TripleGo serait la caution « eaux troubles » du rap français : un duo dans des souterrains aquatiques aux eaux sombres éclairées par quelques néons bleus, et là où le néophyte y verrait une formule proche voire identique à la pop moderne et rappée de PNL, l’initié y reconnaitra les multiples différence entre les deux dont la plus flagrante : quand le premier prose une mélancolie toute, certes, street crédible, l’autre qui nous intéresse ici présent est plus à baver de bile noire, à se découvrir à coup de spleen nocturne, plus timide, moins tape-à-l’oeil que le premier.

2020 est donc le premier album de TripleGo et, fort de quatorze titres inédits, il confirme la voie lancée par les EP qui le précède : Eaux Max, Eau Calme et Putana, qui présentaient les mêmes structures, à savoir instrus trap étouffées et aériennes, mélancoliques, ou l’usage de mélodies courtes et répétitives – comme l’exige le genre – y est efficace, parfois fussent-elles proches d’une eurodance version dépressive (Guapo), d’autre fois d’une électro triste (Neuf, Blanche…). La voix est calme, grave et monotone, souvent légèrement autotunée pour l’effet, voguant entre rap saccadé aux limites du spoken word et chant pastoral pop, le tout souvent noyé de reverb type canalisations et submergé par l’instru, elle-même submergée par la voix… vous comprenez le délire ? Ajoutez à ça des références orientales (dans le texte ou via le sample de chant d’Afrique du nord traditionnel dès le titre d’intro, 50, ou l’instrumentation en elle même sur New Balance). Côté featuring, on notera le dingue Cali avec Prince Waly qui ramène son flow retro-cool laidback mais pourtant pas anachronique quand il est comme ici, dilué dans le trap futur aquatique sombre des TripleGo.

triplego

Au final dans ces années 2010, l’amie de la trap n’est visiblement pas vraiment l’alcool ni la drogue : c’est l’eau. La mer, les rivières et les lacs, l’océan et ses paysages, les maux qu’elle livre, et sans jamais vraiment forcément l’évoquer par la voix, on passe plutôt souvent par les instrus ou par l’imagerie utilisée. Ainsi furent la mode des bouteilles d’eau de la marque Fiji, accompagnatrice en chef des soirées lean, ainsi est Lil Yachty (Nautica !), ainsi sont Keith Ape et ses « Orca Ninja », ou encore nommés « Underwater Squad », puis Jorrdee et son EP Wavers. Et donc TripleGo, un duo de qualité dont un parlera très probablement encore souvent dans le lointain proche. Et comme il est bon ton de le dire sur un tel niveau dans le rap français : 2017, l’année de TripleGo ?

  • Douglas Ritter