival, quel est le principe de ce dispositif ?
Étienne : Chaque salle affiliée à l’AJC (Association Jazzé Croisé), ce qui représente une quarantaine de lieux et de festivals de jazz, peuvent proposer un groupe. S’en suit des votes, et nous avons été sélectionné avec 3 autres groupes. Donc nous avons normalement, grâce à ça, des facilités pour jouer dans toutes ces salles.
Maxime : Les salles sont censées programmer au moins un des groupes lauréats.
Étienne : Pour nous c’est super, ça nous permet d’être beaucoup plus visibles, de rencontrer pas mal de gens, aider aussi notre collectif et croiser d’autres musiciens.
C’est nécessaire pour la jeune scène jazz ce genre de coup de pouce ?
Maxime : On aurait bien aimé pouvoir tourner plus sans l’aide du dispositif, mais c’est compliqué, surtout dans le jazz. C’est nécessaire encore pour les jeunes groupes qui ont du mal à se faire programmer, ça permet une certaine mise en valeur du projet et on peut se démarquer plus facilement des autres.
Étienne : On aurait continué à faire des concerts, à tourner mais ça nous permet d’être plus confortables au moins pendant cette année et puis après, si on l’utilise correctement j’espère que ça nous aidera à rester dans cette zone de confort. Après est-ce qu’on doit avoir des dispositifs comme ça… Ça dépasse l’idée du jazz, on pourrait parler de ce genre de dispositif en général. De là à savoir si ça favorise la création, je pense que c’est plus compliqué que ça, c’est un truc politique aussi.
Maxime : Il y a quand même peu de groupes qui, sans gagner des tremplins et sans être à Paris se font repérer.
Est-ce que le fait d’être à Tours ça joue aussi ?
Étienne : Chez nous à Tours, c’est peut être moins compliqué que dans d’autres villes. On a été soutenu par le Petit Faucheux qui est un gros club de jazz, actif depuis longtemps et qui nous a permis de jouer ailleurs, de faire des résidences.
Maxime : Mais c’est vrai que parmi les gens qui tournent en jazz, il y en a pas mal qui passent par Paris à un moment donné.
Ce soir il y a avait en majorité des + de 40 ans, vous avez l’impression que les jeunes se désintéressent du jazz ?
Maxime : Mais sais-tu si c’est pareil à la Vapeur pendant les concerts jazz ? Est-ce que c’est à cause du concert ou à cause du lieu ?
Étienne : Ça varie beaucoup mais c’est vrai qu’il y a pas mal de personnes plus vieilles. Alors peut être que les jeunes viennent moins dans ces salles là mais ils s’intéressent aux groupes de jazz.
Maxime : Ouais, pas tellement. Il n’y a pas un public très jeune en dehors des musiciens, même à Tours. Ce sont des gens qui sont soit musiciens, ou qui font de la danse ou du théâtre. C’est quand même pas une musique qu’on diffuse beaucoup.
Ça reste un style pointu le jazz ?
Maxime : C’est pas pointu en soit mais c’est pas populaire. Pas suffisamment diffusé, et pratiqué. Enfin, même le swing par exemple aux États Unis, c’est diffusé dans les bars, il y a des brunchs du dimanche matin avec cette musique. Comme les gens feraient de la musette en France. Ici c’est un truc de festival d’été ou pour les personnes qui ont envie de se cultiver un peu. Ça ne fait pas partie de leur quotidien.
À la radio aux USA, ils passent du Coltrane, c’est culturel aussi.
Étienne : On y est moins confrontés mais je pense que pas mal de jeunes le découvrent plus tard et se rendent compte que le jazz, ce n’est ni pointu, ni ringard. C’est tellement varié que tout le monde peut s’y retrouver. Ce qui nous sauve aussi, c’est que de plus en plus de gens font de la musique.
Maxime : Quand le public va écouter un groupe très free jazz, je pense qu’il ne se dit pas forcément que c’est compliqué. Quand il y est confronté, il peut être pris physiquement par la musique et aller au-delà de la technicité pour vivre le concert. On a besoin de lieux où les gens le vivent comme une expérience à part entière.
Vous assuriez ce soir la première partie pour David Murray et Saul Williams, est-ce que ce sont des artistes qui vous parlent ? Ce type de collaboration vous intéresse ?
Maxime : Je ne connais pas énormément Saul Williams. David Murray par contre, c’est un gros ténor américain qui fait plein de types de jazz différents, jusqu’au free. Cette collaboration sur le papier, oui pourquoi pas. Il faut que nous en écoutions davantage.
Étienne : C’est toujours hyper intéressant de jouer avec des artistes qui ont autant d’expérience, qui ont traversé différents courants du jazz.
Maxime : Surtout qu’il n’y a pas tant que ça de musiciens avec ce parcours en France.
Étienne : C’est aussi avec des personnalités comme ça qu’on peut casser cette réputation un peu élitiste du jazz.
– Propos recueillis par Sophie Brignoli
Photos : Roxanne Gauthier