Par un dimanche ensoleillé et désoeuvré de novembre, je décide de me rendre au Salon Crocmillivres de Dijon. Ce salon annuel est entièrement consacré au livre pour la jeunesse et tu n’as à peu près aucune raison d’y aller si tu n’as pas de gosses dans ton entourage, à moins que ce ne soit ton métier, genre bibliothécaire, libraire… ou pire : documentaliste ! Pour sa 8e édition, l’événement, organisé par les librairies dijonnaises Autrement dit et Grangier, a investi la salle Devosges pour deux journées de rencontres, de partage, de dédicaces… et de vente un peu aussi.

Le long du chemin, je croise déjà des familles qui en sortent ravies, des sacs de livres à la main. On achète pour les enfants, on anticipe les cadeaux de Noël, et tant pis pour le dernier jeu de Nintendo réclamé par le petit. La vaste salle accueille ses visiteurs dans une ambiance colorée et enfantine, l’allée centrale dessert de part et d’autre les tables derrière lesquelles sont installés les invités, et conduit à l’espace détente et lecture aménagé tout au fond de la salle : transats, tapis, coussins et petites têtes penchées sur des bouquins.

Il y a du monde. On vient au salon en famille, parents, enfants, grand-parents, le livre est intergénérationnel, et ce sont même les enfants qui traînent les grands par la main pour les conduire de table en table. La population ressemble fort à des bobos de centre ville, de ceux qu’on croise au marché le samedi matin, ils n’ont pas besoin d’être convaincus : ils lisent, leurs enfants lisent, il y a des livres à la maison ! On est venu avec la petite Victorine et le petit Gatien pour qu’ils se choisissent de la lecture.

Parmi la quarantaine d’invités présents cette année : des auteurs jeunesse, des dessinateurs et des illustrateurs. Leurs ouvrages, des publications destinées aux enfants et aux adolescents – romans, albums, bandes dessinées – sont disposés devant eux, pour l’achat et la dédicace. Les auteurs semblent être des gens normaux, des trente-quarantenaires, beaucoup de femmes, et même des couples d’auteurs. Très abordables, ils nourrissent les échanges avec leurs petits lecteurs, racontent les histoires de leurs livres, expliquent leur processus de création, partagent leur passion du livre. L’ambiance est sympathique, et on sent qu’ils prennent plaisir à rencontrer leurs jeunes lecteurs.

La littérature jeunesse, un secteur dynamique

La Bourgogne est un vrai vivier d’auteurs pour la jeunesse. La majorité de ceux qui étaient présents sont du coin, installés à Dijon et dans les environs. Si certains parviennent à vivre de leur écriture, la plupart ont un métier à coté, et on a notamment tchatché avec pas mal d’enseignants : profs de français, instit’, documentalistes. D’autres bossent dans les médias ou dans l’édition. Plusieurs confient s’être lancés dans l’écriture au cours de périodes d’instabilité ou de creux professionnel, quand ils avaient du temps. Leurs ouvrages sont édités dans de grandes maisons, mais quelque-uns se sont lancés dans l’aventure de l’auto-édition, pour être plus libres, ne pas subir les contraintes des éditeurs et gérer la production de leur bébé de A à Z. Pour eux, ce type de manifestation est essentielle pour se faire connaître car on ne trouve pas leurs livres dans toutes les librairies. C’est le cas notamment de Céline Chels, Dijonnaise auteure de romans fantastiques, soutenue par la Librairie Grangier, qui met ses ouvrages en bonne place au rayon jeunesse.

15134028_701864383298709_1415680158_oEt puis il y a les rares auteurs qui arrivent à en vivre, parmi eux on a croisé Anne-Lise Heurtier et Xavier-Laurent Petit, auteurs de littérature jeunesse reconnus et primés, dont les livres sont présents dans toutes les bibliothèques et CDI de collèges. Tous deux vivent à Dijon et leur temps se partage entre l’écriture et les interventions auprès des jeunes, qui leur apportent une part non négligeable de leur rémunération, mais leur prend aussi beaucoup de temps, au détriment parfois de la création. Peu d’auteurs vivent de leur art en général, mais la littérature jeunesse y est sensiblement plus propice, à condition de sortir plusieurs livres par an et que ceux-ci rencontrent du succès auprès des lecteurs.

La conversation est subitement interrompue par la petite Garance qui me pousse pour se faufiler devant le stand et exiger une dédicace. Les petits Dijonnais favorisés qui se trouvent là, de 2 à 13 ans en moyenne, sont à fond dedans ! Ils regardent les tables couvertes de livres avec appétit, touchent, feuillettent, réclament, manifestent leur envie comme devant un étalage de bonbons, sont fascinés par le coup de crayon des dessinateurs. Ils se montrent curieux et intéressés, et posent même plus de questions que les parents. On a même pu assister à une discussion sur l’esperanto entre un auteur et un gamin de huit ans, on croit rêver !

Malgré les menaces qui pèsent sur le livre papier et la librairie, le secteur de la littérature jeunesse est dynamique et florissant. Quand toi tu n’avais comme choix de lecture que Les Malheurs de Sophie ou Rémi sans famille (si tu as plus de 28 ans!), des dizaines de livres jeunesse très variés et de grande qualité paraissent chaque mois. Les salons et festivals du livre jeunesse se multiplient ; Chalon, Besançon, Dole possèdent aussi le leur, et Dijon en accueillera un second en février, le Salon international du livre jeunesse, dans le cadre du festival À pas contés. Oui, les enfants aiment toujours lire sur du papier, et non les écrans et les réseaux n’ont pas tout remplacé, comme en témoigne le succès de ce salon et l’avidité de ses petits visiteurs à lunettes. Toutefois, on regrettera le manque de diversité du public sur ce type d’actions, à vocation lucrative, et c’est sur les interventions des auteurs et les actions menées dans les écoles qu’il faut compter pour donner à tous les enfants le goût du livre et de la lecture.

– Maria Mood
Photo (c) Crocmillivre