Mardi, c’était la Fête de la Musique et tout ce qui va avec. On a arpenté Besac et Dijon dans tous les sens tels des explorateurs en quête du bon son. Et c’était dur par moments.
Géraldine, en after hors-la-loi à Besac
La Fête de la Musique, et surtout dans ma ville natale, globalement pour moi c’est une convention sociale relou à laquelle j’aimerais bien échapper. Aussi, mardi dernier, j’ai pris tout mon temps pour sortir de chez moi. J’ai loupé à peu près tout ce qu’il y avait au programme. À peine vu : un groupe créole, devant un resto réunionnais qui servait des ti-punch, nous demandant où sont passés les tuyaux et la grande échelle, coucou Sacha Distel. Et puis une scène ouverte rue Proudhon, avec mes copains hippies du théâtre, qui chantaient « Hit the Road Jack » pieds nus.
On a plus tard essayé de se réunir autour de Tarzan qui nous a fait un set bien cool pendant un temps place Granvelle. Mais c’était l’heure du thé, et la bouilloire, parfois, elle est branchée à côté des fils. Puis parfois, des gens renversent la bouilloire sans faire exprès. Sur les fils. Black out un peu trop long, on part se secouer place Pasteur grâce à l’asso’ Citron Vert. À 1h, extinction, souhaitée cette fois, du son.
On fait quoi, on rentre ?
Plusieurs personnes suspectes me l’assurent : il y a un after « dans le tunnel piéton de la Citadelle. » What the hell. Ce tunnel, c’est un boyau super long, étroit et humide, sans aucun raccord électrique, qui longe le canal. Comme on aime le danger, et qu’on a rien d’autre à faire, on décide de s’y pointer, pour voir. Au pire, on sera plusieurs glandus à s’être fait avoir et, plus tard, on en rira. En approchant du Doubs, on capte des groupes qui partent en sens inverse. Je demande à un mec si du coup c’était un fake : « Non, non, y’a bien un truc là. Mais bon, faut avoir pris des trucs quoi. Pis y a des gens qui sautent dans l’eau. » Ah ouais.
Effectivement, après avoir dépassé l’écluse, on s’aperçoit qu’il y a de la lumière au milieu du tunnel. Des jeunes (et des très jeunes) dansent sur de l’electro sympa dans un espace éclairé à la lumière de sécurité. Ambiance chauve-souris et roches qui suintent. On trouve des Kro à un euro. Et personne n’a l’air de sauter dans l’eau. Je retrouve un pote dans la « foule » ; on doit être 50 ou 60 à tout casser. « C’est ouf que les flics se soient pas encore ramenés. » L’évènement, illégal, est organisé par un collectif qui restera anonyme. Mais les flics doivent avoir autre chose à faire. On ne dérange pas grand monde non plus dans notre tunnel.
Quand, des heures plus tard, on se décide à retourner à l’air libre, on longe le canal à nouveau. Allée de l’angoisse, à intervalles réguliers, un mec comate, des gens te proposent de la MD ou bien une meuf fait pipi accroupie sous un spot. En rythme. La Fête de la Musique, théâtre des conventions sociales donc.
« Je te salue, ma vieille Dijon, ô maîtresse burgonde »
Oui, c’est du Yves Jamait. Dijon n’a pas sorti de grands noms de la chanson française mais c’est une ville qui aime la musique. Qui ne le lui rend pas forcément bien puisque la Fête de la Musique est chaque année l’occaz de saigner des oreilles, même si globalement le rassemblement populaire est beau à voir ; c’est l’une des seules fois de l’année où tu verras autant de gens d’humeur festive dans la rue.
On attaque rue de la Lib’, écho des balances à gauche et à droite On croise quelques guitaristes manouches ; encore des saltimbanques en musico à tous les coups. On aperçoit même un va-nu-pieds dansant parmi les quelques spectateurs. Folklore local.
Habituellement au square des Bénédictins, le traditionnel rendez-vous électronique qui réunit chaque année le public électro dijonnais avait dû se contenter de la salle Devosge cette année, pour des raisons indépendantes de la volonté des organisateurs. On a fait un tour et il y avait quatre personnes à l’intérieur, devant le malheureux DJ solitaire. CHKT et ATOM étaient quant à eux posté au bout de la rue du Château, où le son résonnait jusqu’aux galeries. L’asso’ CHKT et le collectif de DJs ATOM proposaient une journée 100% électronique. 9h de son, sonorisé par les plus expérimentés Gravity. Au programme : afrobeat, microhouse, tech-house et techno pour finir. La rue se remplit doucement jusqu’à 19h, les bonnes vibes s’enchaînent, certains ont déjà bien trop bu. Pas de doute, la rue du Château a passé un grand moment.
21h, la techno résonne, la rue est pleine, les gens aussi. La subtilité des premières heures laisse place à des kicks à 130 bpm, des sonorités acid, et des bières qui se renversent. Car oui, le jeune d’aujourd’hui tourne à la bière et au pastis mal dilué, fini le vodka-pomme. C’est beau le progrès, on ne va pas s’en plaindre. La rue ne désemplira plus. Grosse ambiance jusqu’à minuit, la déception pouvait se lire sur les visages de ceux qui gobait un dernier taz pour la route. La chasse à l’after est ouverte.
Grosse ambiance Daft Punk rue des Godrans. Tout au bout, vers l’arrêt du tram, deux DJ casqués comme le duo frenchie sont perchés sur une structure plutôt moche et balancent du son disco-funk cradingue en début de soirée avant de se finir logiquement sur du Daft Punk quand la nuit tombe. Plus loin, au milieu de la rue, un groupe de pré-retraités ose une reprise de « Get Lucky ». Mais sans l’instru’ de Nile Rodgers et la voix suave de Pharrell, ça fout la migraine. Entre les deux, l’Industrie invitait l’asso’ De Bas Étages, installée dans une caravane façon roulotte romanichelle.
Au croisement de la rue Piron et de la place Bossuet, c’est ambiance fontaines à mousse, sur une musique digne des grandes heures du Colors Club (RIP). Un petit côté foire du trône grâce au metteur d’ambiance et ses « allez, allez, maintenant on y va ! » Adolescents du Val de Saône visiblement surreprésentés. Devant le Marco Polo, un groupe de quadras rockabilly se donne sur des reprises 60’s. Pas forcément trop d’entrain dans la foule au départ, mais le public se laisse rapidement gagner par la transe rock. Les mecs se donnent à fond et ça fait plaisir à voir.
Place des Cordeliers, la Raffinerie avait installé un DJ qui distillait de l’électro un peu passée, teintée de funk et de soul, au milieu des travaux de la nouvelle zone piétonne. Ambiance gravats et barrières de chantier. À 19h50, le Veelbenet est dans la place. Parce que chez Sparse on est à la tête de l’avant-garde, on avait déjà interrogé le loustic sur ses habitudes sur le campus. On a causé encore un peu avec lui cette fois-ci. Qualifiée sur le papier de « cosmic wave », Rudy ne se revendique pas d’un genre ou d’une démarche particulière si ce n’est celle de « prendre de la musique catégorisée comme musique de blanc pour tenter d’en faire de la musique dite de noir » et inversement ; mettre du « groove » ou de la « dureté » là où il n’y en habituellement pas. Accompagné d’un synthé pour l’occasion, le Vellbenet balance des textes décalés et des compositions originales (un luxe) en brassant tous les styles, de la pop indie aux instrus hip-hop plus directes. Manque de pot, le lieu est quasi désert mais ce manque est clairement compensé par l’enthousiasme des fans présents en première ligne.
Place Saint Fiacre, vers 20h50, on commence à croiser du monde ; les badauds s’attroupent autour de quelques couples dansant la salsa. Place de la Lib, ça ne rigole plus. Les mecs de Lemonfly savent mettre l’ambiance avec un rock celtique bien punchy et s’aventurent parfois à faire chanter le public, quand ils ne sont pas occupés à soulever leur kilt. Niveau authenticité, la cornemuse ne suffisait pas apparemment. Une chenille voire une ronde se forme dans la fosse, à la plus grande joie de certains : « Oh y a un pogo, venez ! » Oui bon, pourquoi pas. On aura ensuite Komodo, Tchiky Monky et Assowls pour conclure la prog’ prévue par la Ville devant la mairie.
Place du théâtre, Doria’n.b est installé. Avec une affiche à faire pâlir les plus grands (graphistes) et un look éclectique, le groupe donne clairement l’image de deux amateurs en mal d’ivresse musicale. Un des deux types, à la crinière blonde, style métaleux des 90’s, se donne à mort pendant les deux-trois morceaux joués (très variétoche au final). L’autre, légèrement bedonnant et coiffé d’un bonnet à dreadlocks vertes et jaunes, ambiance vacances de ski (côté Jura), semble nettement moins convaincu (et peut être convaincant). Trois morceaux joués en une heure trente, bof, bof…
On se met en quête d’un plateau expérimental/noise, supposément rue de la chouette. Mais sur place, point de bruitisme ou « d’acid chlorydrique ». C’est plutôt papi-mamie friendly, pour preuve des chaises, toutes occupées bien évidemment, ont été installées devant la scène en bois où se joue un jazz tout ce qu’il y a de plus classique. Et quelque peu ennuyeux, il faut bien se l’avouer. À proximité, dans la cour arrière de l’Hôtel Vogüé c’est la « guinguette fever » avec un bal et orchestre tradi’ ; comprendre beaucoup, BEAUCOUP d’accordéons, une vielle et, tiens, encore une cornemuse. C’est rigolo, d’autant plus qu’on rajeunit considérablement la moyenne d’âge.
On passe rue Auguste Compte où Alchimia avait grapillé quelques places de parking pour étendre sa terrasse face à un DJ qui assure, entre funk en début de soirée puis hip-hop. Plus loin résonne une reprise de Green Day (la musique n’est pas mauvaise mais la voix du chanteur nous laisse de marbre). On débouche place de la République où quelques curieux se regroupent autour de chanteurs et de chanteuses de l’association « Artistes en scène », qui auraient davantage leur place au Cintra (les gus ont quand même un visuel avec leur visages dessus, je sais pas si tu vois le délire).
On longe la voie du tram en croisant une énième cornemuse, décidément très en vogue en cet été 2016, qui s’efforce d’égayer la terrasse du Bœuf blanc. Si t’es branché casquette à l’envers, tu étais sans doute place St Bernard, où l’animation sonore équivaut à celle d’un PC branché sur Skyrock. Mais si t’es plutôt porté sur la musique de clubber du Chat noir, tu pouvais aussi trouver ton bonheur place Bossuet, où s’alignent quelques remix bien particuliers : du Queen repris à la sauce dubstep, c’est quand même quelque chose. Spots et lasers lumineux, animateur digne du Club Med et jets de mousse, les mecs y vont À FOND.
En fin de soirée, on a convergé place Darcy où les copains de Radio Campus (quand ils n’étaient pas à La Cloche pour se mettre des shots de vodka) avaient installé une grosse scène où trois groupes se sont succédés. Nuit tombée depuis longtemps et arrêt de la musique : la police rase la ville et fait évacuer le parc Darcy où les plus téméraires s’étaient aventurés pour mettre en péril leur tympans ou simplement cuver sur un banc. Place Darcy toujours, pendant que la scène est démontée, des groupes d’ados écoutent du Tryo au lieu de réviser leur bac.
La Fête de la Musique, c’est un peu l’équivalent musical d’Instagram pour les adolescentes, mais dans la rue, et ivre mort. Tous les goûts sont dans la nature et, au même titre que les unes s’imaginent photographes, les autres s’improvisent chanteur/batteur/guitariste/claviériste/DJ/joueur de flûte de pan le temps d’une soirée. Et ce, avec plus ou moins de talent (surtout moins malheureusement). Mais c’est pas grave, on y retournera l’an prochain.
– Géraldine Vernerey, Axelle Gavier, Marion Payrard, Lucas Martin & Loïc Baruteu
Photos : Louise Vayssié & Édouard Roussel