Pendant que tu t’endormais devant le match de la France vendredi soir, on était à l’auditorium pour le récital de Claire-Marie Le Guay, pointure du piano, qui nous a transporté avec les plus grands génies classiques pour Souvenirs de voyages.

Ulvi Cemal Erkin, Adnan Saygun, Franz Schubert, Wolfgang Amadeus Mozart, Franz Liszt et Maurice Ravel ; de la Turquie à la France, en passant par la Hongrie et l’Autriche, Claire-Marie Le Guay a fait voyager à bord du légendaire Orient Express les quelques spectateurs qui ont déserté le match d’ouverture de l’Euro pour se rendre à l’Opéra dijonnais. L’audience est clairsemée, trop pour un récital de cette qualité. Car, comme souvent à Dijon, la programmation est d’excellente qualité. La jeune pianiste virtuose de 42 ans, qui a débuté le piano à l’âge de 4 ans avant d’entrer au Conservatoire de Paris à 14 ans, où elle enseigne d’ailleurs aujourd’hui, est une véritable surdouée. Elle s’adresse à son public avant chaque temps fort pour l’amener où elle le souhaite.

Sur son immense piano à queue Steinway & Sons, dont la valeur se situe autour des 50 000 balles, Claire-Marie Le Guay débute son concert par deux mélodies aux airs cristallins en guise d’introduction, le « Pièces pour piano » du compositeur turc Erkin et « Ondine » de Ravel. Le public est déjà charmé par la maîtrise et la fluidité du jeu de l’artiste, dont le récital flatte l’oreille et rend chacun à sa nature primitive. Bien sûr, le cadre de l’auditorium de Dijon ne vaut pas le Palais Garnier, la Scala ou le Bolchoï mais l’acoustique y est plus confortable.

La virtuose enchaîne avec l’autre compositeur turc de son répertoire de la soirée, Saygun, et des extraits de son « Esquisses sur des rythmes Aksat », puis Schubert et « Impromptu D899 / op. 90 » avant la très fameuse « Sonate ‘Alla Turca' » de Mozart, pleine d’humour. L’entracte vient, les spectateurs se ruent sur le bar de l’auditorium, où le Kir est à 5€ et la bière à 4€. Certains attaquent des sandwiches ou des pâtisseries mais pas de kebab à la vente par contre. La moitié de l’audience est composée de personnes âgées mais on perçoit aussi quelques accents étrangers, italiens et autrichiens. Le coin fumeur en jardin est désert, les amateurs de classique sont sains de corps et d’esprit. Une leçon de vie.

1448378_origAprès une vingtaine de minutes, le spectacle reprend avec la dernière partie, les trente minutes de la « Sonate en si mineur » du compositeur hongrois Liszt. La mélodie s’envole, redescend, tantôt puissante, tantôt sensible, magnifiée par le talent de son interprète. Ce qui n’empêche pas un spectateur, visiblement peu impressionné, de ronfler en cadence. Le piano se tait finalement et c’est un tonnerre d’applaudissements pour la jeune musicienne récompensée de son œuvre.

Et de son audace lorsqu’elle reprend la « Marche turque » de Mozart, avec des variations de notes, en guise de premier rappel. Claire-Marie Le Guay revient ensuite pour un second rappel, avant que les lumières de l’auditorium ne s’allument pour mettre fin à cette véritable performance, qu’on imagine éreintante tant les partitions de ces grands maîtres sont exigeantes. Évidemment, c’est pas la fête du slip donc tu risques de t’ennuyer si tu n’aimes pas la musique classique et le piano en particulier, surtout qu’on ne vient plus à l’Opéra pour taper la causette comme au 18e siècle. Au final, le concert aura duré près de deux heures et aura même laissé le temps de rentrer chez soi pour voir les trois buts du premier match entre les Bleus et la Roumanie. Un autre genre de voyage.

– Loïc Baruteu
Photos : Romain Calange, DR