La Nièvre, c’est un délire. Franchement, il se passe des trucs fous. Il y a des spots de malade et des soirées vraiment cool. Comme on en parlait dernièrement, il y a aussi des mecs et des nanas vénères qui font vivre la culture du skate et plus largement les cultures alternatives. Nevers, la capitale, c’est aussi un haut lieu de pèlerinage international. C’est là où se situe la châsse de Sainte Bernadette. Une châsse, c’est un reliquaire où se trouve le corps entier d’un Saint ou d’une Sainte. Sainte Bernadette est la femme qui a vu la vierge à Lourdes. Bref, si jamais tu es de passage à Nevers, tu peux toujours aller rendre hommage à cette Sainte où te taper une conférence pro-life contre l’avortement…
C’était un samedi après-midi, il pleuvait. L’idée de débarquer à la châsse de Sainte Bernadette était d’écouter les propos des cathos intégristes contre l’avortement et d’y poser quelques questions dérangeantes pour créer un peu un débat. Attention, l’idée n’était pas de faire de la provocation gratuite. Défendre des théories pro-life peuvent être tout à fait recevable. Dire que l’on est contre l’avortement, si c’est argumenté, est recevable. Par contre, dire n’importe quoi et faire des amalgames là, c’est un peu plus embêtant.
Quoi qu’il en soit, il s’agissait d’un colloque d’un truc plutôt obscur nommé CEP : le Centre d’études et de prospective sur la science. Une rapide visite sur le site ne nous apprend rien mis à part qu’il faut se délester de plusieurs dizaines d’euros pour assister à cette rencontre. Seule la lecture du programme a pu éveiller les sens avertis des correspondants de ton journal préféré : « De la dépénalisation au « droit » à l’avortement en France. » Ainsi que : « Conséquences de l’avortement pour le bébé, la mère, le père, la fratrie, la société. »
On s’est dit qu’il allait se passer quelque chose. On arrivait à la bourre. Ce n’était finalement pas plus mal puisqu’on a pu rentrer dans ce magnifique bâtiment sans passer par la case « contact », « adhésion », « lâche des thunes » et « qui êtes-vous et que faites vous là ? ». Dans la salle de conférence se trouvait, pour nous accueillir, une dame pas si vieille, vêtue avec une robe plissée et un chemisier boutonné jusqu’au cou. À côté d’elle se dressait une table couverte de plusieurs dizaines d’ouvrages religieux. Un regard rapide sur l’étalage nous rassura : il était question de Satan pour certains d’entre eux. Nous étions au bon endroit, au bon moment.
On se faufila parmi les rangs pour trouver une place. On avait raté la première partie sur la dépénalisation du droit à l’avortement en France et la conférence sur les conséquences de l’avortement avait commencé.
Autour de nous, la moyenne d’âge dépassait la soixantaine, il y avait pourtant quelques jeunes. La femme qui menait la conférence était sapée sur son 31 et menait la lecture de ses différentes pages A4 avec un manque de charisme prononcé. L’éclairage était tamisé, la vidéo projection de travers, et la maîtrise technique du son des micros était médiocre. La conférence était donc rythmée par un insupportable bourdonnement de fond.
On a passé outre tout ça et on a écouté. Et puis on a été atterré. Et enfin, on a ri. Pour le rappel historique, l’avortement en France, plus communément appelé IVG (interruption volontaire de grossesse), a été légalisé par la loi Veil du 17 janvier 1975. Que l’on se serve de la religion et de la morale pour lutter contre l’avortement, pourquoi pas. Selon les religions, la vie est souvent considérée comme sacrée. Par contre, que l’on dise n’importe quoi, non…
Préservatifs et théories du complot
Était-il question de la condamnation de l’avortement dans son ensemble et sous ses différentes formes ? En France ? En Europe ? Dans le monde ? Compte tenu du fait que nous n’avons pas eu l’occasion d’assister à l’ensemble des conférences nous laisserons le doute planer. Il nous semblait bien que la conférence avait commencé sans avoir posé de cadre.
Les IVG étaient considérées comme les IMG (interruption médical de grossesse*), on s’est donc dit qu’il était question d’avortement dans son ensemble. Ce n’était pas très clair. Et puis les amalgames ont commencé. Un contraceptif devient un « abortif » et « est source de maladie grave chez la mère ». Bon, qu’on argumente scientifiquement que la pilule est mauvaise pour le corps de la femme et pour l’environnement en entraînant la stérilisation des poissons, on veut bien. Mais de là à dire que c’est un abortif et que leurs actions cumulées avec celles des stérilets (qui eux « entrainent la septicémie ») sont responsables de plusieurs « millions d’avortements en France tous les ans », c’est un peu abusé.
Mais, on avait oublié. Un rapport sexuel est avant tout destiné à créer la vie. Tu ne l’oublieras pas la prochaine fois que tu voudras choper en soirée ? D’ailleurs, le préservatif que tu caches quelque part dans une poche intérieure ne te « protège pas du sida » puisqu’il paraît que le virus « mesure 1/50ème du diamètre des trous du latex ».
C’est bizarre, on se trompe peut-être mais il semblait que le latex était étanche. Sans doute que l’OMS et les organismes de santé publique à travers le monde se trompent aussi. Ah oui, on oubliait, il pousse à des « comportements immoraux ». C’est peut-être ça, plutôt, le problème… Et puis, on a basculé sur les théories du complot. Est-ce que vous saviez qu’on utilise des fœtus aux États-Unis pour le Pepsi et le Coca-Cola? Le coup des cosmétiques est, lui, plus problématique. Par contre, encore une fois, il y avait des amalgames. Il est vrai qu’ont été commercialisées des crèmes antirides faites à partir des cellules de placenta mais pas à base d’embryon. La différence est de taille. Cela pose quand même fondamentalement la question éthique de la commercialisation de cellules humaines.
Après, il a été question des conséquences de l’avortement sur la société et sur la femme. N’étant pas spécialement calé en la matière, on s’est contenté de trop rien en penser. Par contre, quand on nous a sorti que la conséquence de l’avortement sur le grand frère ou la grande sœur restant conduisait au « Satanisme, au féminisme, à l’anarchisme, à la musique techno, au addiction et à la drogue » on était vachement rassuré pour plein de nos potes. On savait enfin ce qui leur était arrivé. Ah oui, on oubliait, cela augmente la probabilité d’être l’homosexuel….
La conférence a fini sur une le fameux repenti catholique avec une série d’exemples d’anciens « avorteurs » devenus protecteurs de la vie. Là où on a été vachement déçu, c’est qu’il n’y a pas eu de débat, de question, et finalement, c’était plutôt facile de prêcher des convaincus et de dire n’importe quoi en s’appuyant sur une pseudo morale… Bref, j’ai passé une aprem avec des cathos intégristes.
– Zak
Photos : DR
* L’IMG peut être pratiqué jusqu’au neuvième mois de grossesse en France. Il est pratiqué lorsqu’il y a risque médical pour la santé de l’enfant et/ou de la mère. La réalisation de l’IMG est en effet violent et pas toujours sans danger pour la mère. Son application se fait sur accord des parents et de deux médecins. L’IMG peut être appliqué suite au décèlement de maladie génétique notamment la Trisomie. Cela pose nécessairement la question du regard que portent nos sociétés sur le handicap et sur le droit à la vie des enfants souffrant de ce genre de pathologie.