Artiste aux multiples rôles, réalisateur, acteur, sociétaire de la comédie française depuis 2005, Guillaume Gallienne se trouvait en Bourgogne à l’occasion des Rencontres Cinématographiques de Dijon; il venait cette année à la rencontre de son public dijonnais afin de présenter sa dernière réalisation, Maryline. Écrit comme une chronique, ce drame met en scène le personnage éponyme, une jeune provinciale montant à Paris pour tenter de réaliser son rêve : devenir comédienne. Entretien avec un homme au caractère androgyne et à l’élégance nonchalante pour un interview à la limite du philosophique…

Dans Maryline, vous dépeignez l’échec avec beaucoup de justesse. L’avez-vous déjà connu pour si bien mettre en scène ce sentiment ?

Dans Maryline il n’est pas question d’échec, c’est plutôt de l’humiliation. En fait, l’autre propos du film, c’est raconter comment la bienveillance peut sauver des vies. Donc pour raconter ça, il fallait que mon sujet soit au bord de sombrer pour être sauvée. Je voulais raconter comment en donnant un peu de son temps à quelqu’un on peut lui sauver la vie : comment écouter, rassurer, encourager quelqu’un peut faire cela en peu de temps, car Vanessa Paradis le fait sur quelques scènes. Cette question me bouleverse.

Justement, pour parler du personnage joué par Vanessa Paradis, il est inspiré de Jeanne Moreau qui était une « grande dame ». Un peu à l’image du personnage de votre mère. Pourrait-on dire que ces femmes sont vos muses ?

J’ai effectivement parlé à Vanessa de Jeanne Moreau, après elle en a fait ce qu’elle a voulu. J’ai embourgeoisé Vanessa pour son rôle afin de lui donner une stature de classe différente pour que ce ne soit pas pris pour une complicité de classe. Je voulais que la reconnaissance se place ailleurs. Après je trouve qu’entre Vanessa et Adeline c’est tout à fait possible. Il y a bien une évocation de Jeanne Moreau mais elle était déjà dans le texte; en revanche Vanessa, dans la voiture, m’a fait penser à Romy Schneider. D’ailleurs je trouve qu’elle se consume à vu d’œil, j’ai eu peur pour elle, elle va trop loin, je ne m’attendais pas à cela et je la trouve bouleversante. Pour revenir à votre question, ce sont les femmes en général qui m’inspirent, d’ailleurs la fin la chanson « Cette blessure » (NDLR :générique de fin de Maryline, interprété par Vanessa Paradis) c’est la femme, c’est pas une « grande dame », c’est l’Origine du monde de Courbet …

Pour Maryline comme pour votre premier film, on retrouve le thème du jeu, dans Guillaume et les garçons à table, il était question de la naissance d’un acteur et ici, du chemin pour accéder à ce métier. Pourquoi avoir gardé cette thématique?

Pour Maryline, le cinéma et le théâtre sont des contextes, pas les sujets. J’ai choisi ces milieux là parce qu’ils exacerbent le propos, c’est encore plus dur, on est confronté à une image de soi, au verbe, on doit parler à un instant T. On retrouve néanmoins un hommage au cinéma avec la dernière scène car il n’y a plus un mot et ce n’est qu’au cinéma que l’on peut faire ça je pense. Je regarde souvent les grands chefs d’œuvre du cinéma en coupant le son quand je les ai vus plusieurs fois et là c’est magnifique, en revanche au théâtre c’est plus dur.

Justement, pour rester dans ces deux thèmes, j’aimerais parler de la temporalité de vos films dont les intrigues se déroulent sur un très long laps de temps. Pensez-vous que c’est une sorte d’émancipation face au théâtre où la temporalité est plus restreinte?

Très probablement, c’est vrai que l’art de l’ellipse, c’est vraiment le cinéma. Et puis dans le théâtre on se déplace par rapport au sujet, alors qu’au cinéma on se déplace vraiment; c’est un peu comme la peinture chinoise, les peintres ne restent jamais à un point fixe devant le paysage, ils bougent et c’est ce qui rend la peinture chinoise différente. C’est ce qui me plaît énormément, l’idée de bouger, même pendant le tournage. Il m’est arrivé un truc personnel un peu étrange pendant le tournage, ça m’a déplacé et j’adore ça. J’aime et je profite de l’instant énormément au cinéma. J’ai le sens de ça, j’adore.

Guillaume, à la cool. Crédit : Lison Detang

Une autre réflexion que vous semblez apprécier, c’est la notion de frontière entre réalité et fiction…

L’élasticité du temps et de l’espace mais aussi de la fiction et la réalité m’intéressent tellement que je crois que ça va être le sujet de mon prochain film. Je fonctionne comme ça dans la vie, les moments de fiction me marquent autant, et je les trimballe autant que les moments de réalité. Et il y a certains moments où je ne vais plus me projeter en fiction et des moments où c’est l’inverse, où la fiction m’oppresse tellement que je replonge immédiatement dans la réalité. Ce va et vient est constant chez moi. J’essaie de faire du beau, rendre la réalité pour ce qu’elle est ce n’est pas mon métier, je ne sais pas très bien le faire, je ne crois pas que je serais un bon documentariste parce que souvent, cette réalité-là rendue telle qu’elle ne me suffit pas. En fait, la réalité d’un regard qui vous touche, elle est belle mêlée à l’émotion que ça vous a fait, qu’elle vous a procuré, parce que sinon, oui c’est un beau regard mais ça reste un regard. Alors que mêlé à l’émotion que vous avez vécu, ce mélange-là devient sublime et c’est l’idée d’une communion, d’un passage d’un relais qui me touche. Si c’est juste dire deux plus deux est égal à quatre. Certes… mais ce n’est pas pour moi.

En tant qu’acteur, vous êtes vous déjà perdu entre fiction et réalité?

Oui, et c’est compliqué…

Au théâtre, avec Lucrèce Borgia?

Oui. Entre autres… C’était très violent, en fait c’était génial pendant, j’avais aucun problème. Mais après c’était un cauchemar et ça a été de pire en pire c’est pour ça que j’ai rendu mon rôle au bout de 3 ans.

Enfin, pour conclure, j’aimerais aborder la notion de déterminisme qui semble vous tenir à cœur. De quelle école seriez-vous? Plutôt Zola et son double déterminisme ou bien pensez-vous qu’il est possible de prendre notre vie en main sans se laisser rattraper par son passé ?

C’est plus complexe que ça, j’ai été élevé avec cette phrase de ma grand-mère qui me disait toujours « On ne renie rien, on n’usurpe rien, et on ne se justifie jamais » et en même temps j’ai appris que parmi les dossiers de notre vie, certains ne nous concernent pas, et on se les trimbalent comme ça, tels des lourds packs de bouteilles d’eau d’un litre et demi et au final, il suffit de s’en rendre compte pour s’en débarrasser. Au fond c’est pas plus compliqué que ça, mais ça prend du temps.

 Lison Detang

Photo de Une : Lison Detang