Je vais parler dans cet article d’une bande dessinée –en deux tomes– sortie il y a presque dix ans mais qui a été une grande révélation pour moi et pour pas mal d’autres : Fraise et chocolat d’Aurélia Aurita, publiée aux Impressions Nouvelles.

La franchise et l’humour sont les qualités premières que l’on retrouve chez l’auteure, l’esthétique des dessins n’étant pas ce qui frappe le plus. En effet, ses tracés, vifs et tout en rondeur, espiègles, qui, même s’ils expriment nettement la part enfantine et joueuse de la bédéiste ne sont pas de la trempe réaliste et élégante d’un Manara, d’un Crepax, ou même de celles de son ancien amant, Frédéric Boilet, lui aussi auteur de récits plutôt érotiques dans l’ensemble. Je ne regrette pourtant pas que ces dessins soient peu recherchés dans la forme, car ceux-ci sont en parfait accord avec le ton enlevé du récit, et, comme je le disais, l’esprit d’enfant, constamment émerveillé de l’auteure.

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Ici, les textes sont touchants et intimes car ils ont été écrits pour le sujet dont parle l’histoire des deux tomes de Fraise et Chocolat à savoir Boilet, l’amant, l’ami, l’amour. Effectivement, Aurita a expliqué que si ses ouvrages érotiques avaient été publiés en 2006 et 2007, c’était d’abord grâce à lui, lui qui l’a poussée à le faire, touché par le résultat de ce qu’elle lui destinait uniquement : les preuves de son amour en dessin. Ce qui a également touché Boilet c’est la spontanéité des mots de sa maîtresse, lui qui se demandait pourquoi le sujet du sexe n’était jamais traité simplement. La joie est une force majeure de ces deux bandes dessinées, que l’on ne retrouve que très rarement dans les travaux d’artistes s’exprimant sur la vie sexuelle, la joie pure, sans aucune arrière-pensée, la joie de faire l’amour avec son amant, de donner et de recevoir, d’ouvrir son esprit en même temps que son cœur, de se laisser aller au désir, dans la délectation des plaisirs terrestres qui nous sont accessibles, offerts, et qui sont parmi les plaisirs les plus exquis que l’on puisse obtenir. Comment, pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Une telle libération, via la BD, ne peut être que bénéfique à ceux qui se lassent du sexe surfait ou à ceux qui en ont peur… La déclaration que porte Aurélia Aurita à la face du monde à longueur de cases est que le sexe et l’amour font bon ménage, que lorsqu’ils sont vécus avec honnêteté et générosité, ils sont tout naturellement beaux.

2En réalité, Aurita tire de sa propre vie, de son expérience personnelle, un récit universel, tout en ne donnant aucune leçon et pour cela nous devrions la remercier même si certains peuvent être en désaccord sur le principe, tout le monde dans le fond, en lisant sa bande dessinée comprend, se souvient de cette beauté, cette énergie, cette puissance vitale que procure l’amour, par l’intermédiaire du sexe notamment. Le sexe est ici traité sans aucune négativité, loin d’être un objet de consommation ou de scandale, il est libre, il évolue entre deux personnes aimantes, il est loin de l’image qu’en donnent les médias de masse, eux qui transforment les femmes en objets de chair à tendance hystérique et les hommes en phallocrates dominateurs (pour résumer). On est également loin de l’image habituelle du couple dans lequel il y a une grande différence d’âge, ici l’homme de 45 ans n’est pas plus libidineux que la jeune fille de 25 ans, et celle-ci n’est ni soumise, ni farouche, ni « nunuche », tous deux rééquilibrent les rapports que l’on peut habituellement trouver dans la bande dessinée érotique, pour un « mélange moins codé » que traditionnellement.

Sans intellectualisation, sans trame narrative, cette bande dessinée vite lue reste une belle tranche de vie qu’il nous fait bon relire lorsque nous oublions que le sexe peut être bien vécu, sans trop de tourments et surtout, dans la félicité et l’innocence. Un ouvrage rassemblant les deux tomes est sorti en 2014 par la même maison d’édition, amélioré d’un épilogue de l’auteure expliquant la rupture du couple. Sans fards, comme elle nous avait habitués, elle s’exprime sur sa tristesse, sa solitude. Même si les histoires d’amour peuvent être très belles elles ne sont pas destinées à toutes durer éternellement. Bon, cet article ne finit pas très gaiement, mais « c’est la vie, pas le Paradis » comme dirait cette bonne vieille Zazie ! Allez salut et bonnes fêtes surtout!

– Léa Zamolo