À l’affiche du festival Nevers à Vif en novembre dernier, Sorg présentait son nouveau live électro hip-hop Push. Alors qu’il continue de tourner aux côtés du rappeur américain Napoleon Maddox, le beatmaker bisontin s’est aussi concentré sur son projet solo. Sélection pour les Inouïs de Bourges, sortie d’un EP en juin, Léo Dufourt revient avec nous sur cette année charnière et son parcours de producteur made in Besançon.
Avant de devenir beatmaker, tu faisais déjà de la musique ?
J’ai grandi dans une famille de musiciens et pris dix ans de cours de guitare… Ado, j’étais à fond dans Nirvana et le blues rock des années 70. Un jour, mon grand frère m’a branché sur le Wu-Tang, Gang Starr… Boom bap quoi. J’en ai bouffé jusqu’à mes 16 ans. Et puis il m’a installé le logiciel Ableton. J’ai commencé par faire des boucles et des instrus tout seul chez moi, et vu que je galérais à trouver des rappeurs, j’ai fini par me dire que je pouvais aussi bosser tout seul. À l’époque, les beatmakers sortaient des albums solo : RJD2, Dj Shadow, J Dilla… Plus tard, je me suis intéressé à la musique électronique, et j’ai commencé à incorporer des synthés dans mes instrus hip-hop.
À quel moment t’es-tu dit que cela allait être ton travail ?
Depuis gamin, en fait. À 8 ans, je commençais la guitare et à 10 ans, je savais que je voulais faire ça. La première fois que je suis allé aux Eurocks avec mon père j’avais 11 ans et depuis j’ai pas loupé une édition ! En y allant, j’ai découvert plein d’autres styles : le reggae, les musiques du monde… J’ai eu un peu trop envie de tout faire à un moment, j’avais un projet salsa, puis un groupe de rock, ensuite de stoner… Alors quand Sorg a commencé à marcher il y a 5 ans, j’ai choisi de me focaliser là-dessus.
Ton premier EP Préface est sorti en 2012. Quelques mois après, tu as sorti un EP avec ton ami et producteur de Besançon Zerolex, et Fakear, encore inconnu à l’époque. Quel regard portes-tu sur sa carrière ?
On est toujours attentif à ce qu’il fait, et ça fait bizarre de se dire qu’il débutait il y a 5 ans. Apparemment c’est la folie pour lui maintenant. Le téléphone sonne tout le temps, il joue partout. Je ne suis pas jaloux ni envieux, plutôt surpris et content pour lui. Moi je ne cours pas après ça, je suis déjà hyper heureux de me lever le matin et de pouvoir faire de la musique. On n’a pas le même parcours c’est sûr, mais je suis satisfait du mien.
Comment a débuté ta collaboration avec le rappeur de Cincinatti Napoleon Maddox ?
Quand je préparais mon deuxième EP 16 Diamonds je cherchais une voix anglophone. Je connaissais le groupe de Napoleon Maddox, IsWhat ?! et j’avais entendu son featuring sur un morceau de Lilea Narrative. J’ai donc envoyé plusieurs mails, à lui et à d’autres rappeurs. C’est un des seuls qui a répondu rapidement et positivement. Après un mois de discussion, on a enregistré le morceau Wild West. Mais comme je travaillais encore à l’époque, c’était compliqué de m’investir avec Napoleon et sur le projet solo en même temps. Alors on a travaillé avec Napoleon pour sortir Ribbons ans Razors en 2014 et Soon en 2016. Je suis revenu cette année à mon projet solo Sorg avec la sortie de Push en juin dernier.
Vous travaillez à distance avec Napoleon ?
Au début, oui. Je lui envoyais la musique, il enregistrait sa voix et je récupérais le tout. C’était tout de suite parfait, rien à redire donc rien à retravailler. Ça l’est toujours d’ailleurs, mais comme maintenant on tourne ensemble, on prend toujours quelques jours off à Besançon pour bosser à la Rodia. On créé sur place : j’arrive avec de la matière, lui avec ses idées, il gratte un peu et on enregistre le soir.
Votre projet à deux marche-t-il mieux en France ou aux États-Unis ?
Ici, mais ça fait aussi trois ans qu’on tourne en France. Sans compter le fait que Napoleon a une actu avec IsWhat ?! et moi avec Sorg, donc cela sert notre projet à deux. En ce moment, il prépare un nouvel album avec son groupe. C’est un hyperactif de la musique. Quand il est en France, il va voir beaucoup de concerts, passe à Paris voir son pote Gaël Faye. Il a de nombreux contacts et pour moi qui débutaiS, j’ai beaucoup appris avec lui. Il faut dire qu’il vient jouer ici depuis 11 ans. Il connaît toutes les salles dans lesquelles on joue, que moi je découvre ! Au début, son nom m’a apporté de la crédibilité parce que c’est un rappeur américain, c’est con mais c’est comme ça… En tout cas ça nous a aidés à tourner.
Besançon compte d’autres beatmakers comme toi notamment, Zerolex, YoggyOne, Lilea Narrative et Zo qui forme aussi le projet Cotton Claw. Peut-on parler d’une véritable scène bisontine ?
Oui, c’est une vraie scène qui existait déjà bien avant nous avec Miqi O. et Zo. Lilea Narrative, lui, est Caennais mais il vit depuis 6 ans à Besançon. Quand ils sont passés aux Eurocks, le phénomène a pris de l’ampleur et puis Miqi O. a commencé à faire des master class… Avec Zerolex, nous avons fait le premier stage en 2011. Bien qu’il tourne peu en France, Miqi O. est un beatmaker très connu à Besançon, et il forme des jeunes en organisant plusieurs ateliers par an. Donc ça fait 5 ans qu’on a de nouveaux beatmakers qui arrivent à la pelle. Là, il est presque en train de créer une armée ! Je pense aussi qu’il est content de voir que ça marche pour nous, ses premiers élèves. Parce qu’on est beaucoup de beatmakers mais on est très peu à en vivre.
C’est quand même une niche, le beatmaking, non ?
Peut-être, mais à l’échelle de Besançon, on est tout de même 6 beatmakers à être professionnels intermittents, c’est pas mal ! Mais c’est vrai que les grands frères ont préparé le terrain. J’étais fan d’Electrons Libres avec Zerolex (ndlr : le projet hip-hop de Miqi O. et Zo), ça te donne des envies, des idées. Puis on se croise en concert, on se soutient et forcément on s’influence. On a apporté notre petit touche musicale à la région. On appelle ça Bestown… (rires). Miqi O. et Zo ont lancé ça, ils le gueulaient dans leurs paroles. Ils disaient aussi Besangeles. C’était marrant cette idée de vouloir américaniser la ville mais c’était surtout pour montrer qu’il se passait un gros truc. Le style est en tout cas bien représenté dans le coin, tout le monde joue le jeu. On passe au festival Détonation, à La Rodia….
Est-ce que les structures locales ont joué un rôle important dans le développement de ton projet ?
On a un lieu magique ici, c’est les locaux de répétition du Bastion. Je n’y vais plus trop car je bosse chez moi depuis, mais c’est grâce à cet endroit que Besançon résiste au niveau de la musique. Ce sont les punks qui avaient investi illégalement le lieu pour répéter au départ et ils se sont structurés en association. Aujourd’hui c’est un espace où tu as dix locaux fixes et tournants en pleine ville. Tu payes 4€ de l’heure, c’est rien… C’est un vrai vivier social entre musiciens, avec plus de 600 inscrits et près de 200 groupes. Le Bastion et La Rodia m’ont pas mal aidé, c’est vrai. Miqi O. aussi. Je suis devenu l’un des principaux squatteurs de La Rodia ces dernières années, en enchaînant les résidences là-bas.
Tu as été sélectionné par le dispositif de repérage d’artistes les Inouïs cette année, ce qui t’a permis de jouer au Printemps de Bourges. Ça a été un vrai tremplin pour toi ?
Ça m’a apporté quelques dates, venant principalement des pros qui m’ont vu jouer là-bas. Mais ce qui est vraiment dingue, c’est la carte de visite. Le fait que ce soit écrit sur mon CV me permet d’avoir bien plus de réponses aux mails et coups de téléphone.
Comment a été accueilli la sortie de ton dernier EP Push en juin dernier ?
L’accueil des médias a été bon. Tsugi, Radio Fip et pas mal d’autres radios ont aussi diffusé le morceau. J’avais pris pour la première fois une boîte de promo à Paris, ça m’a coûté cher mais les résultats sont là. Et quand j’ai vu que j’étais pris à Bourges, j’ai avancé la sortie de l’EP pour que les choses s’enchaînent. Je voulais rebondir tout de suite après. Je bosse aussi avec La Cellule, une nouvelle boîte de booking à Besançon. Ils sont venus avec moi à Bourges, on n’a pas arrêté de serrer des mains, de discuter, ce qui nous a permis de trouver quelques dates. Je vais pouvoir me focaliser maintenant sur la sortie de notre album avec Napoleon prévu pour février 2018. Je viens de nous trouver un nouveau tourneur et le premier single est sorti le 1er novembre avec le clip Security que j’ai fait de A à Z. On a trouvé une caméra toute pourrie pour le tourner en arrivant aux États-Unis. Parce que tu vois, c’est pareil : ça coûte trop cher et on a plus les budgets pour faire des clips.
Tu fais un peu tout finalement, c’est pas trop compliqué ?
Et je fais même les newsletters, mais je trouve pas ça chiant. Comme je suis intermittent depuis un an et demi, je peux vraiment me consacrer à la musique et j’en suis très heureux. Que ce soit avec Sorg ou Napoleon Maddox, j’avance. Et puis j’apprends et je kiffe car en même temps j’ai la chance de pouvoir vivre de mon art. Napoleon est obligé d’avoir un job aux USA parce que l’intermittence n’existe pas là-bas. Quand je me lève le matin, j’ai envie de faire plein de trucs : de la zik c’est sûr, mais aussi du mailing, du graphisme, de la vidéo. J’attends pas après les autres, j’y vais. Les gens veulent des clips alors on se démerde.
Sur scène, tu utilises un contrôleur pour commander les sons, les rythmiques, les effets… Tu l’as délibérément incliné en direction du public, pourquoi ?
Ça fait un moment que j’ai compris que tout seul sur scène quand tu fais du beatmaking électro, les gens peuvent très vite se faire chier. Avec Napoleon Maddox je n’ai pas ce problème. C’est pour ça que j’ai aussi travaillé un show lumière et une scéno pour le live de Push. Et puis je suis pas DJ mais beatmaker : je ne passe pas des morceaux, je les joue en live. C’est la raison pour laquelle j’ai créé ce pupitre en bois, pour que les gens puissent voir ce que je fais.
Les voix sur le single Push sont-elles des samples ?
Oui, je fonctionne encore pas mal avec les samples. Je sélectionne et découpe. Par contre, je ne fais plus de boucles de mélodie comme dans le hip-hop avant. C’est trop facile. Dans le jazz par exemple il y a souvent des saxos qui trainent donc je vais chercher une texture, des petits bouts, pour pas que ça se reconnaisse non plus, sinon il faut les déclarer ! D’où l’intérêt de slicer très court, ou de les déformer. L’idée, c’est de garder à la fois une texture organique originelle, puis de les mixer à des synthés. Tout est joué main, les rythmiques et les basses que je ne place pas non plus à la grille, donc ça me permet de garder ce groove. Je ne veux pas que ce soit robotique, mais que ça reste humain.
- Interview réalisée par Sophie Brignoli.
Photo de Une : Illustration de Loïc Brunot, inspirée d’une photo réalisée par Johann Pourcelot.