La cantine populaire de la Carotterie reste dans l’expectative. L’ancien surplus de l’armée rue d’Auxonne, la plus Broadway des avenues de Dijon, est devenu le squat d’un collectif qui a mis l’endroit au service d’une initiative démarquée et originale, tout ça depuis décembre 2016. Une petite éternité qui a provoqué l’ire du propriétaire du lieu et une sale guéguerre arbitrée par le tribunal d’instance de Dijon qui rendra son verdict le 13 octobre prochain. Suspense insoutenable.
Faites entrer l’accusé
Du côté de la Carotterie, on n’a pas l’air si inquiet que ça. Les supposés “carotteurs de bien immobilier” restent cools et souriants. Le squat à la devanture orangée, qui habille avec cohérence le nom de cette cantoche populaire, attend la sentence judiciaire qui rapplique vendredi prochain. L’occupation du lieu s’est faite sans autorisation au mois de décembre 2016, à l’occasion d’une grosse teuf pour la nouvelle année. Mais du coup, elle dépasse les bornes de l’illégalité. Un acte illicite donc, que les membres de la Carotterie tentent néanmoins de justifier par la rareté de leur initiative et le fait qu’il est difficile de monter une telle chose dans un monde qui pense pour et par l’argent. L’affaire traîne en justice depuis la fin juin de cette année, après un report en septembre. Le propriétaire des lieux voudrait céder son bien au promoteur immobilier SOPIRIM qui souhaite en faire une bâtisse résidentielle bien luxueuse, que les taulards de la rue d’Auxonne pourront peut-être contempler dès leur sortie.
Mais la Carotterie, c’est quoi au juste ?
Non, la Carotterie n’est pas un restau’ lambda, c’est une cantine populaire sans but lucratif s’il te plaît. Depuis janvier, et sous l’impulsion de gens du potager des Lentillères mais aussi d’autres environnements, on y sert de la graille vegan deux midis de la semaine, le mardi et mercredi. C’était plutôt blindé en ce mardi midi pour tout te dire. Les gens continuent d’affluer comme à Gaston Gérard un jour de match contre le PSG, histoire d’y bouffer sainement. Hors de question de salir son corps avec des vieilles tartelettes aux fromages griffées Monique Ranou à 1€99. Pour ta gouverne, vegan veut dire : ne rien manger de ce qui provient de l’animal, sous toutes ses formes : pas de fromage, pas de lait, pas d’oeuf et évidemment pas de viande, contrairement aux végétariens qui ne gerbent que tout ce qui est carné.
À la Carotterie, on privilégie les circuits courts aussi, une bonne partie des légumes vient des potagers de Dijon. Chaque midi, Il n’y a qu’une carte, pas de repas de substitution, sans doute un paradis pour Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône. Par exemple, mardi dernier, c’était coleslaw maison, pâtes aux brocolis/amandes et salade de fruits avec entre 5 et 10 personnes assurant le service pour une moyenne de 100 personnes nourris chaque midi. Niveau fréquentation d’ailleurs, c’est plutôt hétérogène, même si tu le devines on a plutôt des gens sans doute trop à gauche de la gauche de la gauche et certainement pas Bernard Arnaud. Ce sont toutefois en majorité des étudiants qui mangent et papotent sur du mobilier venant tout droit d’Emmaüs. Le prix libre est sans doute la cerise qui surplombe cette cause à contre-courant, chacun met ce qu’il veut dans le pot commun car le but est avant tout de démocratiser une bouffe saine sans imposer de tarifs et en mettant de côté les ressources de chacun. Un beau fuck cordial adressé à la dictature de l’argent, à l’idée de rentabilité mais aussi aux McDo de la cité dijonnaise. La Carotterie cultive également une ambiance familiale qui diffère des restos où on a pour habitude de te lécher le cul comme il faut. Là bas, tu te sers ta bouffe et tu fais ta vaisselle. C’est autre chose.
Et l’avenir ?
L’atmosphère reste paisible donc mais aucun plan B, aucunes modalités d’actions n’ont été encore prévues en cas d’issue malheureuse pour la Carotterie, comme nous confie Daphné, membre du collectif. On attend la décision de justice et on discutera collectivement pour agir ensuite « que ce soit pour un relogement ou une défense du lieu rue d’Auxonne ». En tout cas, une potentielle négociation avec la Mairie semble d’ailleurs ne pas être à la colonne des priorités selon Daphné : « Pour moi, négocier avec la ville pour obtenir un local n’est pas la solution, cette cantine populaire existe grâce à la volonté et aux idées d’un groupe de gens qui sont contre les projets de la mairie. La logique de la Carotterie va à l’encontre même de la cité de la gastronomie, un lieu qui fait la promotion d’un certain mode de vie et qui s’adresse à une certaine classe sociale qui peut se permettre de s’y rendre. À la cantine on y mange bien et c’est accessible pour tout le monde. Pas d’exclusion. » Affaire à suivre.
– Mhedi Merini
Photo de une : Mhedi Merini