Si je te dis Patrick Bruel, bad beat, tapis vert, Las Vegas et piles de jetons, tu penses à quoi ? Au poker bien sûr, ce jeu aux valeurs hautement capitalistes dont le but est de taxer le butin de tes adversaires. Plongée au cœur d’un tournoi entre joueurs hardcore à Dijon.
Le week-end du 6-7 mai, pendant que certains se gelaient les miches à Nuit Debout et que d’autres étaient en train de parfaire leur bronzage sur la French Riviera en prévision du Festival de Canne et de Roland Garros, j’ai passé mon temps à Dijon, enfermé dans la salle Camille Claudel dans le quartier des Grésilles. L’asso Dijon Poker fêtait ses 10 ans en organisant son tournoi annuel, le « Main Event ».
Importé de la patrie de Donald et popularisé en France par Patrick, le poker dans sa version Rolls Royce (le Texas hold’em) a connu un gros boum au milieu des années 2000. Même ta grand-mère avait acheté une paire de Ray-Ban Aviator et organisait des parties privées dans sa cave. L’engouement est un peu passé mais continue à rassembler pas mal d’accros. Le poker de club tel qu’il est pratiqué dans l’asso Dijon Poker, ce n’est pas ce que tu vois à la télé, ou les gagnants repartent avec des brouettes de biftons de cent dollars. Ça, c’est la version professionnelle où des mutants, génies des mathématiques ou vieux briscards millionnaires flambent comme des malades sur les tables du Bellagio de Las Vegas. Non, pour participer à un tournoi amateur, tu payes une adhésion annuelle à trente balles à l’asso qui organise et tu peux participer au tournoi, tiser des binouses à deux euros et becter des jambons beurres au bar.
Le tournoi de Dijon Poker cette année, c’était plus de 300 joueurs inscrits. À la fin, il n’en reste plus qu’un, un peu comme chez les Highlanders. Christophe Lambert étant absent, et apparemment aucun immortel ne participant, ça ne se déroule pas sur quatre siècles mais sur quatre jours. Un vrai petit marathon quand même. Quand tu rentres dans la salle de tournoi, c’est un peu comme un ring de catch géant. L’essence même du jeu étant d’impressionner, de faire peur, voire d’écraser tes adversaires à la table, la testostérone est hégémonique. Dix pour cent de joueuses, pas plus. Pour ce qui est de l’ambiance, c’est moins cul serré qu’un tournoi de bridge et un poil moins beauf qu’un tournoi de belote. Les joueurs viennent de toute la BFC (Auxerre, Besac, Val de Saône, Jura…) et même d’autres régions ; j’ai croisé un mec venu d’Albertville, probablement égaré depuis les JO de 1992.
Jeudi à 10h du mat’, c’est le coup d’envoi du marathon du carton. 170 joueurs récupèrent leur numéro de table et de siège, leurs jetons dans un petit sac plastoc puis les entassent soigneusement devant eux. Un mec au micro, proclamé directeur du tournoi, rappelle les consignes. Quand les joueurs perdent tout leurs jetons, ils sont éliminés, ils se lèvent, la salle applaudit et ils vont se taper une pression au bar. La journée dure douze heures. A 22h, la moitié des joueurs a dégagé, les survivants ont des mines fatiguées. Tout au long de la journée, on a vu des mecs se lever quand ils étaient « à tapis », pousser des gueulantes lorsqu’ils prenaient des « bad beat ». À la pause, on ne parle que du jeu dans un langage incompréhensible pour les béotiens. « Nan mais mec, l’abruti shove la turn pour 50BB sur une gutshot, je suis commit, obligé de payer et il chatte la rivière, c’est affreux. »
Vendredi, c’est rebelote pour 160 nouveaux joueurs… Comme on ne peut pas entasser 300 gus le même jour, certains commencent le vendredi et on rassemble les survivants le samedi. Samedi 10h, il y a une centaine de survivants. Bim! Encore 12h à jouer aux cartes le cul vissé sur ta chaise. La tension et la fatigue montent, à la mi-journée, il y a plus de monde bourré dehors en train de jouer à la pétanque que sur les tables de poker… Ils ne seront qu’une vingtaine à être qualifiés pour le dimanche.
Bah au fait, on gagne quoi à ce tournoi ?
Les joueurs qui joueront le dimanche se verront récompensés. Ils auront la chance… de pouvoir rejouer au poker. Le 24ème gagnera une adhésion à Dijon Poker et une batterie de secours (bah oui, tu fais comment pour recharger ton phone quand tu joues pendant douze heures ?). Pour l’heureux gagnant du tournoi, il pourra allez taquiner les pros du carton dans un tournoi international : une entrée de tournoi à 1 500 euros pour aller défier Patrick à Las Vegas ou à Monaco.
Tu l’auras compris, le poker est un jeu addictif qui se mord la queue. Quand tu perds, t’as pas eu de chance, tu rejoueras le prochain tournoi. Quand tu gagnes, tu rejoues, normal. Bon c’est toujours moins dangereux que d’aller se faire taper par des CRS dans une manif’ ou que d’aller risquer le cancer de la peau sous le soleil de la Côte d’Azur. L’année prochaine, je m’inscris à nouveau.
– Augustin Traquenard
Photos : D.R.