Première expo de la saison 2017/2018 pour Le Consortium, centre d’art à Dijon. Wang Du, Tobias Pils, Michael Williams, Nicolas Ceccaldi et Marina Faust, ce n’est pas le casting du prochain Star Wars, c’est la crème de l’art contemporain exposée rue de Longvic à Dijon. Autre invité de marque pour cette exposition : Peter Schuyff. Peintre, sculpteur et plus récemment musicien, le Hollandais Schuyff a commencé sa carrière artistique en 1980 aux États-Unis. Belle occasion de voir la nouvelle expo et de s’entretenir sérieusement avec lui des choses importantes de sa vie comme les érections matinales, la politique, le droit de jurer comme un charretier et de son passé glorieux avec ses petits potes, Lou Reed et Patti Smith.

Crédit : Vincent Arbelet

L’association « Le coin du miroir » a récemment fêté ses 40 ans. (voir article « 40 piges » de Doug Ritter et Ash dans le Sparse n.19). Aujourd’hui associée à un nom, Le Consortium, la structure dijonnaise est devenue au fil des années un mastodonte de l’art contemporain. Pour le public local, le centre d’art a un avantage sur le musée : les expositions sont renouvelées plusieurs fois par an. Amateurs éclairés ou badauds réfractaires à l’art contemporain, on ne peut que vous conseiller d’aller voir les dernières expositions en date, notamment « Réalité jetable », exposition consacrée à Wang-Du, qui ne laissera probablement personne indifférent. 

Crédit : Salomé Joineau pour Le Consortium

Des sculptures (dont une panthère monumentale) suspendues au plafond, conçues à partir d’images de magazine. Une claque visuelle tant les volumes de la salle d’expo elle-même et des œuvres sont imposants. Réalisées avec des matériaux peu coûteux (plâtre et gouache), les sculptures de Wang Du invitent à une réflexion sur le consumérisme en opposant la notion d’objets et d’images jetables avec des sculptures qui s’imposent comme une troublante réalité. Si ça ne te parle pas, tu peux toujours te réfugier chez Flying Tiger Copenhagen, une boutique qui vient d’ouvrir rue du Bourg et qui met également à l’honneur la réalité jetable. Un autre style de marchandise chinoise, des articles super utiles et pas chers et bien kitschs qui s’empileront chez toi et finiront à la benne dans moins de six mois. Ça, c’est nos amis du BP qui te le conseille ici.

 

 

« Hymne à la joie », l’exposition réalisée sur place par Nicolas Ceccaldi pour le Consortium, pourra possiblement faire grincer des dents nos amis de la Manif’ pour tous.

Crédit : Salomé Joineau pour Le Consortium

Idée cadeau pour Frigide Barjot : faire un selfie, tranquilou sur une chaise, un casque audio vissé sur la tête au-dessus d’une flaque de sang. Le casque diffuse entre autre « L’hymne à la joie » de Beethoven. Bien sûr, l’univers satanique dans lequel baigne la salle d’expo est un plus. Les crucifix glanés à Emmaüs évidemment fixés à l’envers sur un fond baroque devraient ravir autant Frigide que l’église satanique de Franche-Comté.

 

Crédit : Salomé Joineau pour Le Consortium

Aux dernières nouvelles, la radio amie, RCF, a tenté de questionner Nicolas Ceccaldi mais l’hérétique n’a pas donné suite. Mélomanes, sachez tout de même que les œuvres présentées sont construites autour d’un élément central : « Une bande sonore composée de pièces musicales réinterprétées par l’artiste à partir de fichiers MIDI et de l’apprentissage en autodidacte d’un nouveau logiciel, une version demo de FL Studio »… « Le projet musical de Nicolas Ceccaldi s’inscrivait initialement dans le champ de la musique ambient dite « dungeon synth », retravaillant des compositions préexistantes provenant de diverses sources, notamment des bandes originales de jeux d’aventure des débuts de l’informatique (Ultima Underworld, Sierra Entertainment, etc). Ces remixes, qui ne figurent pas dans l’exposition, seront destinés à être diffusés ultérieurement sous couvert d’anonymat. » (Le Consortium). Les voies du seigneur sont impénétrables.

 

« Has been », exposition des toiles réalisées par Peter Schuyff dans les années 80 et de sculptures, travail récent de l’artiste sur des troncs entiers. Peter Schuyff a lui-même choisi le nom de cette exposition qui est une sorte de panorama retraçant l’évolution de sa peinture dans les années 80. Il faut dire que le Hollandais ne manque pas d’humour, on a pu s’en rendre compte lors du concert donné dans la salle de spectacle du Consortium et surtout lors de l’entretien qu’il nous a accordé. La légende veut également que le jeune Schuyff, engagé par un galeriste New Yorkais, aurait profité des vacances de ce dernier pour organiser sa première expo sauvage. Punk attitude. Faisant suite à l’expo de la Kunsthalle Fri Art de Fribourg en Suisse, « Has been » réunit des toiles qui retracent l’évolution des techniques et de l’univers artistique élaboré par Schuyff, depuis une série dite « biomorphique » (1983-85).

Crédit : Salomé Joineau pour Le Consortium

Les toiles évoluent ensuite vers « une simplification de son langage visuel ». Schuyff affine sa technique de la grille. « Cette structure géométrique – grid – souligne simultanément la planéité du support, tout en conférant aux motifs une intense profondeur optique. » (Le Consortium)

Crédit : Salomé Joineau pour Le Consortium

Depuis quelques années, Peter Schuyff s’est pris de passion pour un autre mode d’expression : la musique. « The Woodwards », groupe composé de Peter Schuyff et de la chanteuse anglaise Stevie Guy ont profité de leur passage à Dijon la veille du vernissage de l’exposition pour nous donner un court récital. Schuyff à la guitare (et parfois au ukulélé) et au chant, Stevie Guy au chant. Le répertoire est plutôt folk/rock et la musique simple et directe, probablement inspirée de Dylan et de Lou Reed. Les textes assez drôles. Pas le concert de l’année mais pas non plus un fiasco, la centaine de spectateurs venus assistés à la soirée programmée dans le cadre du festival « Un mois de Franc-tamponnage » lui ont réservé un bon accueil, en attendant le groupe suivant, Jim Jones and The Righteous Mind, au style grosses guitares beaucoup plus énervées. Avant son concert, Peter Schuyff a répondu à nos questions, en claquettes, sans chaussette et sans pression.

Crédit : Augustin Traquenard

 

Vous avez vécu à East Village NYC dans les années 80. Aujourd’hui, est-ce que cet endroit vous manque ?

Cet endroit manque à tout le monde, car il a disparu. Quand nous vivions là-bas, c’était clairement un tremplin pour autre chose. Personne n’envisageait East Village comme un endroit où s’établir. Dès que nous avons eu les moyens de partir, nous l’avons fait. J’essaie d’y retourner le moins possible, ça me brise le cœur, la façon dont les choses ont évolué et la plupart des personnes que j’ai côtoyées là-bas ont disparues… Mais il m’arrive d’y retourner pour des performances.

Vous avez déclaré après le 11 septembre : « NYC c’est la plus grosse fête dans le monde. Il fallait qu’on ait la plus grosse explosion ». Peu après, vous avez quitté NYC pour le Canada puis pour les Pays-Bas. Quel est votre sentiment à propos des récentes attaques terroristes, le Bataclan, Las Vegas… ?

Vraiment, j’ai dit ça ? Ma réaction est la même que tout un chacun, autant de putain de stupidité et de violence, c’est évidemment consternant. La raison pour laquelle j’ai quitté NYC, c’est la politique du maire Rudolph Giulianni (NDLR : maire de NYC dans les années 2000), on ne pouvait plus danser, fumer ou jurer.

Oui je crois que vous jurez beaucoup ?

Non, pas spécialement, mais j’aime avoir la possibilité de le faire. En tout cas, après les évènements de Las Vegas et ce qui se passe dernièrement aux Etats Unis, je suis fier de vivre en Europe. (NDLR : P. Schuyff vit maintenant à Amsterdam). 

Patti Smith est récemment venu donner un concert dans la région (Chapelle Le Corbusier de Ronchamp, dans le cadre du festival Génériq). AÀ la question, quelle est le mode d’expression artistique dont vous ne pourriez-vous passer, elle a répondu : « écrire ». Quant est-il pour vous ?

Ah ! Je connais un peu Patti Smith. Elle logeait souvent dans l’appartement au-dessus de chez moi, au Chelsea Hotel. Elle n’habitait plus à NYC à cette époque mais y séjournait de temps en temps. Nous ne sommes pas très proche mais nous avons beaucoup d’amis commun. Pour répondre à votre question, cela dépend de l’audience. Si j’étais échoué sur une île déserte, je n’aurais pas de raison de peindre. Je peins pour les autres mais j’écris des chansons pour moi, cela revêt un caractère beaucoup plus intime, personnel.

Crédit : Augustin Traquenard

Les toiles exposées au Consortium qui datent du début de votre carrière artistique sont souvent décrites comme annonciatrices du mouvement « Neo Géo », cette description vous convient ? (Peter Schuyff est souvent décrit comme un des précurseurs du mouvement Neo Geometyric Conceptualism, de fait, il participe activement à l’effervescence artistique de l’East Village New yorkais dans les années 80 au côté notamment de Peter Haley, Ashley Bickerton, Jeff Koons et Meyer Vaisman)

Cette description ne me pose pas de problème Cela implique un formalisme qui, je pense, ne s’applique pas précisément à mon travail. Peut-être le terme « neo » convient à une forme d’irrévérence, de décontraction qui émane de mes œuvres.

Lors des deux dernières expositions ayant eu lieu ici, au Consortium, des œuvres de l’artiste Rodney Graham, qui joue lui aussi dans un groupe de musique ont été exposées, le connaissez-vous ?

Oui, je connais très bien R. Graham, je le connais depuis 1978 ! Il est également de Vancouver (où Schuyff a vécu à l’âge de 8 à 22 ans). 

Vous vous entendez bien, vous êtes amis ?

Oui, on s’entend pas mal. On pouvait appeler ça une amitié à une période de notre vie, mais nous ne nous voyons pas souvent. Le fait que je fasse de la musique depuis une dizaine d’année n’a pas arrangé les choses. Je me rappelle qu’il avait un groupe de musique lorsque nous étions à l’école d’art… cela génère chez moi des sentiments de l’ordre de la compétition, c’est assez épineux pour un artiste d’avoir plusieurs formes d’expression artistique.

Votre musique est assez directe, simple dans le bon sens du terme… si je vous dit qu’en musique comme en peinture « less is more », vous êtes d’accord ?

Ma musique se réfère beaucoup à mes lectures. Je fais beaucoup de référence littéraires, donc d’une certaine manière, « Less is more », non. Ma musique parle de moi, les toiles en revanche, ont une existence qui leur est propre. Si je n’avais pas fait ces toiles, j’aurais souhaité que quelqu’un d’autre les réalise. Les chansons sont personnelles, expérimentales.

Y’a-t-il un rapport entre le nom de votre groupe (The Woodwards, « les Forestiers » et vos sculptures (troncs sculptés).

Non aucun. Le nom « the Woodwards » remonte à loin. Avec un ami, on se demandait souvent quel nom nous donerions à notre groupe de rock si nous en faisions un. En anglais, le bois fait aussi référence à une érection… On était plutôt donc parti sur « Morningwood » (rires de la chanteuse du groupe qui écoute l’interview) mais ce nom était déjà pris. A cette époque, à Vancouver, il y avait un grand magasin qui portait le nom de Woodward et qui était au centre d’un débat politique. Le magasin avait fermé et un nombre important de sans-abris avaient squatté l’endroit. Vancouver a un terrible problème avec les sans-abris… la police a essayé de les déloger, c’était un vrai sujet politique… On appelait les sans abris « The Woodwards », et on a fait imprimer des t-shirts en soutien à leur cause avant que le groupe n’existe…

En écoutant votre chanson « Nothing », l’ambiance, votre voix me rappelle Lou Reed, a-t-il été une source d’inspiration, le connaissiez-vous ?

J’ai rencontré Lou Reed de nombreuse fois, il faisait partie du paysage dans l’east Village des années 80. Il a certainement été une grande source d’inspiration, dans la vie en général plus encore que musicalement.

Comment vous êtes-vous rencontré avec Stevie Guy, la chanteuse du groupe ?

Stevie était l’ancienne petite amie de notre manager. Il y avait auparavant 3 chanteuses dans le groupe … Deux filles étaient indisponible pendant une tournée en Angleterre, Stevie a pris le relais. Je souhaitais pour ma part jouer avec une seule chanteuse, et seule Stevie était prête à s’impliquer dans le projet et cela fonctionne maintenant depuis pas mal d’années. Stevie est depuis également devenu ma « studio manager ».

  • Augustin Traquenard