Oui, on ne va pas souvent au cirque alors on en profite pour caser, une fois l’an à l’occasion de Prise de CirQ’, tous nos jeux de mots éculés. On vous épargne ceux sur la femme à barbe et les clowns. D’autant que… à la toute fin de Matamore, du Cirque Trattola et du Petit Théâtre Baraque, il y a un chien ! Cette blague d’une finesse rarement égalée est donc valable. Et avant ? Avant le chien ? Pour le savoir, il faut sauter une ligne, ici c’est la fin du chapô.

On va tellement peu aux spectacles de cirque qu’à chaque fois c’est pareil, il faut s’y remettre : le cirque impose son rythme. C’est « un numéro » après… « un numéro ». Ça, c’est la formule classique et, justement, surprise : c’est la première spécificité de Matamore. Plus que du « nouveau cirque », le spectacle est « contemporain » ; c’est-à-dire d’aujourd’hui, avec ses propres codes, peut-être hors école. Du début à la fin transparaît le désir de dépoussiérer le « vieux » cirque quand d’autres veulent renverser la table.

Dans Matamore, c’est la formule classique du cirque, avec son arène centrale, ses acrobaties, son montage à vue, ses adresses au public, sa musique (parfois) en live, ses clowns, ses « monstres », son homme fort, etc., qui est revisitée avec respect et poésie rétro. Si on ne retient qu’un élément du spectacle d’environ une heure et demi, c’est la performance physique. La bande à Bonaventure Gacon s’escalade, voltige, se suspend, se lâche, se rattrape, et ça durant presque tout le spectacle.

Deuxième temps marquant, c’est la ré-invention, la distance et le respect des formes anciennes que les acteurs mettent dans leur numéro. Plutôt que faire un énième tour de force, on installe un pantin géant sur une barre fixe et on le fait évoluer comme si… Comme si c’était un vrai gymnaste sauf que le spectacle est aussi sur le côté : on regarde le manipulateur autant que son Pinocchio, bluffant de réalisme. On se dit que c’est un sacré boulot, avec une économie de gestes, que de recréer ou d’inventer de nouvelles figures.

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Il y a bien entendu du jonglage, un bien chouette numéro avec de faux pistolets, de la manipulation de balais, un numéro de fouets, des dialogues absurdes, mais dans la forme, le plus intéressant est sûrement le croisement des genres. D’un côté, classique, à l’ancienne, cirque à papa ; l’homme fort est viril, barbu, mastoque, c’est lui le porteur et le patron du rond central. Comme Bud Spencer, il lui arrive de filer des tartes. De l’autre coté, derrière une trop grosse moustache pour ne pas être remarquée, c’est une femme, habillée en homme, qui manipule les fouets, objet classiquement réservé aux gaucho et autres mecs qui y voient autre chose que le prolongement de leurs mains. Idem pour l’acrobate, un doute subsiste jusqu’à la fin sur son identité sexuelle. C’est bien vu parce que c’est discret alors que c’est pourtant sous notre nez. Un glissement de valeurs qui dépasserait l’acte militant, l’affichage trop grossier.

« Ce spectacle, c’est exactement ça le meilleur du cirque aujourd’hui. »

Le point le moins convaincant tient à la narration. Finalement, qu’est-ce qui relie les numéros les uns aux autres ? Qu’est-ce que ça tente de nous dire ? Est-ce que c’est l’histoire d’un cirque qui essaie de ne pas couler ? Est-ce que ce n’est finalement qu’une évocation poétique d’un monde (cirque) ancien qui disparaît ? En fait, l’histoire ne semble pas être le souci numéro un du spectacle. C’est un poil dommage.

Pour nous persuader de venir, Natan, le boss du festival, nous avait dit : « ce spectacle, c’est exactement ça le meilleur du cirque aujourd’hui. » Comme on ne veut pas se fâcher avec lui, qu’il s’y connaît bien mieux que nous et qu’on a passé un bon moment devant un spectacle comme on n’avait encore jamais vu, on est prêt à se ranger à son avis. J’crois qu’il avait poursuivi son incitation par : « c’est un chef d’œuvre ». S’il ne l’a pas dit, il n’est pas loin de l’avoir pensé.

– Martial Ratel
Photos : DR