Des monnaies locales (ou monnaies complémentaires), il en existe 13 000 dans le monde. Des monnaies alternatives, parallèles aux monnaies officielles, qui s’échangent sur un territoire donné (un quartier, une ville, une région). Jeudi dernier, sur la Péniche Cancale, on nous présentait le projet (encore embryonnaire) de monnaie locale à Dijon. La Péniche blindée, 150 personnes refoulées. Succès. Ça doit être l’effet « Panama Papers »…

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Christelle Faieta est l’initiatrice du projet. Dijonnaise, citoyenne. Ce premier rendez-vous devait nous présenter le concept de monnaie locale et recruter des troupes pour lancer concrètement le truc à Dijon. Elle était accompagnée de Jean-Philippe Magnen, auteur d’un rapport national sur le sujet, et Sébastien Tagliana, cofondateur de la Gonette, monnaie locale sur Lyon, en circulation depuis six mois seulement.

En France, il existe déjà une trentaine de monnaies en circulation ; la plupart sur des petits territoires, à l’échelle d’une ville, concernant quelques centaines de personnes, mais se développant vite. Au pays basque, « l’eusko » commence à être très utilisé. Ces monnaies sont parallèles à l’euro, tolérées par l’État, qui ne voit pas ces initiatives d’un bon oeil. On parle de pognon quand même…

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Comment ça marche ?

Un euro égal une unité de monnaie locale. Alors pourquoi une monnaie locale si ce n’est pas un moyen de gagner de l’argent ? C’est un moyen de le dépenser mieux. Finalement, quand on consomme, on investit. Avec la monnaie locale, on investit sur son territoire, on crée du lien social. On donne un sens à son achat. Les consommateurs, les producteurs, les commerçants sont dans le même coin. Donc circuit court, cercle vertueux.

Il faut savoir que sur la masse totale de l’euro, seul 2% bénéficient à l’économie réelle. Argument massue. Quand tu paies avec des euros, il y a 98% de chances que le pognon se tire à la bourse, au Panama, on ne sait plus trop où, mais finalement très peu dans les poches de tes voisins, amis, familles, etc. Donc une monnaie locale permet de s’assurer de faire vivre les gens du coin. Pour Sébastien Tagliana, « c’est de la politique au sens propre du terme. On s’organise ensemble, dans une communauté de vie ». Elle peut être large, mais conserve toujours une taille humaine.

Il faut que cette monnaie vive, qu’elle soit échangée, entre consommateurs et commerçants, mais aussi entre commerçants et producteurs. Il faut qu’elle soit disponible, pour que les gens ne pensent pas que ce soit trop compliqué à obtenir (la monnaie est d’ailleurs parfois virtuelle, sans billets). Il faut que les professionnels jouent le jeu et y voient leur intérêt. En fait, il faut créer des habitudes.

Jean-Philipe Magnen précise : « la monnaie, c’est un prétexte, c’est un outil. Ce sont des laboratoires pour apprendre à s’organiser autrement, à d’autres échelles. C’est un terreau d’actions citoyennes et économiques. » Tout le monde peut avoir un impact sur l’économie de son lieu de vie. Il enchaîne : « on peut constater que les initiatives de monnaie qui marchent sont des initiatives citoyennes, comme à Dijon. Mais il faut que les pouvoirs publics jouent le jeu. » Pour que ça marche, il faut que la Mairie soutienne. En Angleterre, à Bristol, on peut payer certains services publics en monnaie locale (transports, piscine, etc.). En Allemagne, où les monnaies sont très présentes à des niveaux régionaux, on réfléchit au paiement de l’impôt en partie en monnaie locale (ce qui est pour le moment interdit en France). « La France est encore très centralisée. Il y a Paris et le reste, donc c’est plus compliqué que dans certains autres pays. »

Le public ? Des « alter », de la gauche du centre ville ; pas mal de tête grises, mais pas que… En tout cas des gens déjà convaincus. Le challenge sera justement de convaincre les autres : les commerçants, artisans, producteurs, etc. Sébastien l’avoue : « c’est vrai que quand on va voir les producteurs en leur parlant de notre monnaie, ils hallucinent un peu. On n’a pas le même rapport à l’argent qu’eux. »

À Dijon, ce sera peut-être « la Chouette », la monnaie. « Un demi steuplé. » « Deux chouettes et demi, s’il te plait. » « Merci. » Il y a beaucoup à faire, mais l’envie est là. À suivre.

– Chablis Winston
Photos : DR