Malick, ce qu’il crée est magnifique. Malick, je lui avais donné carte blanche pour diverses raisons. Tout d’abord, j’estimais qu’on ne pouvait certes pas rejeter un cinéaste de cette envergure pour la simple raison qu’il utiliserait son cinéma à des fins apologétiques; ça, c’est clair : il est théiste, Terrence, et pas qu’un peu. Son cinéma est un hommage permanent à la création divine, avec références bibliques à l’appui  – et à foison. Mais là, Knight of cups va vraiment, vraiment trop loin dans le genre, jusqu’à décrire cette terre comme une vallée de larme. Dis, maman, je peux arrêter le catéchisme?

Knight-of-Cups-

Traducteur de Heidegger aux États-Unis, largement inspiré par la mystique rhénane et la philosophie de Schelling : l’oeuvre de ce réalisateur était faite pour m’inspirer, me stimuler, voire même m’exciter par sa maestria. The tree of life aura vraiment été le point d’orgue d’une maîtrise du fond comme de la forme à couper le souffle. Mais là, la dimension théologique du dessein prend franchement le dessus sur ce qu’on est en droit d’attendre, tout de même, d’un film, pour peu qu’on ne se soit pas dit qu’on allait juste assister à une oeuvre d’art de deux heures. Un exemple parmi d’autres : une narration. Les deux films précédents Knight of cups, To the wonder et The tree of life misaient tout de même, à chaque fois, sur une histoire (suggérant une « Histoire » avec un grand H, la seule qui compte vraiment à ses yeux : celle qui se trame entre la créature et son créateur), à laquelle pouvait tout de même se rapporter le spectateur. Ici, il est juste question de la longue interrogation aporétique – une impasse, quoi-, d’un scénariste nihiliste, ne trouvant plus de sens à son existence, et zonant de gonzesse en gonzesse tel le premier Don Juan  venu. Rick vit à Santa Monica et il est devenu auteur de comédies réputé, mais il s’en bat les reins. Il aspire évidemment à autre chose, sans savoir réellement quoi. Il se demande quel chemin prendre. Où est le problème, me direz-vous? Au-delà du fait que c’est du vu et du revu (y compris chez des auteurs un peu plus mineurs comme Sofia Coppola), il semblerait que le dispositif cinématographique offert à nos yeux ébahis ici ne vise rien d’autre qu’une position gnostique – traduction : un dénigrement de l’ici-bas. Petit souci : le film sort précisément où l’on n’a pas franchement envie d’être indulgent avec ceux qui nous les brisent menu avec l’au-delà, surtout lorsqu’il n’y a que celui-ci qui fait sens à leurs yeux.

La beauté au service du dénigrement

Je vois d’ici s’indigner les milliers de cinéphiles et afficionados du Jour du seigneur: Malick met en scène tant de beauté! Comment pourrait-il, d’une façon ou d’une autre, s’en prendre à la terre, à l’ici-bas ? C’est pourtant ce qui ressort de ce film-fleuve, qui n’en finit pas, et pontifie à qui-mieux-mieux sur le manque de sens, l’absurdité de nos désirs, le sentiment de vide qui suit, précède, voire accompagne nos histoires d’amour ou de cul. Le but? Pour reprendre l’expression de Nietzsche : qu’on tombe à genoux devant la croix. Oh Seigneur, pourquoi m’as tu abandonné?!! Ici, les images splendides mais répétitives doivent mener au desespoir : toutes les intentions, tous les idéaux, toutes les relations, familiales comme amoureuses, ne sauraient étancher la soif de transcendance du personnage principal, auquel nous serions censés nous identifier. On le sent bien, le mépris et le dégout de Terence Malick pour la modernité, sur les kilomètres de bêton qui recouvrent L.A., pour les avions qui décollent tous les cinq minutes de L.A.X, pour les chouilles qui se trament Downtown. Son mépris (mêlé d’une compassion encore plus immonde qu’il peut bien se garder) pour l’Homo festivus, est doublé d’un souhait tout pastoral de prêcher auprès de ses ouailles en leur assénant les plus belles images du monde qui soit – ce monde qu’il filme mieux que personne. On sent la roublardise. Je me fiche pas mal de ce que disserteront Positif, Les Inrocks et Les Cahiers du cinéma : bien sûr, il y a des qualités formelles indéniables, une bande son fantastique et une photographie, surtout, à tomber à la renverse. Mais la mise en scène saccadée, reposant probablement sur un montage tout à fait douteux (nul doute que Malick a dû encore accumuler des dizaines d’heures de rush…), font que je n’accroche même pas complètement à la forme – mais remettons-en une couche sur le fond.

KOC

Où sont les femmes?

Autre point qui fâche : la direction d’acteurs. On s’était déjà dit que le misérable Ben Affleck était parfait pour To the Wonder au sens où il excelle dans l’apathie – ce qui collait avec le rôle qu’il avait à jouer de mari placide puis de plus en plus sec. Ici, l’atonie vire à l’atrophie musculaire.  C’est simple, on a littéralement envie de secouer ce Christian Bale sous Xanax, qui surjoue le dépressionnisme post-moderne en crise existentielle de la quarantaine, Don Juan attardé qui n’aurait pas lu une ligne de Kierkegaard, ni rien appris de ses échecs passés. Ici, il nous fait davantage pensée à l’Ethan Hawke de Training Day (ouais, pas le même délire !), il en quasi l’allure et le regard tout aussi vide, hagard : voué à se faire secouer les puces par Dieu le père le moment venu. Et que dire de la place des femmes dans le cinéma de Malic k! Cela devient véritablement problématique, car programmatique, cette fois-ci, c’est avéré : la femme est uniquement un faire-valoir, une égérie diaphane, elle virevolte et danse à moitié, taquine et énonce des phrases courtes et  infantiles, mais en aucun cas n’est au centre de ce qui se trame entre cet homme et son dieu. Du reste, c’est là la  seule véritable histoire d’amour qui vaille apparemment selon le cinéaste, tout le reste semblant n’en être qu’un succédané. Une scène ridicule sonne comme un drôle d’aveu, où l’on voit un prêtre affirmer carte sur table au protagoniste, comme dans Le livre de la consolation de Maître Eckhart, que toutes les souffrances de la vie sont imposées par Dieu lui-même pour être d’autant plus heureux de le trouver ! Si on met cette scène en lien avec d’autres encore plus grotesques où on voit Bale zoner auprès de SDF en réelles détresses (pas comme lui, apparemment pété de thune dans le scénar’) dans la rue sans les aider, on a juste envie de dire : au secours !

– Tonton Stéph