Jusqu’au 17 septembre, le musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône présente deux expositions qui valent le coup d’œil. La première s’amuse des usages et des rapports de la photographie avec les objets du quotidien. La seconde est une étonnante mise en abyme du ‘‘geste photographique’’ qui montre, et surtout explique, les délirantes affiches publicitaires que l’entreprise Kodak accrochait dans la gare Grand Central de New York. On est allé voir et on a aimé, d’autant que c’est gratuit.

Kodak et Chalon sur Saône, c’est une histoire d’amour qui a fini en psychodrame. Pas rancunière, la ville et le musée Nicéphore Niepce (le Prométhée de la photographie) présente cet été une exposition temporaire consacrée aux images panoramiques et pharaoniques (18 mètres de long pour une surface de 100 m²) conçues par la firme de Rochester afin de promouvoir ses films et ses appareils bon marché.

Ces Colorama furent en leur temps les plus grandes photographies jamais produites et pour la marque un investissement publicitaire audacieux. Pendant 40 ans, à raison d’une image toutes les trois semaines (565 panoramas ont ainsi été fabriqués), les banlieusards New-Yorkais transitant par Grand Central ne pouvaient pas rater ces célébrations de l’American Way of Life. Malheureusement, toutes les images originales ont été détruites et personne n’est assez fou pour en faire des retirages aujourd’hui. Le musée présente dans des dimensions plus acceptables une cinquantaine de ces publicités.

Au-delà de la prouesse technique, ces images se regardent comme des tableaux de propagande. L’Amérique, la famille et même toute la société du loisir y sont magnifiés avec des moyens techniques dignes d’un péplum hollywoodien. On appelle cela de la stage photography et des artistes contemporains comme Jeff Wall et surtout Gregory Crewdson procèdent toujours ainsi. Le spectateur contemporain, habitué à Mad Men ou à Blue Velvet de David Lynch est forcément un brin ironique, voire suspicieux, face à ces représentations typiquement WASP (c’est-à-dire une Amérique blanche, protestante et consumériste) ; l’oeil s’amuse à chercher les failles sous le vernis de ces images trop parfaites pour être vraies. Les couleurs sont éclatantes, les lumières hyper-travaillées à l’instar des films hollywoodiens comme pouvait en produire et fabriquer un Cecil B. DeMille avec ses péplums démesurés. Les panoramas présentés lors de cette exposition sont ainsi : démesurés. Démesurés et fascinants par toute la symbolique que ces scènes offrent au regard du visiteur.

Au-delà du côté aseptisé de l’affaire, point derrière ces familles figées dans l’éternité une société déjà formatée, consommatrice et conforme aux idéaux de la morale. Pas un poil ne dépasse, les sourires ultra-bright des publicités sont aveuglants et confondants de niaiserie. Ces scènes de la vie privée montrent surtout comment se construit une société avec ses codes et ses habitudes. Images d’Epinal, certes, mais véritables portraits historiques de cette société en pleine mutation et en plein essor qui caractérisa l’ère Kennedy et consorts. Bien sûr, on sent que tout cela n’est que pure mise en scène mais qu’importe. Le résultat est là et invite le regard à pénétrer l’intimité de ces familles représentatives d’une époque encore fermée, très blanche, mais qui commence pourtant à disséminer deci delà des afro-américains, d’un bon niveau social cela va sans dire, mais ce détail prouve aussi et surtout que la photographie demeure vraiment le témoin d’un réalité à un instant T.

Quand l’image devient un objet

Dans une autre salle du musée, c’est une curieuse collection qui attend le visiteur. Baptisé ‘‘Par-dessus tout’’, cet accrochage s’attache à présenter les différents usages de la photographie lorsqu’elle est employée pour décorer des objets du quotidien. Grace aux progrès des techniques de fixation, l’image photographique n’a cessé d’envahir l’espace domestique ou public depuis le milieu du XIXème siècle. Reproductible à l’infinie, les photos se fixent aujourd’hui partout : des assiettes sont à l’effigie du Pape, Johnny Hallyday sur des briquets, même le World Trade Center décore un dé à coudre ! 

La liste des biens manufacturés sur lesquels on retrouve des images seraient interminables et complètement incongrus. Pourtant, quelques étrangetés attirent l’oeil en tant que moments clés d’événements historiques ou visions d’une époque. Ainsi les voyages de Jacques Chirac en Afrique et son visage béat immortalisé sur des tissus africains ou bien cette cuisine type années 70 reconstituée avec précision et arborant les objets et décos mi arty, mi rétro. Et si effectivement beaucoup de ces photos et objets peuvent sembler « has been », ils sont une vraie mine mémorielle tout autant explicite qu’un manuel d’histoire. Issus pour la plupart de collections privées, ces supports photographiques parfois de (très) mauvais goût marquent à la fois l’évolution de la société mais également celle de la représentation de cette même société. L’on passe du noir et blanc sobre des balbutiements de la technique photographique aux couleurs les plus criardes,  dénuées, avouons-le sans hésiter, d’une quelconque esthétique. Il y a du chic, il y a du choc. Mais Dieu, que tout cela est délicieusement régressif !  L’expo ‘‘ Par-dessus tout’’ transforme le musée Niepce en cabinet de curiosités kitch et populaire.

– Thierry Blandenet et Édouard Roussel
Illustrations : musée Nièpce

Le musée est ouvert tous les jours sauf le mardi et les jours fériés. De 10h à  18h en juillet et août. http://www.museeniepce.com