C’est quoi un(e) classique ? Un truc que chacun connaît sur le bout du cœur mais qu’il faut préparer comme un dingue avant de se le farcir. Il y a toujours un piège sous le vernis. La loi est la même en cyclisme comme en musique, seul celui qui garde la socquette légère peut s’en sortir. En Octobre à l’Opéra de Dijon, Les Dissonances, pilotée par David Grimal, avalent avec un sourire matois et en trois braquets un parcours digne de la Flèche Wallone.

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Départ réel, les coureurs sont lancés. Pas de prologue, Grimal mène le peloton et Debussy a bonne mine, les compteurs sont au vert. Les Dissonances placent la première banderille et laisse La Mer enfler ses rouleaux et son tempo. 10 ans d’existence pour l’ensemble musical et leur challenge de monter des œuvres du répertoire sans chef devient un jeu de patience. Avec le tube de Debussy, Grimal livre son équipe aux pronostics ricaneurs. Monter La Mer sans chef revient à jouer du coude avec les cadors du registre : Jos van Immerseel et Boulez, entre autres faiseurs géniaux. Mais les trois mouvements de la partition proto-symphonique sonnent ici clair, impressionnistes à souhait. La balance des pupitres, les débats constants entre solistes et ensemble, s’affichent aussi nettement que les ambitions d’un leader à la signature des dossards. Chaque note jouée rendent la justesse aux lignes marines (écrites d’ailleurs, ici, en Bourgogne et non au bord de l’océan). La redécouverte est si passionnante qu’elle va jusqu’à faire sonner le second mouvement comme un bijou sorti des mains de Bernard Herrmann pour la BO de Vertigo ou L’Homme qui en savait trop. Mais la Flèche Wallonne est réservée aux puncheurs. Si sur ce premier temps de course, Grimal et son train bleu frappe fort, la grisaille des faubourgs de Charleroi reste à dompter.

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Second braquet. On attaque les routes piégeuses des sous-bois autour de Spa. Les Dissonances livrent de la dentelle et leur vatout stratégique : Caprice Roumain de Georges Enesco. Grimal prend les commandes du peloton. Son violon enchaîne tensions tziganes et élégies à la française avec la lucidité redoutable d’un Guiseppe Saroni dans les virages de Mons de 1980. Magnifique surprise du programme, cette partition qui pourrait sembler facilement tire-larmes. Elle se révèle d’une finesse saisissante, malgré ce que râleront quelques rancoeurs énervées en sortie de salle. L’idée du caprice même est mise en jeu, laissant danser les drones cuivrés avec le désir dit du bout du pied, la danse avec une humeur plus sombre. Les frottements et les doubles cordes vont de plus jusqu’à porter cette partition d’Enesco près des terrains de la musique noise actuelle. Parfait. La sonate de Bartok, jouée en rappel comme une échappée solitaire, solaire et suspendue, fait de Grimal un leader classe à l’allure élancée. Sur le bord de la route, les favoris commencent à faire sauter les gravillons, les stratégies d’attaque sont prêtes. On se rapproche de la ligne.

À chaque Classique, on l’a dit, un tube. Pour les Wallons, c’est le Mur de Huy et ses portions mortelles à 26% à la corde des chicanes. Pour les Dijonnais au concert, ce sera la Cinquième de Beethov’. Symphonie avec pom pom pom pooom, la cinquième fait aussi mal que Huy à celui qui l’attaque en fanfaronnant. Elle demande maîtrise du souffle, gestion de l’effort et une giclette terrible pour venir à bout de ses nombreuses fausse fins. Les Dissonances ont choisi une tactique simple : subversion, joie et puissance. Il y a deux ans, avec le même programme joué au même endroit, l’ensemble nous avait déjà fait le coup d’un plaisir de jouer sans concession. Beethov’ s’en trouvait ragaillardi, porteur d’une drôlerie trop souvent oubliée sur les étagères des conservatoires. Mais pour cette reprise, Grimal s’attaque au Viennois sourdingue avec une forme d’insouciance, c’est bien, et une nervosité un peu clinquante, c’est moins bon. Celle-ci rapprocherait cette version jouée à l’Auditorium davantage des riffs bouffis de Kiss que de la fébrilité perfide des Kinks. Beethoven ne se donne pas aussi facilement. Basta la clarté de 2013, les Dissonnances placent cette fois-ci des accents trop forcés même si très puissants. La bataille des cordes et des bois est un sprint final un peu mastoc, une démonstration de performance un peu marlou. La fringale frappe dur. On imagine assez bien Grimal, en haut du Mur de Huy, proche d’un Philippe Gilbert, peroxydé perplexe et présomptueux, laissant filer le podium entre les mains de Purito Rodriguez, un poil plus malin sdans la Wallonnie de 2012.

– Badneighbour