C’est un retour qui ne passe pas inaperçu. Bien sûr, d’abord dans les rues puis sur les réseaux sociaux et enfin dans les galeries. RNST est back in town. Le serial graffeur se colle aux murs de Dijon, se répand sur les placards électriques et s’accroche dans les lieux d’expos et autres concept stores.

Le bonhomme

Première mise au point. RNST, sa signature doit se lire R. N. S. T., les quatre lettres bien détachées, et non « Ernest » comme il semble évident de le lire. « Ernest, ça fait trop référence à Ernest Pignon Ernest. J’adore le travail de cet artiste. Il travaille aussi dans la rue comme moi, avec du collage. Nos univers peuvent sembler proches » mais la référence serait bien trop lourde à porter. D’autres filiations de l’art « sérieux » ressortent de la discussion : la figuration libre ou la figuration narrative. « J’ai pas mal traîné dans les musées mais mes premières claques, mes premières envies de dessins me viennent des pochettes des Bérus et de Mode2 ». Ado, RNST décalquait les dessins de Laul, illustrateur punk, et découvrait l’univers hip-hop du graffeur britannique, hyper actif en France au début des années 1990 aux côtés de NTM. Deux mondes, deux univers visuels, issus de musiques des bas-quartiers, qui allaient plus tard fusionner dans le style de RNST.

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La découverte du graff et de l’art de rue, RNST la fait en grande partie à la fin des années 1990, à Dijon, aux côtés de Cynik et de toute une clique locale qui couvre la ville de ses signatures. Forcément, l’aventure picturale se termine lorsque les brigades anti-tags et autres BAC leur tombent dessus. Après un passage aux Beaux-arts, il s’installe dans le sud et pendant une vingtaine d’années, il y côtoie d’autres artistes de rue. Là-bas, il passe à la toile, délaissant la rue. «Pour des raisons familiales et politiques, j’ai décidé de revenir à Dijon. Dans le sud, c’est vraiment tendu quand tu vois les derniers résultats des élections. Mais si tu veux bien on va arrêter de parler de moi. » Ok, mais on va quand même se permettre d’ajouter que le type est très sympathique, accessible et volubile quand il s’agit de parler de ses productions.

« J’ai une culture rock. Je ne connaissais pas grand-chose au rap jusqu’à ce que je découvre Public Enemy. J’aime bien le rap conscient » – RNST

RNST, un peu à l’image de ses personnages, préfère avancer masqué. On imagine facilement que la part d’illégalité inhérente à son œuvre l’oblige à rester dans la pénombre. Pas seulement. « Ce qui compte, ce n’est pas moi mais ce que je peins et les idées que véhiculent mes dessins ». Son retour à la rue est hautement politique. « C’est la répression policière sous Sarko qui m’a poussé. Tu voyais ces mômes qui manifestaient et se faisaient arrêter. » Un retour forcément revendicatif. Ses dessins montrent des enfants, souvent visages en partie dissimulés sous un foulard ou un masque, bombe de peinture à la main ou le cas échéant avec une batte de base-ball. Un style réaliste, des portraits hilares, souvent narquois, un défi enfantin à l’autorité. Le masque, donc le graff, comme un jeu des « bons contre les méchants » ou Zorro contre Garcia et Monastorio (le méchant des 13 premiers épisodes, une des pires raclures !). Visuellement, c’est chouette, ça porte une violence latente, ça détourne des codes et le message est relativement clair. « J’aime le hacking et le situationnisme. Être à la fois poétique et revendicatif. Ce style, j’ai commencé à le construire à partir de 2009, pas forcément pour la rue. Il y a à la fois une fragilité et une rébellion chez mes personnages. Le masque, c’est simplement pour se protéger des gaz pendant les manifs. »

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La contre-culture portée par ses œuvres, RNST la situe du côté de ses amours punk, plus que dans le rap. « J’ai une culture rock. Je ne connaissais pas grand-chose au rap jusqu’à ce que je découvre Public Enemy. J’aime bien le rap conscient ». Mais on comprend que la dimension libertaire de sa démarche dépend plus des Bérus et consorts que du rap bling-bling. Ses techniques en attestent : pochoirs et collages qui, pour lui, s’inscrivent dans la droite ligne de l’utilisation des murs faite à partir de 1968, slogans et messages sociaux. Le pochoir comme outil privilégié. On comprend le plaisir du travail au crayon de celui qui compose ses œuvres comme des BD. Mais il y a aussi le pochoir pour lui-même. « Je travaille parfois sur support métallique. Je taille des pochoirs dans des feuilles d’acier. C’est comme de la sculpture et ça me permet de travailler des surfaces comme le béton, c’est intéressant pour le côté volume/sculpture. » Et d’accompagner le mot par le geste du bonhomme qui maîtrise la taille de pierre. « J’aime bien expérimenter les techniques. Par exemple, pourquoi ne pas faire une expo juste avec des pochoirs comme œuvres d’art ? » Le collage d’affiches comme support d’œuvres sur les murs, les barrières de chantier ou les devantures de magasins vides, c’est juste entre l’action du colleur d’affiche politique, de nuit de préférence, et la réappropriation de l’urbain par les artistes de rue. Inconvénient, au contraire de la gravure : c’est éphémère, ça se décolle, ça s’arrache. La théorie des trois jours de RNST, soit le temps moyen avant qu’une œuvre ne soit abîmée ou effacée.

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Dans les pratiques de RNST, il y a pas mal de mouvements dialectiques, des contradictions qui se retrouvent aussi dans son activité en galerie. Celui qui s’amuse à se revendiquer #inencadrable, suite à une mésaventure récente inracontable ici, s’expose aux murs de nombreux collectionneurs et autres lieux de monstration. Dix-huit événements et expos sont prévus pour l’instant dans l’année. «Pour moi, il n’y a pas de problème. J’emmène mon art et mes idées dans différents lieux. Je peux très bien travailler pour une commande de fresque murale comme récemment dans une ville. Sauf qu’à la fin, mon travail ne plaisait pas à la municipalité. Tu te rends compte ? On fait appel à moi et comme ça risque de choquer des gens, ça ne passe pas ! » Et les galeries, l’argent, l’éventuelle spéculation générée par ses œuvres ? « Je fais ça pour manger. Il faut que moi aussi je me nourrisse. Je travaille avec certains galeristes. Je ne fais pas de démarchage, ce sont eux qui viennent à moi et ensuite on discute. Si je sens qu’on ne partage pas les mêmes valeurs, si le principe de business est trop présent, on ne fait rien ensemble. Et puis, si je peux utiliser les mécènes pour niquer la société… »

« Quand tu fais attention, tu remarques que si je colle ou fais un pochoir à côté de tags dégueulasses, les mecs n’effacent que mes dessins. Pourquoi ? J’ai ma théorie. La ville ne veut pas que les graffs se répandent et mes dessins montrent que l’on peut faire autre chose que des trucs moches sur les murs. Ça risque de créer des vocations » – RNST

Au-delà de la véracité de ses propos et du récit de son activité, tout ce qui vient d’être raconté jusqu’ici n’intéresse que très peu RNST. Lui souhaite utiliser son art pour ouvrir le débat. Et ça tombe bien, en ce moment il a un gros sujet de discussion avec les autorités de la ville. En trois mois de présence dans Dijon, il aura réussi à ouvrir la problématique de la place des arts urbains dans la ville. Une ville dans laquelle, il faut l’avouer, hormis durant de courtes périodes ou dans des endroits circonscrits, les graffeurs et artistes des murs ont rarement agi. Une ville aux murs longtemps vierges, l’activité artistique restant cantonnée aux espaces d’exposition.

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Tout démarre par l’effacement. Alors que la ville, classée à l’UNESCO (on va finir par le savoir), bichonne son centre historique au risque d’en faire une immense galerie commerciale à ciel ouvert ou une ville musée, les œuvres sauvages de RNST sont rapidement et impitoyablement effacées. Après tout, c’est le jeu. Sauf que… « Quand tu fais attention, tu remarques que si je colle ou fais un pochoir à côté de tags dégueulasses, les mecs n’effacent que mes dessins. Pourquoi ? J’ai ma théorie. La ville ne veut pas que les graffs se répandent et mes dessins montrent que l’on peut faire autre chose que des trucs moches sur les murs. Ça risque de créer des vocations. Alors, vite, ils les enlèvent et en laissant le reste, ils peuvent dire “Voyez les tags et tout ça, ce n’est rien que des trucs moches.” Ces dessins dans la ville évoquent trop la question de l’insubordination. Je fais attention à ne pas faire n’importe quoi n’importe où : je ne vais pas poser de pochoir sur des vieilles pierres. » Premier étage de la fusée à débats.

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Le deuxième temps se déroule sur les réseaux sociaux. Christine Martin, l’adjointe à la culture de la ville de Dijon, partage le 10 mars dernier une photo d’une œuvre de RNST avec le texte « #Dijon Rencontre du jour « we want -RNST- Surprise sur une palissade… j’ai failli le manquer ! Eyes wide open – gardons les yeux ouverts – #Streetart ». Cool, Christine Martin, qui est une femme de goût, une amatrice d’art, flashe sur l’œuvre. Elle détecte le talent de l’artiste et devrait assez vite prendre sa défense dans les plus hautes sphères municipales. RNST entend parler du message de l’élue et une rencontre s’opère. Le débat tourne autour de la supposée volonté de la mairie d’effacer à tout prix les traces urbaines de RNST. Il est alors question de prestataires, l’entreprise Le Signe de l’environnement1 qui bosse pour la ville, de la volonté de garder un centre clean mais absolument pas de chasse ad hominem ni d’effacement ciblé.

« La Christine qui admire les œuvres de RNST aide Christine Martin, l’élue, à faire apprécier son travail à la ville » – Christine Martin, adjointe à la culture de la ville de de Dijon

Troisième et dernier round. RNST propose alors que la ville mette à disposition un mur. Un spot libre pour les pratiques sauvages comme cela se fait ailleurs. Ni une ni deux, on contacte l’adjointe à la culture. « Son travail est juste magnifique. Je lui laisse le temps de monter une association et après, ensemble, on ira voir la première adjointe pour lui expliquer le projet. Il y aurait un mur sur lequel des street artistes seraient invités à produire une œuvre. Et un autre en accès libre. J’espère que ça se fera. On peut aussi imaginer dans le cadre de la démocratie locale, avec les commissions de quartier, des créations de fresques. Ce qu’il vient de réaliser dernièrement sur une écluse à la demande des Voies Navigables de France est très chouette. » Là, on sent poindre la jalousie chez l’élue. Tiens et pendant qu’on y est, l’effacement systématique par la ville ? « Bien entendu qu’il n’y a aucune volonté de cibler RNST. Je ne sais pas pourquoi par exemple son « we want U » a été enlevé. Un sticker sur une palissade… Après, les œuvres d’art dans la rue, quelque soit la renommé de l’artiste, c’est forcément éphémère. » Le dialogue n’est donc pas rompu et l’élue se dit impatiente d’être recontactée pour proposer son projet en mairie, où différentes tendances s’opposent : d’un côté la propreté urbaine et la tranquillité publique, et de l’autre l’art et la culture. Et à la manière d’un Delon, de se lancer dans une punchline à la troisième personne (on aime !) : «La Christine qui admire les œuvres de RNST aide Christine Martin, l’élue, à faire apprécier son travail à la ville. »

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Le débat est lancé. L’issue, bien qu’encore incertaine, laisse espérer l’arrivée de ces fameux murs et clairement on espère encore croiser ici et là les marques de l’artiste dans la ville. Pour vous tenir au jus de l’éventuelle avancée de ces débats théoriques et politiques, surveillez l’arrivée en ville d’un fanzine ou d’une feuille d’info que RNST ambitionne de produire. Nous, on espère juste que son travail s’inscrira dans la continuité de tout ce qu’il a déjà fait en quelques mois. Et enfin, si vous appréciez l’art de rue, RNST a un dernier conseil à vous donner: « Les gens appellent la mairie pour se plaindre, pour dire qu’il faut venir effacer les graffs sur leurs murs. Il faut retourner la chose. Ceux qui aiment ça devraient appeler la mairie pour dire qu’il faut les conserver… »

– Martial Ratel 
Photos : Alexandre Claass

1 – On attend toujours que la société nous rappelle…

Article extrait du numéro 19 du magazine Sparse (juin 2017)